Quand j’étais jeune adulte, j’ai rencontré un garçon. C’était mon premier copain, et j’ai mis quelques temps à comprendre que nombre de choses dans notre relation n’étaient pas « normales ».
En public, je devais être dans son ombre. Je devais me taire — il me le faisait comprendre en serrant ma main, ou en me regardant d’une certaine manière. À chaque sortie, je devais lui envoyer un message pour lui dire où, avec qui, à quelle heure j’allais rentrer. Nous vivions séparément, mais je n’avais pas vraiment le droit de faire ma vie seule. Lorsque j’étais avec des amies, il m’appelait toutes les minutes et si je ne répondais pas, il me menaçait.
« Tu vas voir, quand tu vas rentrer. »
Un comportement violent et abusif, avant et après la rupture
En entendant ça, je rentrais vite. Il ne m’avait jamais porté de coups, mais il cassait des objets, les jetait, tapait dans les murs… J’avais peur qu’il finisse par me frapper, moi.
Il me faisait du chantage affectif aussi, notamment pour avoir des rapports sexuels. À ce moment-là, je pensais que c’était normal, dans une relation. C’est bien plus tard qu’on m’a expliqué que personne ne peut nous forcer à avoir des rapports, que céder n’est pas consentir.
Après deux mois, j’ai commencé à comprendre qui était ce personnage, et j’ai essayé de rompre avec lui.
Essayé, car à chaque fois, il refusait la séparation. Il me faisait du chantage affectif, du chantage au suicide, ne me rendait pas son double des clefs de mon appartement… Et moi, je me sentais obligée de revenir.
Il m’a fallu du temps pour en parler autour de moi : il contrôlait tout, et je devais faire ce qu’il voulait sans avoir mon mot à dire, sans me plaindre. Jusqu’au jour où j’ai réussi à tout dire à mes amis, qui m’ont aidée à le faire partir de chez moi pour de bon.
C’était la cinquième fois que j’essayais de rompre avec lui, et cette fois-ci, la rupture a été actée.
Le début du harcèlement
C’est le début du harcèlement, mais je ne mets pas de mots là-dessus immédiatement.
Il a commencé par me demander régulièrement des « services », en sachant que je ne refuserai pas de l’aider dans des situations difficiles. Il de demandait s’il pouvait venir prendre une douche chez moi parce qu’il avait un problème chez lui, cherchait des raisons de passer pour une raison ou pour une autre. Il me proposait de sortir ou d’aller manger.
En fait, il se comportait comme si on était encore ensemble, et comme si je n’avais pas à lui refuser quoi que ce soit.
J’ai fini par me dire que si je lui répondais chaque fois, ça ne s’arrêterait jamais, et j’ai essayé de couper le contact. Alors il a commencé à m’appeler en permanence, à toute heure, jusqu’à plus de 60 fois dans une journée. Il passait devant chez moi le soir ; s’il voyait de la lumière chez moi, il m’appelait pour que je lui ouvre en me disant « Je sais que tu es chez toi, je le vois ». Je le voyais m’espionner, alors je décrochais mon téléphone pour éviter qu’il ne vienne sonner chez moi.
C’est en en parlant autour de moi et devant les réactions des autres que j’ai compris que c’était du harcèlement.
« J’ai commencé à vivre avec les volets fermés »
J’ai commencé à laisser mes volets fermés en permanence, et à vivre dans le noir parce que je savais qu’il pouvait m’espionner. Parfois, je n’entendais plus parler de lui pendant deux jours et j’espérais qu’il cesse, mais il finissait toujours par recommencer.
Après plusieurs mois, le temps est devenu long et il ne s’arrêtait pas. Pour essayer de lui faire peur, je lui ai dit que j’allais porter plainte, que c’était du harcèlement, mais rien n’a changé. Alors je l’ai bloqué, pour pouvoir respirer un peu.
Pour contourner ce blocage, il s’est mis à m’appeler en masquant son numéro, ou à m’appeler depuis le portable de ses collègues. À m’écrire ou à me laisser des messages vocaux en me demandant de le débloquer, en me disant :
« Débloque moi juste pour cette fois-ci, je dois te dire quelque chose. Ensuite, j’arrêterai pour de bon. »
Ce n’était qu’un moyen de plus de m’obliger à lui répondre, mais plusieurs fois, je suis tombée dans le panneau. J’avais beau lui dire que je ne voulais plus lui parler, que j’avais besoin qu’il me laisse tranquille, que c’était trop, rien n’y faisait.
Quand je ne répondais pas, il venait sonner à la porte de mon immeuble, pour me faire comprendre qu’il était là. Je ne pouvais qu’éteindre toutes les lumières chez moi, baisser le son de ma télé, m’asseoir et attendre qu’il parte. Même si je ne lui ouvrais pas, il arrivait qu’il sonne chez les voisins, pénètre mon bâtiment et finisse devant ma porte.
Il a aussi commencé à venir devant mon travail, car il connaissait mes horaires. Il m’attendait à mon arrêt de bus, au pied de mon immeuble. Le tout, plusieurs fois par semaine. J’en étais venue à organiser mes sorties en fonction de son planning à lui aussi, et je faisais tout pour sortir aux heures où il dormait.
Il arrivait que je le croise quand même, parfois. Dans les endroits où j’étais entourée de monde, il ne s’approchait pas : je l’avais menacé en lui disant que s’ il essayait de le faire, je crierais. Mais si j’étais seule, en bas de mon immeuble, par exemple, rien ne le retenait et il courait jusqu’à moi.
Un comportement terrifiant, aux conséquences douloureuses
C’est arrivé à un point où je ne sortais presque plus, mis à part pour me rendre au travail. Plus de cinéma, plus de shopping — je trouvais toujours une excuse pour décliner ce qu’on me proposait. Si je voulais aller dîner avec mes copines, je ne sortais jamais seule de mon immeuble : je faisais en sorte qu’elles viennent me chercher chez moi.
Sans savoir ce qui se passait, mes amies venaient, mais ne comprenaient pas tellement… Jusqu’au moment où j’ai fini par leur en parler. Elles ont essayé de prendre contact avec lui pour le faire cesser, en vain.
De plus en plus isolée — ce qui était son but — je n’arrivais plus à parler avec des hommes, qu’ils soient des amis ou des partenaires potentiels. Je me disaient qu’ils allaient tous me faire subir la même chose ; que quoi qu’il arrive, mon ex serait toujours derrière moi, à me suivre. L’idée même d’être en contact avec un homme me stressait, et je savais qu’il m’en ferait payer les conséquences. Je ne pouvais plus m’imaginer rencontrer quelqu’un d’autre.
Presque un an après le début de ces faits, je me suis rendue au commissariat pour déposer une main courante. J’ai tout expliqué au policier qui m’a reçue, qui m’a répondu :
« Pour nous, ce n’est pas du harcèlement, c’est juste un ex qui n’arrive pas à accepter la rupture. Il s’arrêtera un jour. »
La longue bataille pour déposer plainte
J’y suis retournée quelques mois après, pour le même motif, et la personne qui m’a reçue m’a répondu la même chose.
On m’a demandé si il m’avait agressée, si il avait brisé des objets ou causé des dommages, et quand je répondais que non, on me disait qu’il n’avait rien fait de mal pour l’instant, que la police ne pouvait rien faire.
J’ai fini par rencontrer mon copain actuel, avec qui il m’a fallu beaucoup de temps pour me sentir en confiance. J’ai eu peur de lui parler du harcèlement que je subissais, peur qu’il parte à cause de ça. Quand je lui ai tout dit, il a très bien réagi, et m’a proposé que de retourner au commissariat — ensemble cette fois-ci.
Mais moi, j’y étais déjà allée deux fois et on ne m’avait pas écoutée, alors je repoussais l’échéance. J’avais l’impression que ça n’en valait pas la peine.
Sauf que le harcèlement ne s’arrêtait pas, et que mon harceleur faisait tout pour essayer de nous faire rompre, mon copain et moi.
Après deux ans, le harcèlement a cessé
Après deux ans, les appels et le harcèlement ont cessé. Je peux désormais respirer un peu plus librement.
Je crois que deux facteurs ont joué pour mettre fin à ce calvaire.
Quelques semaines auparavant, j’avais décidé d’aller porter plainte pour la troisième fois. Je ne suis pas allée dans le même commissariat que d’habitude ; cette fois-ci, je suis tombée sur une policière qui m’a tout de suite reçue dans son bureau. Elle m’a écoutée, je lui ai montré les messages et les appels sur mon téléphone, et elle a rédigé une plainte.
Un mois plus tard, j’ai été reçue pour ajouter des pièces au dossier, et on m’a informée que mon harceleur serait auditionné.
En parallèle, sous le coup de la colère, j’ai fini par raconter tout ce qu’il me faisait vivre sur Twitter. Le tweet est devenu viral, et je pense qu’il est arrivé aux yeux de sa famille — que j’avais déjà essayé de contacter pour leur demander de l’aide, mais auprès de laquelle il me faisait passer pour « folle ». Je crois qu’il leur disait que c’était moi qui lui avait fait du mal, qui le harcelait.
Une expérience traumatisante, qui n’est pas encore terminée
Quand j’ai appris qu’il avait été auditionné par la police, j’ai eu très peur. Peur qu’il m’attrape dehors, qu’il soit violent et que je ne puisse pas me défendre. Au départ, je pensais que cette procédure me rassurerait mais dans la pratique, je crains qu’il n’essaie de se venger.
J’essaie d’être accompagnée par mon copain le plus souvent possible, pour ne pas être toute seule. Ça me stresse beaucoup. Du côté de ma plainte, la procédure avance mais je ne sais pas encore quand elle aboutira, et ce qui se passera ensuite.
Aujourd’hui, je sens bien que je suis encore marquée par ce qu’il m’a fait subir : je sursaute très souvent quand mon copain m’approche ou me touche, alors même que je sais qu’il est à côté de moi. Je m’enferme à clefs dans toutes les pièces dans lesquelles je rentre, par réflexe…
Mais je me sens mieux. Mon copain actuel est à l’écoute, et avec lui, je peux m’exprimer sans stresser ou avoir peur de ses réactions. Sa famille me comprend, et nos proches nous font comprendre qu’ils sont là quand nous en avons besoin. Je ne pense pas encore aux suites de ma plainte, au procès qui pourrait arriver…
Je prends les choses petit à petit, en espérant que les choses s’améliorent, et qu’en parler puisse aider toutes celles qui pourraient subir la même chose que moi.
Si vous êtes victime de harcèlement ou que vous vous inquiétez pour une proche, vous pouvez trouver des ressources juridiques, et humaines sur le le site de Nous Toutes, qui répertorie aussi de nombreuses associations locales ou nationales d’aide aux victimes de violences sexistes et sexuelles. Le site de l’association En Avant toute(s) propose aussi un chat permettant de discuter avec une professionnelle.
Le harcèlement est bien puni par le code pénal, et à ce titre, les plaintes ne devraient pas pouvoir être refusées.
Cependant, le témoignage d’Oriane* et de nombreux autres démontrent qu’il est possible qu’un commissariat refuse de prendre cette plainte. Dans ce cas, il est possible de déposer plainte en écrivant une lettre au du procureur de la République. Vous en trouverez un modèle sur le site du service public.
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