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Psychologie des tempêtes : pourquoi certains ne s’enfuient pas ?

Tempêtes, ouragans et autres catastrophes naturelles : Justine se penche aujourd’hui sur ceux qui choisissent de ne pas quitter leur foyer en période de crise.

Alors que la Louisiane et le Mississipi viennent d’affronter Isaac, revenons ensemble sur ce que l’on pourrait appeler « la psychologie des tempêtes » : comment les gens vivent-ils une telle expérience ? Pourquoi certains quittent tout pour se mettre à l’abri quand d’autres restent dans leur maison ? Comment perçoit-on ces décisions de l’extérieur ?

Nicole M. Stephens, docteure en psychologie sociale, a mené (avec al., vous-mêmes vous savez) une recherche auprès d’observateurs et de survivants de l’ouragan Katrina pour tenter de comprendre leurs perceptions et vécus des évènements. Son étude s’est déroulée en deux phases : la première analyse la manière dont 461 observateurs perçoivent les survivants ayant évacué ou étant restés à la Nouvelle Orléans, tandis que la seconde examine la façon dont 79 survivants eux-mêmes parlent de leurs expériences.

Comment les observateurs perçoivent­-ils les survivants d’un ouragan ?

Dans l’article tiré de cette étude (cf. « Pour aller plus loin »), les auteurs reviennent sur les propos de Michael Brown, directeur de l’Agence Fédérale de Gestion d’Urgences (Federal Emergency Management Agency – je ne sais pas exactement à quelle fonction renvoie ce titre ronflant, mais j’imagine qu’on est face à un bonhomme qui a un rôle plutôt important), qui s’est un peu lâché en parlant du nombre de morts : « Cela va être attribuable pour beaucoup à ceux qui… ont choisi de ne pas partir ». En gros, hé, les victimes seraient responsables de leurs propres sorts et de leurs souffrances.

Alors quoi, est-ce que ceux qui sont restés chez eux n’ont pas agi de façon appropriée ? Seraient-ils à blâmer pour un « choix » ? Y aurait-il une « bonne » manière, une façon « rationnelle » de réagir face à la menace d’une catastrophe naturelle ?

Parmi les 461 « observateurs » interrogés par Stephens et son équipe, on trouve :

  • 144 travailleurs humanitaires qui ont eu un contact direct avec les survivants et ont passé en moyenne 3,5 semaines sur les lieux menacés par l’ouragan
  • 317 « observateurs lointains/profanes », qui n’ont eu aucun contact direct avec les survivants et ont observé les conséquences de l’ouragan de loin.

Chacune de ces personnes doivent effectuer les deux tâches suivantes :

  • Donner trois mots pour décrire les survivants qui ont évacué et trois mots pour décrire ceux qui sont restés
  • Lire deux vignettes, l’une à propos d’un survivant ayant évacué, l’autre à propos d’un survivant étant resté. Les descriptions personnelles sont identiques pour les deux survivants (qu’il soit « leaver » ou « stayer », il est toujours décrit comme sympathique, travailleur, responsable). En revanche, la vignette concernant celui ayant évacué explique que celui qui part a les ressources nécessaires pour quitter les lieux (« Il va chez un ami en attendant que l’ouragan passe »), tandis que celle à propos du survivant étant resté souligne que celui-ci n’a pas les ressources nécessaires pour partir (« Il n’a pas d’amis ou de famille en dehors de l’aire menacée par l’ouragan »). Les participants doivent alors répondre à une question : « Étant donné la situation, dans quelle mesure le comportement du survivant a-t-il du sens ? ».

Verdict : les survivants restés chez eux sont majoritairement décrits par des termes négatifs, qui se réfèrent souvent à l’inaction. Ils seraient passifs, irresponsables, fous, paresseux, irréfléchis, désespérés, désorganisés, vaincus… À l’inverse, les survivants ayant évacué les lieux récoltent les lauriers et sont perçus comme indépendants, autosuffisants, responsables, travailleurs, consciencieux, préparés…

Autrement dit, même lorsque les observateurs savent que certains survivants ne pouvaient pas partir, n’avaient pas les ressources nécessaires pour fuir (comme indiqué sur la vignette), ils utilisent tout de même des jugements négatifs à leur encontre. Classique : « blâmons la victime».

Tous les observateurs, travailleurs humanitaires ou quidam lointain, ont-ils les mêmes réactions ? A priori, nous pourrions penser que les travailleurs humanitaires, ayant eu un contact direct avec certaines victimes, auraient un jugement moins stéréotypé. C’est relativement le cas pour la première partie de leur « interview » : ils utilisent en effet des termes moins négatifs pour décrire les survivants « restés » et des termes moins positifs pour parler des survivants « partis ». En revanche, ces travailleurs humanitaires répondent à la seconde question (« Dans quelle mesure le comportement du survivant a-t-il du sens ») de la même manière que les observateurs lointains : pour tous, les actions des survivants ayant évacué ont plus de sens – encore une fois, même en ayant lu que les survivants restés sur place n’avaient pas les moyens matériels de partir.

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Pourquoi encensons-nous les uns et descendons-nous les autres ? Pour les auteurs, et selon la psychologie sociale, cela aurait à voir avec le concept de « croyance en un monde juste ». Pour vivre confortablement dans nos petites têtes, nous aurions tendance à penser que le monde n’est pas aléatoire, imprévisible et injuste et que chacun recevrait ce qu’il mérite et mériterait ce qu’il lui arrive.

Lorsque nous sommes face à une victime innocente, ça vient coller un sacré bordel dans nos têtes et nous avons besoin de développer des stratégies pour rétablir l’équilibre, pour continuer à croire que le monde est juste. Par exemple, nous blâmerons la victime – soit un blâme comportemental (la victime est jugée par rapport à ce qu’elle a ou n’a pas fait), soit par un blâme moral (la victime est dévaluée sur ce qu’elle est).

Dans notre cas, puisque les survivants sont décrits en termes négatifs et que leur comportement est jugé comme incohérent, inadéquat : banco pour les deux types de blâmes.

Mais alors… pourquoi certains ne s’enfuient-ils pas ?

Trois mois après le passage de Katrina, Stephens et sa troupe de chercheurs ont interviewé 79 survivants. Pendant une heure et contre une compensation financière de 50$, chacun de ces rescapés a décrit son expérience avant, pendant et après l’ouragan.

Pourquoi certains ont-ils suivi les ordres des autorités et évacué les lieux, pourquoi d’autres sont restés à leur domicile ?

Des facteurs pratiques

C’est si évident que l’on pourrait presque l’oublier : la première raison est matérielle. Lors de l’ouragan Katrina, les survivants ayant évacué leur ville faisaient généralement partie des classes moyennes et supérieures, alors que les survivants restés sur place étaient des individus de classes ouvrières.

Les survivants n’ayant pas quitté leur foyer sont majoritairement restés parce qu’ils manquaient de ressources pour s’enfuir : ils n’avaient pas d’argent, pas de moyen de transport, pas de proches en lieu sûr chez qui se réfugier. En d’autres termes, ils n’avaient pas d’autre choix que celui de faire face.

La situation des survivants ayant évacué les lieux est à l’exact opposé de tout ça : ceux-là ont plus d’argent, un plus grand accès aux transports, plus de réseau à mobiliser et un accès facilité aux informations en temps réel (pour suivre l’évolution de la dangerosité de la tempête). Ils sont également plus mobiles, ils ont plus d’expériences de déplacement ; en ce sens, ils auront une plus grande capacité à planifier leur départ. À l’inverse, si vous avez passé toute votre vie dans la même communauté, dans la même ville, vous ressentirez plus d’attachement à votre maison, à votre lieu de vie et serez moins à l’aise, moins équipé pour suivre rapidement les ordres d’évacuation.

Des facteurs psychologiques

Reste que même en ayant toutes les ressources matérielles nécessaires, cela ne signifie pas que nous envisagerons de partir à coup sûr. Sur les 79 survivants approchés par Stephens, certains auraient pu partir, mais n’ont pas eu « le cœur » de le faire.

Pour expliquer leur comportement, les survivants qui ont évacué insistent sur la notion de choix, d’indépendance, de contrôle. Ils disent plus souvent que les autres avoir envisagé le risque lié à l’ouragan et s’être concentré sur le futur (l’un d’entre eux dira par exemple « J’ai commencé à planifier. J’ai immédiatement pris mon téléphone et appelé des hôtels »). Ils mentionnent aussi une peur de perdre leur indépendance à cause des conséquences de l’ouragan.

Les discours des survivants restés sur place sont radicalement différents et soulignent plutôt une idée de force, d’interdépendance avec autrui, de foi, de croyance en Dieu. Ces survivants expriment leur souhait de « faire attention aux autres » (« Nous sommes dans ce monde ensemble, et nous sommes plus forts ensemble ») : je suis jeune et en bonne forme, et si quelqu’un de plus faible avait besoin de moi ?

Autre phénomène psychologique : les personnes qui vous donnent l’ordre d’évacuer, vous ne les connaissez ni d’Ève, ni d’Adam, vous les entendez simplement à la radio. Parfois, croire des inconnus peut sembler plus dangereux, plus incongru que de rester avec vos voisins, vos amis, vos proches… Il y a également un effet « Pierre et le loup » : les habitants des régions touchées par Katrina sont souvent familiers des alertes ouragans, et cette habitude peut amener à minimiser l’ampleur probable de la tempête.

En somme, le public, vous, moi et Michael Brown, aurions une bonne vieille tendance à nous demander « Pourquoi ont-ils choisi de rester ? Pourquoi ont-ils fait un « mauvais » choix ? », suggérant ainsi implicitement que les victimes étaient libres et non contraintes par leurs contextes… Alors que, selon la conclusion des auteurs, la question devrait plutôt être « Quelles actions étaient possibles dans un contexte de ressources limitées ? ». Peut-être que ceux qui sont restés n’avaient pas l’impression d’avoir le choix, ni physiquement, ni psychologiquement.

Pour aller plus loin :


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Les Commentaires

6
Avatar de Lady Stardust
3 septembre 2012 à 21h09
Lady Stardust
des lieux plus protégés (abris anti tempêtes/ouragan ou stades)

Arianrhod Entasser des gens dans un stade qui se trouve dans la ville touché par un ouragan, peut-on vraiment appeler ça une évacuation? Car si on suit ton raisonnement, les 10000 personnes réfugiées dans le Superdome ont été évacuées? Quand on voit le résultat!

Idem, c'est bien gentil d'avoir des bus gratuits pour évacuer la ville, mais si les gens n'ont pas de proches pour les héberger ou d'argent pour se payer un hôtel, l’intérêt est tout de même un peu limité...
Bien sûr qu'ils y a des personnes âgées qui préfèrent rester coûte que coûte, mais bon, là dans le cas de Katrina, la force de l'ouragan avait été complètement sous-estimée, ou au moins en tout cas le fait que les digues péteraient.

Je conseille à tout le monde de voir le documentaire de Spike Lee sur Katrina en 4 parties, c'est vraiment édifiant!
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Voir les 6 commentaires

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