Je suis ingénieure de maintenance, un titre un peu cryptique pour dire que je travaille au sein d’une équipe composée majoritairement de techniciens et dont le boulot est de réparer des machines industrielles. En tant qu’ingénieure, je suis là pour mettre au point les méthodes de travail, les processus à appliquer et pour écrire les documents de référence.
Si je dis techniciens et pas technicien·ne·s, ce n’est pas parce que je ne sais pas comment faire le point médian (bon ok, je ne sais pas faire), mais c’est parce que tout le monde dans mon équipe, du chef au technicien en passant par les ingénieurs, est un homme. Sauf moi. Dans mon service c’est pareil et je pense qu’on est moins de dix femmes dans mon entreprise au total.
Avant ça, j’étais dans une boîte où il n’y avait quasiment que des ingénieurs. On était à peu près 30% de filles, soit le taux qu’on trouve en école d’ingé (et donc celui auquel je suis habituée depuis mon bac) et franchement, modulo quelques cons, je n’avais jamais trop senti le déséquilibre.
Travailler dans un monde de mecs : les avantages
J’étais rarement la seule femme en réunion (on était la plupart du temps deux, youhou !), j’avais des interlocutrices sur plusieurs sujets… Bref, je vivais dans le merveilleux monde de la mixité. Et puis, j’ai changé de taf et j’ai découvert ce que c’était de travailler dans un monde de mecs.
Je commence par les avantages, car il y en a !
1 – Je suis une princesse. Bon, ok c’est pour rire, mais quand même : je remarque que les gars se comportent différemment avec moi et pas forcément dans le mauvais sens. Ils sont plus attentifs et à l’écoute. Je pense qu’entre mecs il y a souvent un fond de rivalité quelque part et qu’elle est moins présente avec moi. Quand ils me parlent, ils hésitent peut-être moins à faire preuve de douceur car ils savent que cela ne sera pas interprété comme de la faiblesse de ma part.
2 – Je me fais davantage remarquer. Je n’ai jamais franchement envisagé de « faire carrière », mais être remarquée par la hiérarchie c’est toujours pratique quand on veut porter des sujets et faire avancer ses projets, donc je trouve que c’est positif. Quand je viens en réunion avec dix chefs et que je suis la seule personne qui n’est pas en costard-cravate, je ressens souvent un certain respect de prime abord (genre « tiens, elle doit être pas mauvaise, elle, pour avoir réussi à venir jusque là »). Comme je suis la seule femme, on retient aussi plus facilement mon nom, bref, ça a toujours quelque chose de pratique d’être la « rareté ».
Travailler dans un monde de mecs : les inconvénients
Passons maintenant aux difficultés.
1 – Je trouve plus difficile de créer de la camaraderie.
On est souvent en déplacement sur des chantiers, ce qui amène à partager un peu le quotidien, et je sens que je suis parfois mise de côté. Ça part sûrement d’un bon sentiment, peut-être qu’ils pensent que je ne me sentirais pas à ma place au milieu d’eux (ce qui n’est pas tout à fait faux), mais ça crée un décalage. Quand j’étais en stage, le moment de mise à l’écart c’était les vestiaires : forcément, je loupais beaucoup de discussions (personnelles ou professionnelles) puisque je ne me changeais pas au même endroit qu’eux, ce qui rendait plus difficile la création d’une certaine proximité.
La stratégie que j’ai mise en place pour pallier ça : je m’efforce de gagner la confiance d’un maximum de gars. Je pense qu’ils s’attendent à ce que je sois une oreille attentive en tant que fille, alors j’en profite. Ça me permet d’avoir une connaissance des relations humaines dans mon groupe qui est différente de mes collègues hommes, puisqu’ils se présentent à moi sous un jour un peu différent.
2 – Le manque de filles me pèse aussi. Ça tombe sous le sens, mais les relations entre femmes me manquent vraiment, notamment les conversations plus “légères”. C’est très stéréotypé, mais les hommes qui m’entourent parlent de motos ou de foot (j’exagère à peine) quand ils veulent trouver un sujet consensuel et non clivant. Pas que je veuille particulièrement causer maquillage, mais disons qu’au moins des sujets moins marqués « mecs » me permettraient d’être moins exclue.
Heureusement, ce qui me sauve c’est que c’est un effet de groupe : quand je suis en tête à tête avec eux, il n’y a aucun problème à parler voyages, cinéma, musique… Bref, des sujets où j’ai des choses à dire.
Les ravages de l’éducation genrée
3 – Je pense que l’éducation reçue en tant que mecs ne les encourage pas à s’exprimer sur ce qu’ils ressentent. Du coup, quand il y a des conflits, ça peut mettre très longtemps à émerger. Dans mon équipe, pendant plusieurs mois il y a eu des fâcheries qui nous ont compliqué la vie, juste parce que personne ne voulait dire « écoute, j’ai été blessé par ce que tu as dit, j’aimerais bien que tu t’excuses ». Quand ça a fini par éclater (et je pense que j’ai participé à percer l’abcès, notamment en avouant que je ne me sentais pas dans une bonne ambiance), je me suis vraiment demandée pourquoi personne n’en avait parlé avant. Le besoin de paraître fort et capable d’encaisser ? L’envie d’avoir raison ?
Et là, je pense que j’ai clairement quelque chose à leur apporter, parce que je creuse davantage pour chercher l’origine des conflits et des incompréhensions, parce que j’essaie davantage d’adapter mon discours à la personne que j’ai en face de moi… C’est marrant, parce que c’est des choses qui me semblent naturelles mais ne paraissent pas aussi évidentes pour la plupart de mes collègues. Encore cette satanée éducation genrée, faut croire. Du coup, maintenant on me demande parfois ce que je pense de tel ou tel comportement. C’est cool parce que cette compétence me permet d’être valorisée dans mon travail.
Retourner la situation à son avantage
4 – Enfin, ce qui m’agace, c’est quand ils me prennent pour une cruche. C’était plus courant dans mon ancien poste, ceci dit, mais il arrive de temps en temps qu’on se mette à m’expliquer le fonctionnement d’une machine comme si j’avais quatre ans. Merci, mec, mais j’ai un diplôme d’ingénieur et ça fait plusieurs années que je bosse dans le domaine, donc je connais un peu le principe quand même…
La stratégie que j’ai mise en place pour pallier ça : j’en joue à mort. J’ai décidé de laisser mon estime de moi dans un tiroir de mon bureau. Au quotidien, je suis totalement prête à passer pour une cruche. Pourquoi ? Parce que ça me permet d’obtenir teeeeeeeeeeeellement plus de choses… Un commercial qui refuse de me donner des infos ? Je lui demande avec une petite voix de chaton de m’expliquer ces infos parce que je n’ai pas compris, que je dois les donner à quelqu’un et que j’ai vraiiiiiiiiment besoin de lui pour savoir quoi dire. Oui, je sais, je suis une horrible manipulatrice (et j’aime ça).
Bref, je travaille avec des gars, ça a ses côtés relous, mais je trouve ça enrichissant. Tout de même, si on me donnait le choix, j’aimerais qu’il y ait au moins une femme de plus dans l’équipe, ça me ferait du bien.
L’analyse de l’experte
Mathilde Groazil est diplômée en études de genre et directrice du conseil chez Social Builder, une startup sociale qui construit la mixité et l’égalité femmes-hommes dans les métiers du numérique.
“Se sentir bien dans un environnement très masculin n’est pas du tout de la responsabilité des femmes (qui y sont présentes en minorité).
C’est de la responsabilité de tous et toutes parce que l’absence de femmes dans ces environnements ou leur difficulté à s’y épanouir n’est pas dû à une série de manque de leur côté (de motivation, de compétence, de confiance en soi, de capacité à se mettre en avant..) mais bien aux rapports sociaux de sexe générant des stéréotypes qui infusent fortement l’entreprise jusqu’à en modeler le fonctionnement.
Les entreprises doivent donc avant tout sensibiliser et former l’ensemble de leurs salarié·es aux stéréotypes, au sexisme, aux relations interpersonnelles, aux violences etc.”
Tu bosses dans un environnement très masculin ? Partage ton expérience et tes conseils dans les commentaires.
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos podcasts. Toutes nos séries, à écouter d’urgence ici.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.