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Actualités mondiales

Procès Breivik : les experts psy témoignent

Le procès d’Anders Breivik, le terroriste norvégien d’extrême-droite, est actuellement en cours. Justine vous explique les tenants et les aboutissants des expertises psychiatriques menées par des médecins.

Cette semaine, mes chouettes, nous allons aborder un sujet sensible : aujourd’hui, lundi, nous sommes au 34ème jour du procès d’Anders Breivik, auteur de l’attentat d’Oslo et des tueries d’Utøya de juillet 2011.

Pour l’heure, lors de la première partie du procès, et grâce notamment aux livetweets de @VisionsCarto et @P_Deshayes (qui, au passage, font un boulot monstre – merci), nous avons pu suivre les témoignages de survivants, d’historiens/politologues et de certains adeptes d’extrême-droite (ces derniers, s’ils sont difficilement supportables à l’oreille, sont malgré tout nécessaires pour « comprendre » le contexte idéologique dans lequel s’inscrit Breivik).

Depuis vendredi, des experts psychiatres et psychologues se rendent à la barre, afin de donner quelques éléments pour comprendre ce qu’il s’est passé et évaluer si Breivik peut être tenu responsable de ses actes ou non (ce qui déterminera le type de peine encouru). Ces avis et expertises n’ont qu’une valeur consultative – la décision reste entre les mains des juges.

En récapitulant rapidement : si Breivik est reconnu pénalement irresponsable, il risque l’internement psychiatrique (probablement à vie) ; tandis que s’il est tenu pénalement responsable de ses actes, il pourrait encourir une peine de 21 ans de prison (en Norvège, cette peine maximale peut être prolongée aussi longtemps qu’il sera jugé dangereux).

Breivik, qui plaide « non coupable » (estimant que ses actes relèvent de la « légitime défense » – sic), souhaite être reconnu pleinement responsable de ses actions, ce qui permettrait selon lui à son idéologie d’être « validée » (re-sic).

Les premiers rapports psychiatriques : des conclusions opposées

En novembre dernier, un premier rapport avait été rendu par deux psychiatres : Husby et Sørhein, après 13 entretiens conjoints avec Breivik (d’une durée totale de 36 heures), avaient conclu que celui-ci était psychotique et atteint de « schizophrénie paranoïde ».

Quelques temps plus tard, une contre-expertise a été commandée par la justice. Deux psychiatres, Torrissen et Aspås, en se basant sur 37 heures d’entretiens avec l’extrémiste et les rapports du psychiatre et des membres de l’équipe ayant observé Breivik dans les activités à la prison d’Ila, affirment pour leur part qu’il n’y aurait aucun signe de psychose chez ce dernier – qui auraient plutôt des tendances « asociales » et « narcissiques ».

Face à ces rapports opposés, la cour a nommé une commission médico-légale, dont les conclusions ne sont pas connues à ce jour.

Les conclusions différentes ne remettent pas en cause les compétences de ces professionnels : un diagnostic peut tout à fait changer en fonction de ce qu’on observe, de ce qu’on interprète, des critères que l’on prend en compte, des réponses et comportements du sujet étudié (qui peuvent varier selon les contextes et les interlocuteurs) – sans compter que Breivik ayant affirmé avoir lu le 1er rapport dans les médias, il aurait pu s’adapter lors du 2ème

rapport.

La déposition d’Ulrik Fredrik Malt

Le professeur en psychiatrie Ulrik Fredrik Malt, témoignant pendant plus de 7 heures vendredi, a souligné la complexité du travail de ces experts : Breivik doit être considéré comme un sujet, non comme un monstre, et les professionnels de la santé mentale doivent être attentifs au risque d’un « effet halo » (comme tout un chacun, les psychiatres/psychologues ont pu être bouleversés par les actes de Breivik, ce qui pourrait avoir une influence sur l’évaluation – il faut y prendre particulièrement garde).

Malt insiste également sur l’importance du contexte dans lequel se trouvait Breivik : pour déterminer si ses comportements et attitudes relèvent d’un état pathologique, il faut tenir compte de ses références politiques, il faut replacer ses perceptions dans un contexte culturel. C’est là que le bât blesse : dans certains milieux d’extrême-droite, le discours de Breivik n’est pas un discours déviant.

Le psychiatre, qui n’a pas rencontré Breivik en chair et en os, n’est vraiment d’accord ni avec la première expertise, ni avec la seconde.

Selon lui, il serait insuffisant de déclarer que l’auteur des tueries aurait de « simples » troubles de personnalité – le fait que Breivik parle avec désintérêt des évènements, s’exprime toujours en terme de pourcentages et écrive un manifeste de 7 000 pages (ensuite réduit à 1 500) sont les indices potentiels d’un état pathologique.

utoya

Toutefois les critères de base pour poser un diagnostic de schizophrénie ne sont pas remplis (Breivik n’a pas de discours « incohérent », il ne semble pas avoir d’hallucinations, il s’exprime de façon « compréhensible »). Breivik a des fantasmes narcissiques de grandeur et de toute-puissance indéniables, mais est-ce parce qu’on a des « délires grandioses » qu’on est schizophrène paranoïaque ? Pas forcément non plus (d’autant plus que cette vision du monde se retrouve dans la littérature idéologique de son bord). Et puisque Breivik semble avoir conscience de la cruauté de ses gestes (même s’il ne les regrette pas), puisqu’il a pu dire qu’il craignait de « craquer » lors du procès, le diagnostic de « psychose paranoïaque » ne serait pas valide non plus.

Pour Malt, les idées délirantes apparaîtraient lorsqu’un individu se sentirait en danger, menacé par quelqu’un qui vient de l’extérieur. Le sujet développerait alors une idéologie autour de cette menace perçue et aurait « une perception illusoire du monde ». Mais l’on peut avoir des délires sélectifs et fonctionner normalement pour le reste…

Sans trancher et prendre parti, par manque de données, le professeur explique qu’il serait possible que Breivik souffre d’une psychose paranoïaque, d’un syndrome de Tourette, d’un syndrome d’Asperger, d’un fort trouble de la personnalité narcissique… Et termine son témoignage en ces termes : « Ce n’est pas seulement un monstre démoniaque d’extrême droite avec lequel nous sommes ici en ce moment, mais avec un autre être humain, en dépit des souffrances qu’il a infligées à beaucoup d’autres, nous que nous devons essayer de comprendre. C’est une tragédie pour la Norvège, pour nous, mais c’est aussi une tragédie pour Breivik« .

Les prochaines dépositions

Jusqu’en milieu de semaine, une quinzaine d’experts devraient se succéder à la barre – dont une minorité seulement pencherait en la faveur du premier rapport diagnostiquant une psychose. Pour la plupart des psychiatres et psychologues mobilisés, les actes de Breivik ne seraient que l’expression d’une idéologie extrême et son comportement serait bien trop « cohérent » pour être associé à des hallucinations, des délires psychotiques.

Aujourd’hui, la matinée a commencé avec la déposition d’Einar Kringlen, professeur de psychiatrie à l’Institut de médecine clinique de l’Université d’Oslo. Dans les premiers temps, Kringlen considérait que la planification des attaques allait dans le sens d’un diagnostic de psychose (Breivik avait son « projet » en tête depuis plusieurs années) et était d’accord avec le premier rapport. Mais en suivant le procès, le psychiatre réalise que ce rapport ne prend pas en considération les croyances idéologiques. Pour Kringlen, ces croyances changent absolument la manière dont on peut considérer Breivik : ses propos sont compréhensibles (même s’ils sont horribles à entendre), Breivik a une pensée extrême mais ne montrerait pas de rupture avec la réalité… En évoquant l’Holocauste, Kringlen note que « le Mal ne s’explique pas toujours par la maladie« .

L’hypothèse est partagée par d’autres corps de métiers : Tore Bjorgo, spécialiste du terrorisme et de l’extrême-droite en Norvège déclaire ainsi que « Le fait qu’il se croit en guerre civile n’a rien de paranoïaque. C’est une idée partagée par d’autres. Ce n’est donc pas l’expression d’un état psychiatrique individuel, mais bien de l’appartenance à un mouvement social extrême« .

Reste à comprendre la problématique du passage à l’acte – ce que les prochains témoigagnes nous aideront peut-être à éclairer.

Pour aller plus loin :


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Les Commentaires

5
Avatar de Mistake
12 juin 2012 à 16h06
Mistake
Justement, la vraie question est là : est-il vraiment malade au sens propre du terme ?

Apparemment même les médecins n'arrivent pas à le savoir et pas sur qu'ils y arrivent d'ici la fin du procès vu comment c'est parti...
Dans tous les cas, malade ou pas, il y a quand même quelque chose qui cloche chez lui même si ça n'est pas pathologique.
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