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Les jeunes ne lisent plus, paraît-il (même si vous venez de lire ça sur Internet)

Les lectures scolaires sont une manière d’entretenir la culture générale, mais elles peuvent aussi mener à un dégoût de la lecture. Lucie revient sur toute la complexité de l’exercice !

Mise à jour du 20 juin 2018

Une récente étude encadrée par le Centre national du livre et confiée à Ipsos s’est intéressée à la pratique de la lecture des jeunes français de 15-25 ans. Et elle apporte des nouvelles enthousiasmantes !

Elle a été menée sur un échelon national donc, auprès de 1500 personnes âgées de 15 à 25 ans, et interrogées du 20 avril au 17 avril 2018.

Les conclusions de l’étude prouvent l’existence bien réelle d’un goût personnel des jeunes adultes pour la lecture en tant que loisir. Les femmes restent majoritaires que les hommes, avec 3 livres par an à leur actif pour 1h40 de lecture en plus par semaine.

Celles et ceux dont les parents sont eux-mêmes des lecteurs lisent de façon nettement supérieure que les autres. Les amis sont les principaux prescripteurs de nouvelles lectures !

L’étude montre également que les activités, physiques comme digitales, laissent une petite place aux livres au quotidien (à 41% dans les transports pour la lecture-loisir), avec près de 9 activités pratiquées par les jeunes en moyenne par semaine, dont 15h passées sur Internet.

Enfin, les 15-25 ans plébiscitent le roman, avec un goût plus prononcé pour le fantastique, la SF et les thrillers. Ils sont aussi friands de BD et de mangas !

Voilà qui devrait achever de convaincre celles et ceux qui clament à tout va que les jeunes ne lisent plus : ils le font, et ce n’est pas uniquement par obligation pour les cours, mais bien pour leur plaisir !

Le 26 janvier 2018

C’est quoi le livre que tu aurais rêvé d’étudier en cours ?

Un enseignant de 5ème pensait susciter l’enthousiasme de ses élèves en leur proposant d’étudier Les Royaumes du Nord de la saga À la croisée des mondes de Philip Pullman.

Sauf qu’elle a vite réalisé, dans le plus profond des dépits, avant le contrôle qu’il comptait leur faire passer, que seulement trois parmi eux l’avaient lu en entier.

Pour leur signaler son mécontentement, il a changé au dernier moment le contenu du contrôle de lecture pour le remplacer par une interrogation autour d’un extrait de Oui-oui à la ferme d’Enid Blyton. Les questions y étaient, comment dire… un peu concons :

Si certains ont crié au génie face à l’absurdité de la mesure, d’autres se sont insurgés du mépris dont faisait part l’enseignant.

https://twitter.com/Owen_C_V/status/954054792925667330

De mon côté, j’avoue être partagée : je comprends la frustration, la lassitude, et sans doute la profonde fatigue de l’enseignant. Surtout quand le livre étudié est celui de Philip Pullman, un best-seller fantasy unanimement reconnu pour sa qualité qui aurait dû emballer les élèves, à la différence d’un gros classique indigeste.

En revanche je suis dérangée par le mépris qui se dégage de ces questions, et qui donne l’impression que les élèves sont des crétins ignares. Pas sûr que ce sentiment leur donne très envie d’ouvrir des livres.

Il reste difficile de prendre partie pour l’un ou l’autre des camps, puisque je ne connais pas l’enseignant ni ses élèves. Néanmoins il y a manifestement un malentendu entre les deux générations, qui peut s’observer à une échelle plus large, et qui pose quelques questions que je propose de développer avec vous !

Les jeunes ne lisent plus ?

Pour peu que vous trainiez du côté d’à peu près tous les médias, vous avez forcément entendu à un moment de votre vie que le niveau scolaire des jeunes baisse, et surtout qu’ils ne lisent plus.

Ce n’est pas vrai : une étude du Centre national du livre de 2016 effectuée sur un panel de jeunes entre 7 et 19 ans montrait qu’ils étaient 89% à lire pour l’école ou le travail mais aussi 78% à le faire pour leurs propres loisirs.

L’étude précise qu’ils lisent « en moyenne 6 livres par trimestre, dont 4 dans le cadre de leurs loisirs. Ils consacrent environ 3 heures par semaine à la lecture pour leurs loisirs. »

Ce n’est pas mal, surtout quand on voit à quel point les pratiques culturelles ont évolué.

Aujourd’hui, il y a tout un choix de séries télé (coucou Netflix), de films en streaming et mêmes d’émission télé à regarder, que le livre est perdu au milieu de tout ça. Le livre demande en plus une attention plus accrue qu’un écran, alors un peu plus de motivation pour s’y mettre.

Sans connaître les pratiques propres aux élèves de l’enseignant qui leur a fait lire Oui-Oui

(même si manifestement la lecture n’est pas l’activité qui semble la plus appréciée), on peut toutefois se dire que le terreau intellectuel est fertile pour faire lire les jeunes. Mais peut-être pas Les Royaumes du Nord. 

La nostalgie, fléau de l’humanité

Eh oui, si Les Royaumes du Nord est un best-seller, une source d’adoration culturelle pour de nombreux lecteurs à travers le monde entier, il y a maintenant toute une nouvelle génération à convaincre.

C’est un travers que tout le monde tend à avoir, nous aussi d’ailleurs, celle d’encourager fortement voire imposer la lecture de livres qui constituent de soi-disantes bonnes lectures à une époque pour laquelle c’est tout à fait révolu.

Il suffit de se replonger quelques minutes dans ses propres souvenirs pour se rappeler nos parents ou grands-parents essayant de nous encourager à lire les livres qui les avaient faits vibrer, alors que de notre côté, ça n’était pas forcément l’effet créé.

Oui c’est chouette Fantômette, mais ça ne m’a jamais franchement palpitée.

À lire aussi : Les séries littéraires de ton enfance… et leurs équivalents modernes !

Vous savez ce que ça veut dire ? C’est que nous-mêmes, nous insisterons lourdement auprès des futures générations pour qu’elles lisent Harry Potter en disant que c’est la série de livres la plus extraordinaire qui soit. Et elles nous retorqueront qu’en fait, bof.

Mais c’est dans l’ordre des choses.

À lire aussi : Et si la lecture d’Harry Potter avait fait de toi une meilleure personne ?

Entre Oui-Oui et Pullman, il y a pas mal de choses à découvrir

Tout de même, cette histoire me turlupine : si l’on écarte le côté nostalgie et choix personnel, pourquoi avoir choisi Pullman pour une classe qui, manifestement, n’est pas une grande lectrice ?

Ce qui me fait embrayer sur une autre question : il y a-t-il une bonne connaissance de la littérature adolescente de la part des enseignants ?

Car si Netflix n’existait pas encore à l’époque des Royaumes du Nord, il n’y avait pas non plus toute la diversité des livres de qualité qui fleurissent sur les tables des librairies.

L’offre est aujourd’hui aussi énorme qu’elle est riche, et permet aussi bien d’aborder des thématiques sociétales importantes que de travailler sur des styles littéraires très variés (notamment grâce à la grande qualité des auteurs français).

Alors j’ai envie de m’adresser à celles et ceux qui n’aiment pas lire parce que ce que l’école leur offre leur donne envie de roupiller : soyez assuré•es que dans toute la production actuelle en plus de celle qui a traversé les années, il y a forcément des livres qui vont susciter votre curiosité dans lesquels vous plonger !

Et si on repensait les lectures imposées ?

En fait, une des grandes questions qui est posée par cette situation, c’est celle des lectures imposées dans le milieu scolaire couplée à la grande variété des goûts de lecture de toutes et tous.

Ces lectures imposées permettent de constituer une culture générale solide et surtout commune, mais elles peuvent aussi être le moment où le décrochage de la lecture sévit. Peut-être le vôtre, peut-être le tien, toi qui me lis en hochant la tête.

Ça a été aussi mon cas d’ailleurs : alors que la lecture était un plaisir que je m’offrais en faisant des sauts récurrents à la bibliothèque, elle est devenue du jour au lendemain une obligation qui empiétait sur mon temps libre, parfois avec des livres qui m’étaient très douloureux à lire tant ils m’ennuyaient.

J’aimais lire et y accorder des moments de ma vie, pourtant les livres imposés dans le milieu scolaire ont réussi à me dégoûter de la lecture (même personnelle) pendant longtemps (j’ai fait des études littéraires, imaginez le nombre de lectures imposées auxquelles j’ai été confrontées !).

Alors si tu n’es pas très porté•e, voire pas du tout, sur la lecture (et ce n’est pas grave), l’effet d’un gros pavé de pages (qu’il soit celui de Balzac ou Pullman) peut vite intimider voire décourager.

Sur Twitter toujours, un thread fait par une enseignante évoque la complexité des lectures imposées à l’école, en exposant sa manière dont elle-même approche la littérature avec ses élèves, en commençant par s’intéresser à leur ressenti.

Cette professeure n’impose pas des lectures de son goût, et elle invite plutôt ses élèves à partager leurs propres lectures. Ils se conseillent finalement entre eux des livres : c’est ce qu’on appelle la médiation horizontale.

La médiation horizontale serait-elle, dès lors, la meilleure manière de renouer avec la lecture ? Ce n’est pas impossible, quand on voit le succès des booktubeuses•rs aujourd’hui, véritables passeurs de culture et conseillers en littérature, et ce dès le plus jeune âge !

En même temps, celles et ceux qui connaissent le mieux la littérature qui vous parle… eh bien c’est vous (et moi, évidemment).

Mais pour connaître ses propres goûts, il faut avoir envie d’expérimenter tout un tas de styles différents, sans attendre qu’un adulte vous impose une lecture (qui risque fort, de fait, de ne pas convenir).

Il y a sans doute tout un tas de façons de profiter du cadre scolaire pour donner l’envie de découvrir de nouveaux livres. S’il y a eu dans vos établissements scolaires des initiatives qui vous ont marquées par leur originalité et leur efficacité, venez nous en faire part !

Alors, et si on refaisait de la lecture un plaisir, et non plus un devoir ? 

À lire aussi : 8 lectures imposées en cours, qui se sont révélées passionnantes


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

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Avatar de Mimulusa
22 juin 2018 à 14h06
Mimulusa
D’un point de vue strictement personnel, j’ai le souvenir comme tout le monde d’avoir vécu des traumatismes littéraires avec des livres vraiment difficiles à avaler… Mais aussi de super découvertes d’auteurs pas forcément récents.

Je trouve que de nombreux commentaires se basent sur des souvenirs plus ou moins mauvais, mais très personnels, et je pense qu’il faut y réfléchir de façon plus large. Je suis à 200% pour la lecture plaisir, et je ne considère aucun genre comme supérieur à un autre.

Mais il me semble que si on réfléchit du point de vue de l’école et de ses missions, le fait d’imposer des lectures est important, et surtout des auteurs classiques. Le rôle de l’école n’est pas de nous donner envie de lire, mais de nous donner d’abord, au primaire, un niveau suffisant en lecture et orthographe. Et ça c’est déjà de plus en plus compliqué, car de mon point de vue ce n’est pas la seule mission qu’on demande à l’école, et que l’école n’assure plus seulement l’instruction comme avant, mais bien l’éducation au sens large, et se trouve amenée à faire l’éducation des enfants, à gérer des problèmes de comportements… Je côtoie beaucoup d’enseignants et de professeurs, et en les écoutant, j’ai l’impression que la majeure partie du temps de classe n’est pas dévolue à l’apprentissage mais au maintien d’un calme suffisant et souvent relatif pour transmettre les apprentissages.

Le rôle de l’école secondaire est de permettre d’accéder à un socle commun de connaissances pour faire de nous une personne capable de pensée critique et de prise de recul, un citoyen capable de penser et de se situer dans la société en faisant autre chose que de la consommation. Ne pas imposer les auteurs classiques, c’est nous refuser de construire notre pensée. Et même si certains auteurs sont difficiles et leurs livres défraichis, ils permettent d’aborder une époque, des courants de pensée… Libre au professeur de faire ses choix pédagogiques pour faire naître le désir de découvrir tous ces auteurs, certaines Madz témoignaient d’ailleurs de supers méthodes et démarches de profs motivés et passionnés.

Ensuite, je voudrais souligner (et là c’est mon rôle d’orthophoniste qui prend le dessus) que le développement du langage oral se fait, une fois que nous sommes entrés dans le langage écrit, par le biais de celui-ci. C’est un processus qu’on appelle la littératie, et qui enrichit notre niveau de vocabulaire et de langage, et donc de pensée et d’intelligence (et donc de réussite scolaire). Et ces structures de phrases et ce vocabulaire complexe sont très présents dans les grands classiques. Il est donc pour moi très important de proposer des livres difficiles qui viennent justement développer et enrichir notre niveau de langue, quelle que soit notre origine sociale, et c’est ce qui peut permettre justement de ne pas accentuer les inégalités et de donner les mêmes chances à tous. Si on n’impose pas, on enferme dans ce que chacun connaît déjà.

Enfin, pour finir mon pavé (j’ai l’impression d’avoir écrit une dissertation au bac , quand je vois que certains livres jeunesse comme le Club des Cinq sont aujourd’hui réécrits en supprimant le passé simple jugé trop difficile, je me pose des questions sur ce nivellement par le bas qui s’opère (https://bibliobs.nouvelobs.com/roma...-simple-et-pas-mal-d-autres-choses-aussi.html). Attention, je ne mets pas toute la littérature jeunesse dans le même panier, loin de là. Mais je trouve qu’il y a une offre importante et de qualité très variée. Et beaucoup de publicité pour tous ces romans Young Adult qui ont déjà beaucoup de visibilité et sont facilement trouvables dans n’importe quelle librairie. Alors que les grands classiques ne bénéficient pas de cette mise en avant, et c’est l’école qui les propose et les impose, sinon je doute que les jeunes lecteurs les choisissent et les lisent de leur plein gré.

Pour celles qui sont intéressées par ce concept de littératie, je vous invite à lire l’article de Régine Pierre (professeur à la faculté des sciences de l’éducation à Montréal) à ce sujet : https://www.cairn.info/revue-francaise-de-linguistique-appliquee-2003-1-page-121.htm. Certains passages se lisent facilement, même sans connaissance des concepts linguistiques, d’autres sont un peu plus ardus, mais elle développe plein d’idées intéressantes sur l’écriture, son histoire et son rôle.
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