Avant toute chose, je tiens à préciser que je ne parlerai pas des origines, ô combien intéressantes soient-elles, du roller derby. Elise l’a déjà très, très bien fait avant moi. Je ne parlerai pas non plus des règles car le moins qu’on puisse dire c’est qu’elles sont… compliquées ! En fait je me cantonnerai à ma propre expérience de « freshmeat » (= « viande fraîche »).
Se lancer Dans le Roller Derby alors qu’on est officiellement nulle en sport depuis la 6ème
La fille qui séchait toujours les cours de sport en s’arrangeant pour se faire porter pâle les jours de piscine, c’était moi. J’en avais mal au ventre à l’idée de devoir affronter des barres parallèles, un mur d’escalade ou un ballon de volley (néanmoins moins violent qu’un ballon de basket lorsqu’on se le prend en pleine poire). Le sport, à mon grand regret, ne faisait pas vraiment partie de mon vocabulaire.
Dans la vie de tous les jours, j’étais du genre douce, posée et fuyant les conflits. Je détestais les ambiances féminines où je ne savais pas me défendre en cas d’attaque sournoise. Je me suis toujours arrangée pour me retrouver dans des filières mixtes ou à plus de 50% masculines. Je ne m’étais jamais rien cassé et rien que l’idée que ça puisse m’arriver, m’effrayait… En clair, a priori, je n’étais pas prédestinée à faire du roller derby ou même à m’y intéresser. Mais voilà, en parallèle d’une vie en apparence plutôt conventionnelle, pour ne pas dire ennuyeuse et sans actes de rébellion, je faisais aussi des trucs un peu plus rigolos comme lire madmoiZelle.com, par exemple.
Merci à Elise car c’est bien grâce à son article que j’ai pu en entendre parler la première fois. J’ai lu l’article et c’est tout ce côté underground et féminin-féministe qui m’a interpellée. L’esthétique néo burlesque et punk rock de la chose. C’est tout ce que je peux être et avoir envie d’être intérieurement derrière mes petites jupes et mes blazers bien repassés. Les affiches des matchs, les noms de catcheuses des joueuses, j’adore et j’adhère ! Je voulais me téléporter illico à Austin ! Quelques temps après, le film Bliss (Whip it) sort avec Ellen Page et Drew Barrymore. Drew Barrymore est à la réalisation. J’adore ces deux actrices. Le film parle de roller derby et est dans la lignée de « Little Miss Sunshine », promettent les critiques. Je n’ai aucune raison de ne pas m’y précipiter. Je regarde Iron Maiden et Babe Ruthless sur la piste et, subjuguée, je sens l’adrénaline remonter dans mon cerveau comme si c’était moi qui était à leur place. J’adore la BO, les filles, le coach, Bliss, le restaurant avec le cochon dans lequel elle travaille, Patch sa meilleure amie…
L’ambiance. Je n’ose pas le dire tout haut, mais moi la non-rebelle, je me reconnais là-dedans, ça m’appelle. Un jour, c’est sûr, j’irai à Austin voir un match de mes propres yeux, mais en attendant je regarde si par hasard, ça n’existe pas déjà en France. Hélas, juste après la sortie du film, je ne trouve rien de la sorte chez nous. Dommage. Je suis super déçue, en même temps est-ce que si ça avait été le cas, j’en aurais été capable ? J’ai juste un problème de coordination et une certaine difficulté à me montrer féroce et quand je vois les coups qu’elles s’envoient dans le film et les vols planés qu’elles font… L’idée finit par me sortir de la tête. Je revois le film plusieurs fois, mais je ne pense plus à faire du Roller Derby.
Entre temps, ce que j’ignore c’est que l’idée n’a pas germé que dans mon esprit et que plusieurs clubs se sont montés en France. Presque deux ans plus tard, c’est une fille à un concert qui m’en parle négligemment. Elle, elle n’en fait pas, elle trouve ça trop dur, mais ça la fait rêver. Elle s’est acheté des quads d’occasion et elle s’entraîne à rouler le week-end. A peine m’en a-t-elle parlé, que ni une ni deux je googueule la chose. C’est décidé, si ça existe, j’en ferai ! A ce moment là, je suis dans une période de ma vie où je fais une sorte de crise d’ado en retard. Je m’assume davantage et surtout j’essaie d’assumer toutes mes envies, de ne plus douter de moi, de ne plus me laisser faire, je ne saute pas les obstacles, je leur rentre dedans !
Je découvre alors que derrière la fille douce et compréhensive, il y a une nana en colère, totalement furieuse, insoumise et qui en a marre de beaucoup de choses, notamment des étiquettes ! Cette nana là, elle avait toujours été en moi, sauf que je ne la laissais pas s’exprimer. Et elle, le roller derby, ça lui parle. Elle se dit que si elle le veut, elle en sera capable. En googueulant, j’apprends qu’il va y avoir un match, une rencontre entre les trois clubs pionniers, Paris, Bordeaux, Toulouse. Je m’y rends. Sur place, ce n’est pas comme dans Bliss, mais il y a quand même toute une énergie et une effervescence qui laissent penser qu’on est aux prémices de quelque chose de plus grand. J’observe les tatouages des joueuses et de certaines personnes dans le public. Il y a des joueuses blessées dans les gradins, elles portent quand même leur maillot avec leur numéro et leur nom de derby inscrits dessus. Il n’y a pas que celles de Paris, Bordeaux et Toulouse. Je repère des joueuses de Dijon et Montpellier aussi. Tout le monde est archi looké, les arbitres, le commentateur, comme les coachs.
Les joueuses font leur entrée en musique. A part le maillot de leur équipe, elles ont toute personnalisé leur tenue, que ce soit au niveau des collants, chaussettes hautes, mini shorts et maquillage, le dress code roller derby, semble-t-il. Ce qui me frappe surtout, c’est la diversité des filles dans les gradins et sur le terrain. Il y en a des menues, des rondes, des grosses, des moyennes, des grandes, des très musclées, des rousses, des blondes, des tatouées… Il y a de tout et il y a de la place pour tout le monde ! Personne ne semble déplacé. Puis le match commence et là, tout à coup, je ressens les mêmes montées d’adrénaline que lorsque je regardais le film, mais en décuplé. Je me rends compte que ce n’est pas qu’un show super fun et du catch au féminin où les filles se mettent sur la tronche comme des bêtes enragées en minishorts.
C’est ce qui est souvent mis en valeur dans les articles et les reportages télé sur le sujet. C’est un vrai sport d’équipe, une compétition intense, avec des heures d’entraînement derrière. D’ailleurs les coups de poings et les coups de coude, entre autres, sont interdits au roller derby. Au roller derby, un match dure très longtemps, mais à aucun moment je ne m’ennuie. A l’entrée on nous a distribué un petit fascicule plutôt très bien fait pour comprendre grosso modo les principales règles. Comme je l’ai dit, c’est plutôt compliqué, mais ça n’empêche pas d’être totalement embarqué dedans ! Les parisiennes sont impressionnantes, je les trouve toutes belles et sûres d’elles, jusque dans leur manière de se déplacer. D’ailleurs toutes les filles présentes dans le gymnase ont l’air de sacrément s’assumer.
Et toutes les filles dans le monde en général devraient s’assumer de cette manière, je trouve. Qui ne voudrait pas être comme elles ? C’est la question que je n’arrête pas de me répéter à ce moment là.
Comment je suis montée sur des patins et que mon postérieur ne m’a pas dit merci
Permettez-moi une courte ellipse dans le temps. J’ai trouvé un club où m’entraîner. Je fais désormais partie des freshmeats, les débutantes en fait. Je m’étonne moi-même en réalisant que je me suis achetée des quads et que désormais j’essaie de rouler avec. Je suis fière de moi, mais en même temps je me traite d’inconsciente et je me demande bien ce qui m’a pris. Vous vous rappelez, je vous avais parlé d’un problème de coordination ? J’ai pris confiance en moi, mais mon problème de coordination, lui, il est toujours là. Rien qu’avancer sur des roues semble apparemment totalement aberrant à mon cerveau et mes jambes. Je regrette amèrement de ne pas avoir les fesses rembourrées. J’ai l’impression que c’est comme lorsque j’ai dû apprendre à marcher. Mes géniteurs m’ont raconté que j’avais galéré, à l’époque déjà je me déplaçais plutôt sur mon séant !
Le plus frustrant, ce sont les autres freshmeats : certaines galèrent autant que moi, voire plus, mais pour d’autres ça paraît totalement inné. Mais peu importe ces autres finalement, je me suis lancée un défi à moi-même et il est hors de question que je baisse les bras si vite. Et puis ce qu’on ne nous dit pas lorsqu’on voit le film, c’est le prix de l’équipement. C’est un petit investissement tout de même et rien que quand je regarde mes quads et toutes mes protections en repensant au coût total, ça me remotive direct ! Pour moi et pour d’autres, il nous a fallu néanmoins plusieurs heures avant de pouvoir enfin avancer avec sans se croûter tous les deux mètres.
Quand on y arrive enfin, on est contente… et on a une belle collection de bleus et de courbatures ! Sauf qu’avancer c’est une chose, mais ça ne suffit clairement pas pour faire un match. Il faut savoir tourner, freiner, sauter, patiner à reculons, prendre de la vitesse, rouler les coudes collés au corps sans agiter les bras dans tous les sens… Finalement à force de m’entraîner, je constate que petit à petit, rien n’est vraiment impossible. Nous avons chacune des facilités pour certaines choses, des difficultés pour d’autres, pas forcément le même temps d’apprentissage, mais en s’y mettant vraiment, on finit forcément par y arriver petit à petit.
Et c’est lorsque je fais ce constat que tout est à ma portée si je bosse, que je me mets à vraiment aimer ce sport. J’acquiers même des techniques plus rapidement que ce que j’aurai pensé. Je n’ai pas le temps de me décourager, parce que j’observe assez vite mes progrès. Pas besoin d’avoir commencé à quatre ans ou de posséder des aptitudes physiques particulières. Etre motivée pour s’entraîner assidûment suffit, et ça, c’est ce que j’appelle une vraie valeur sportive. Le roller derby, ce n’est pas un sport facile, mais c’est un sport qui est ouvert à n’importe qui. Pour citer plus ou moins la pub Macdo, « venez comme vous êtes ! », j’ai envie de dire. Un sport comme ça, c’est plutôt génial, non ? Sans parler du fait qu’au niveau physique, on voit très rapidement les résultats
. Penser « fessier bombé », « cuissots en acier » et « tablettes de chocolat », ça aussi ça motive à ne pas lâcher.
Et il y a les « minimum skills » ! Ce sont les connaissances exigées pour passer au niveau supérieur, sachant qu’il y a trois niveaux en tout, les débutantes, les intermédiaires et les confirmées. On peut retrouver une liste de ces minimum skills sur le groupe facebook et le site de la WFTDA (Women’s Flat Track Derby Association), ainsi que des règles du jeu pour celles que ça intéresse. Autant dire que quand on est une freshmeat, on est très pressée d’obtenir suffisamment de minimum skills pour pouvoir enfin jouer un match et entendre son nom de derby au micro du commentateur !
Convaincre votre entourage que le Roller Derby c’est trop super et que vous êtes toujours une vraie fille
Au niveau de ma famille, ma mère a pensé roulettes = chutes + danger + fracture du coccyx et du crâne. Et encore, elle pensait seulement au fait que j’allais me déplacer sur des roues, elle ne visualisait pas encore un match où les filles se donnent des coups de hanches et d’épaules pour dégager leurs adversaires de la piste. Quand j’ai expliqué qu’on pouvait se blesser dans tous les sports et pas seulement au roller derby et que j’ai souri de toutes mes dents pour les inciter à me croire sur parole, c’est justement ce que mes parents ont vu… Mes dents.
C’est qu’ils ont sacrément investi en argent et en années d’orthodontie pour m’obtenir ce joli sourire-là et ça a beau avoir été très bien remboursé, ça ne les a pas rassurés pour autant, surtout le jour où je suis allée me commander un protège-dents sur internet, protection indispensable pour pouvoir jouer. Ce qui est cool c’est qu’on peut le personnaliser et choisir les couleurs ! Le mien est super fun, presque joli. Ça m’a fait autant plaisir que quand j’ai commencé à me constituer une collection de collants, de t-shirts wtf et de chaussettes montantes pour les entraînements. Au roller derby, le style c’est très important… Après, si ça c’est pas un vrai sport de nanas…
Justement, le plus étonnant ça a été la réaction des mecs. Il y a ceux qui sont franchement intéressés et à qui ça donne envie de jouer et pour une fois, c’est moins facile de trouver une équipe masculine qu’une équipe féminine. Je crois qu’en France, pour l’instant on ne peut en trouver qu’à Toulouse. Il y en a encore d’autres dont les yeux se mettent à briller en pensant à la concentration de filles libérées en minishorts que cela doit générer. C’est plutôt rigolo de devenir un sujet de fantasme plutôt à côté de la réalité. Enfin, il y a ceux qui ne comprennent pas. Ceux-là, ils m’ont laissée sans voix.
Parmi eux, certains dragueurs qui m’abordent en pensant s’adresser à une fille douce et féminine, ce que je suis sans complexe dans la vie de tous les jours. Et puis vient dans la conversation le moment où on parle hobbies, histoire de meubler les blancs. Forcément je parle du roller derby. J’explique ce que c’est et là, le regard du mec change. C’est assez dingue : je passe de la fille douce, féminine, propre sur elle, au cliché de la lesbienne tatouée, camionneuse et marginale ! D’abord, du fait du caractère encore underground du truc, ils ont du mal à le concevoir comme un sport à part entière et c’est franchement désolant. Ensuite, donner des coups pour une fille, ça leur semble totalement contradictoire.
Alors que non en fait, le roller derby, c’est bien un truc féminin ! Dans le sens où l’on trouve des princesses, des camionneuses, des marginales, des lesbiennes, des hétéros, des artistes, des fonctionnaires, des étudiantes, des chômeuses, des mères de famille… Et c’est ça la féminité, non ? Ce n’est pas un modèle unique ! D’ailleurs, être perchée sur des roulettes pendant les entraînements, n’empêche pas de se percher sur des talons le reste du temps, bien au contraire !
Se rendre compte au bout de quelques entrainements qu’on est encore vivante (et entière)
Je ne dirai pas que le roller derby a changé ma vie, loin de là, c’est juste que maintenant ça en fait partie et je m’y trouve très bien. C’est un sport qui véhicule des valeurs auxquelles je croyais déjà beaucoup avant d’y être. C’est une activité qui demande beaucoup d’investissement, mais qui est aussi franchement marrante et réellement inscrite dans une culture très punk rock, ce qui lui donne clairement un truc en plus par rapport à d’autres sports. Ça se popularise de plus en plus en France, j’ai lu des articles sur le sujet dans le Monde et les Inrocks et de temps en temps il y a des petits reportages télé…
Et puis il n’y a qu’à voir le prix des patins entrées de gamme qui a augmenté en à peine quelques mois. Je sais qu’il y en a qui craignent qu’à force d’attirer du monde, ça risque de perdre tout le côté underground qui en fait le charme, mais en même temps on y gagnera peut être aussi de vraies infrastructures pour les compétitions et les entraînements et moins d’incompréhension.
Et au fond, plus on est de fous, plus on rigole, hein ? Alors celles qui n’ont jamais encore trouvé chaussure à leur pied en matière de sport, c’est peut être qu’il est temps d’essayer d’enfiler des patins ! Et pourquoi pas de monter un club s’il n’y en a pas encore près de chez vous…
— Le Roller Derby à la sauce masculine sur GentleMec — Le Roller Derby, du sang sur la piste sur madmoiZelle
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Je cherche des filles motivées pour monter une équipe sur Cherbourg! On est déjà 5-6, on vas donc commencer à monter ce beau projet, n'hésitez pas!!