Cette semaine, le podcast hebdomadaire Le seul avis qui compte, dans lequel Kalindi chronique sa mauvaise humeur ciné, parle du film Les SEGPA. L’article ci-dessous est une retranscription du podcast.
Y a des jours comme ça où la perspective de me lever m’enchante autant que d’aller à Roubaix sur un tricycle, avec Marine Le Pen sur ma roue arrière. Ce matin fait partie de ces jours-là.
Faut dire qu’hier j’ai pris la pire cuite de ce qui me semble aujourd’hui être une bien longue existence. Et quiconque a déjà pris une cuite un mardi sait combien le reste de la semaine est un enfer, que seuls ceux qui ont vu le dernier spectacle de Maxime Gasteuil peuvent se targuer d’avoir enduré.
Mais ma gueule de bois n’est même pas le pire truc que j’ai subi aujourd’hui. Car en guise de petit-déjeuner, j’ai été voir Les SEGPA, de Ali et Hakim Boughéraba, un film adapté d’une web-série éponyme qui cartonne sur Youtube.
Les SEGPA, de quoi ça parle ?
Je vous plante le décor. Il est 8 heures 45 (ce qui équivaut à 5 heures du matin pour le corps d’une personne imbibée de vins italiens), je suis à l’UGC des Halles, à Paris, et comme toute personne qui a la gueule de bois, je fais des mauvais choix de vie parmi lesquels l’achat d’un paquet de bonbons à 12 euros et d’une bouteille d’Orangina alors que je peux pas blairer les trucs à l’orange. Dans la salle, nous sommes dix.
Spoiler : dans une heure, nous ne serons plus que deux. Ma voisine est une vieille dame avec un carré Hermès. Je me demande si elle s’est pas gourée de salle. L’écran s’anime. Et là, c’est le drame.
Non pas que le film soit foncièrement mauvais (enfin, il l’est, mais c’est même pas ça le problème); il est sans doute le plus fondamentalement problématique que j’ai vu depuis À bras ouverts, en 2017.
Les SEGPA, c’est l’histoire de plusieurs élèves de… SEGPA du coup, qui à force de faire de la merde sont virés de leur collège marseillais et atterrissent dans un établissement de blancs friqués, en mode High School Musical avec des quaterbacks et autres cheerleaders.
Au début, les SEGPA font tache. En même temps, il y en a un qui se pointe littéralement everyday avec une combishort crocodile et Ichem, le héros, se fait caca dessus minute 1. Très vite, Ichem tombe amoureux d’une petite zouz ultra-bourgeoise, qui kiffe s’encanailler avec un SEGPA au grand cœur.
En parallèle, tous les nouveaux élèves deviennent rapidement hyper populaires. Ce qui n’est pas du goût du proviseur, qui n’a qu’une mission : les faire dégager de son petit pré carré. Parce qu’en vrai, il est plus raciste que tous les blancs de son école et bourré de préjugés sur quiconque s’appelle Ichem ou Walid, alors qu’il est lui-même d’origine algérienne.
Du coup, le petit groupe d’amis échafaude une stratégie pour déjouer les plans machiavéliques du méchant proviseur.
Bon alors, là comme ça vous vous dites : quel est le problème ? Certes c’est pas du Haneke, mais ça a l’air mignon tout plein.
Spoiler : c’est pas mignon du tout, c’est même franchement problématique. Pendant une heure trante, le film conjugue à lui seul des images stéréotypées, voire franchement dégradantes pour les élèves de SEGPA qui souffrent déjà quotidiennement de stigmatisation.
Les SEGPA, un film globalement problématique
Pour rappel, et selon la définition du service public, une classe SEGPA accueille les jeunes de la 6e à la 3e présentant des difficultés scolaires importantes et ne pouvant pas être résolues par des actions d’aide scolaire et de soutien.
Des élèves souvent raillés au sein même de leur établissement qui sont dans ce film représentés comme des adolescents mal élevés, violents, et toujours enclins à foutre la merde.
Des clichés méprisants et réducteurs, mal justifiés par le genre de la comédie, qui faisaient déjà grincer des dents les internautes en amont de la sortie du film, et particulièrement les professeurs de collège, parmi lesquels Rachid Zerrouki, enseignant en SEGPA et auteur de Les Incasables, qui expliquait dans une série de tweets combien les élèves en difficulté subissent déjà suffisamment la stigmatisation et la moquerie pour ne pas qu’un film (nul) vienne en rajouter.
Si le film est en effet très réducteur pour les élèves dont il ambitionne de faire le portrait, il me faut néanmoins nuancer un poilito le propos de Rachid Zerrouki. Après visionnage du film ENTIER (j’arrive toujours pas à croire que je suis restée jusqu’à la fin, c’est sans doute ça qu’on appelle l’énergie du désespoir), il convient de préciser que la plupart de ces élèves de SEGPA vont se trouver une passion, l’un pour le journalisme, l’autre pour les nouvelles technologies par exemple.
Ainsi, toute la seconde partie du long-métrage se concentre sur leur évolution, ce qui rachète un peu le propos du projet.
Dommage pour ce beau casting
Il n’en demeure pas moins que les personnages incarnent bassement les clichés sur les élèves de SEGPA vilipendés par Ali et Hakim Boughéraba, mais aussi sur les élèves issus de l’immigration. Le début du film est une succession de stéréotypes racistes, qui m’ont tant gênée que j’ai passé une heure cachée sous mon manteau.
Vous voulez un exemple de blague racistos ? Bon si vous insistez ! À un moment donné, Issa Doumbia présente un jeune homme noir comme un cousin de la famille, puis comme un oncle, avant de réaliser qu’il s’agit en fait de son fils, ce qui véhicule le stéréotype raciste selon lequel les personnes issues de l’immigration africaine font tellement d’enfants qu’ils ne les reconnaissent même plus.
Affligeant, vous me direz, et vous aurez bien raison, car ces gimmicks racistes ponctuent l’intégralité du film, ce qui fait qu’en réalité, j’ai bien de la peine à écrire des blagues sur cette production.
Désolée, vous pensiez venir ici pour vous crémer les oreilles avec de l’humour gouailleur, et vous ne récolterez que le seum fielleux d’une personne affligée. Mais ainsi va la vie. Y a pas de raison qu’il y ait que moi qui passe une journée de merde.
Bref, Les SEGPA, co-produit par Cyril Hanouna, incarne le niveau 0 du progressisme et répand des idées crades sous couvert de déconne. Et le pire, c’est que ça n’est MÊME PAS DRÔLE. Même pas une seule seconde. Et dieu sait que je rigole d’habitude à toutes les vannes de caca. Mais là, rien, je suis restée comme on reste devant un Haneke : placide, au bord de l’évanouissement par l’ennui.
Dommage, car au casting on retrouve de supers acteurs de comédie, comme Ichem Bougheraba, Walid Ben Amar, Camille Lellouche, Roman Frayssinet et surtout l’extraordinaire Yacine Belhousse, qui même du haut de son talent ne parvient pas à racheter ce désastre filmique.
Allez, comme j’ai envie d’inverser la vapeur et de terminer sur une note positive, je vous suggère, plutôt que d’aller voir le film des frères Bougheraba, d’aller jeter un coup d’oeil aux courts-métrages du festival Toute la lumière sur les SEGPA, réalisés par les élèves de l’enseignement général et professionnel adapté.
Je vous assure que ça vaut mille fois plus le coup.
Allez, moi je vais me coucher, en espérant que demain y aura pas Marine sur la roue arrière de mon tricycle !
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Le seul avis qui compte est un podcast de Madmoizelle écrit et présenté par Kalindi Ramphul. Réalisation, musique et édition : Mathis Grosos. Rédaction en chef : Mymy Haegel. Direction générale : Marine Normand.
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Les Commentaires
Merci beaucoup pour les explications , je suis extrêmement déçu que ca a eu du succès