Il y a quelques jours, j’ai vu, avec quelques centaines d’autres spectateur·ices assis·es sur les bancs du Théâtre de la Ville, Angela Davis.
Même lorsque l’on ne sait pas grand-chose d’elle, que l’on entend son nom depuis l’enfance sans avoir cherché plus loin, quelque chose se passe au niveau du cœur lorsque cette femme de bientôt 80 ans, vigoureuse, douce et souriante, entre dans la pièce et se met à parler, de sa voix calme et chaude. Voici les trois enseignements que je n’avais pas vus venir, et que j’ai compris pendant cette discussion hors du temps.
Nous sommes profondément liées à nos mères de lutte
Quelle féministe, quelle militante décoloniale n’a pas déjà éprouvé une sensation d’écrasement et de solitude immenses face à l’étendue du pouvoir des oppresseurs ? L’énergie euphorisante de la lutte porte son lot de contrecoups et, parfois, il arrive de se sentir bien minuscule face à l’hégémonie de forces violentes et absurdes à l’œuvre depuis des siècles à travers le monde.
Mais à l’instant où l’on rencontre Angela Davis, une évidence s’impose à nous. On a beau être séparées par plusieurs décennies, par plusieurs milliers de kilomètres, nos luttes sont les mêmes. Le féminisme, l’antiracisme, l’anti-impéralisme et tous les combats intersectionnels ne s’éteignent pas en même temps que les militantes mais se transmettent et créent un lien de filiation entre nous.
La première chose qu’Angela Davis a dite en entrant dans l’amphithéâtre était : « Ne m’applaudissez pas, applaudissons-nous. » Refuser d’être ainsi élevée au rang d’icône, c’est se considérer comme n’étant qu’une partie d’une force militante collective, qui transcende le temps et l’espace. Angela Davis est afro-américaine, elle est née en 1944 et a vécu, entre autres, l’apartheid, les violences policières et la prison aux États-Unis. À première vue, on peut penser qu’il est impossible de s’identifier à un parcours si éloigné du nôtre. Pourtant, à la seconde où Angela Davis commence à parler, on réalise combien notre compréhension du monde, les valeurs et les idéaux qui nous animent sont les mêmes. On ne voit plus seulement une idole presque irréelle, mais une de nos mères de lutte, la preuve vivante que la résistance est bien plus forte et solide que l’on pensait.
Le féminisme est intersectionnel ou n’est pas
Sur le programme annonçant une rencontre avec Angela Davis, on lisait qu’il serait question d’une réflexion sur l’actualité des arts et de la situation politique mondiale.
À partir de ce simple postulat de départ, Angela Davis a parlé de son lesbianisme comme affranchissement du patriarcat, du rôle des musiciennes de blues comme précurseuses révolutionnaires, de la lutte contre l’antisémitisme, d’hommage à la dignité du peuple palestinien, de Jean Genet, de nombreux autres sujets.
Aussi variés ces thèmes soient-ils, cette discussion ne donnait pas l’impression d’être une énumération de sujets sans lien. Au fil de sa prise de parole, Angela Davis nous faisait éprouver l’évidence que le féminisme n’est pas une simple réforme mais une révolution. Il débarrasse la société de ses violences, raciales, économiques, homophobes, transphobes. Avec une simplicité, une humilité et une sagesse remarquables, Angela Davis apparaissait comme une personnification de ce féminisme intersectionnel, qui battait dans le cœur des militant·es bien avant notre naissance et continuera à vibrer après nous.
Le sentiment de liberté éprouvé en écoutant de la musique n’est pas une illusion
Tout en diffusant la musique de chanteuses de blues (comme Roberta Flack, Billie Holiday ou Cécile McLorin Salvant), Angela Davis a évoqué cette sensation très précise mais à laquelle on n’accorde pas toujours le crédit qu’elle mérite : celle d’éprouver un puissant sentiment de liberté en écoutant de la musique.
Pour Angela Davis, la musique n’est pas seulement un divertissement, parallèle à des choses plus « sérieuses » comme le fait d’élaborer les contours d’une société meilleure ou de militer pour qu’elle advienne. En réalité, la musique est véritablement le terreau de la révolution. La militante, professeure et écrivaine a expliqué que la musique (en particulier, la musique que l’on écoute collectivement) nous donne à voir et sentir la liberté avant même que l’on ait eu les mots, le temps, les outils pour en faire un projet politique concret.
On sent avant de savoir, et c’est ensuite de cette sensation viscérale, de cette révélation spontanée que l’on entrevoit les idéaux auquel on aspire. C’est de dans la musique que l’on tire la foi et la force de militer, pour faire advenir la liberté, même au-delà de la musique.
« Souvent, on suppose que les figures les plus importantes d’un mouvement sont les théoriciennes, les théoriciens, les oratrices, les orateurs, les organisatrices, les organisateurs. […]
Je pense que, précisément parce que l’art nous permet de ressentir les liens qui nous rassemblent et d’expérimenter collectivement des possibilités d’avenir, il joue un rôle profond dans le développement des mouvements sociaux radicaux. »
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