Le festival Nikon est toujours en cours, et après Je suis à l’heure, un autre court-métrage a retenu notre attention.
Je suis Louie, le choix des petites filles
Le thème du festival cette année est « je suis un choix ». Lola Rougier-Onnis a donc laissé le choix à plusieurs petites filles. Entre le rôle d’une petite fille gentille, ou d’une petite fille méchante, lequel préfèreraient-elles jouer ?
Leur réponse est évidente. Le directeur du casting donne alors une information supplémentaire sur le rôle, et leur réponse change radicalement.
Cliquez sur l’image pour accéder à la vidéo.
Ce court-métrage m’a brisé le coeur, parce que ces petites filles, qui arrivent à peine à s’exprimer de façon cohérente, ont déjà intégré la logique selon laquelle l’apparence est une qualité primordiale.
Elles sont trop jeunes pour pouvoir être déjà inquiétées par la dictature de l’apparence, en théorie ! On ne les bombarde pas d’injonctions à utiliser un trillion de produits de beauté pour cacher leurs indénombrables imperfections. Elles n’ont pas la pression sociale du « plaire aux garçons », à leur âge. Elles n’ont pas à chercher du travail, et à tenter d’arpenter la fine ligne entre « négligée » et « trop apprêtée », deux fautes aussi graves l’une que l’autre…
À lire aussi : Le code vestimentaire professionnel, entre mystère et sexisme
Elles me rappellent cruellement les petites filles mises en scène dans le film de Katia Lewkowicz, Tiens-toi droite !. En interview, la réalisatrice me confiait qu’elle n’avait rien inventé : tout ce que les enfants font dans le film, Katia l’a vu sur Internet, sur des blogs vidéo tenus par des gamines « trop jeunes pour rester seules à la maison » — c’est donc qu’il y avait des adultes pas très loin. Mais dans l’intimité de leur chambre, elles ne sont pas à l’abri des influences, et cultivent déjà leur apparence, sur la base des injonctions à la féminité.
À lire aussi : Katia Lewkowicz nous parle de « Tiens-toi droite ! », son film féministe et optimiste !
« Une réalité à laquelle on ne s’attendait pas »
Lola Rougier-Onnis, la réalisatrice, était passé devant la caméra de Fab au festival de Cannes en 2013, pour parler de son métier, alors qu’elle était stagiaire-projectionniste (lire ci-dessous).
À lire aussi : Lola, stagiaire projectionniste au Festival de Cannes 2013
Ce scénario n’était pas son idée de départ ! C’est en faisant un casting pour trouver ses actrices que Lola a remarqué le schéma unique d’identification à la beauté :
« Au départ, j’avais décidé de participer au concours en écrivant un scénario de fiction, qui racontait en fait l’histoire d’une petite fille gentille, qui faisait la rencontre d’une petite fille méchante (je caricature). J’avais monté mon équipe et le film était en préparation. C’est lorsque j’ai fait les premiers castings avec les petites filles que je me suis rendue compte qu’il y avait quelque chose d’intéressant à exploiter.
J’ai donc abandonné l’idée de base pour me focaliser sur les castings. Avec l’équipe, nous avons décidé des questions les plus pertinentes à poser aux petites filles, et c’est comme ça que le film a été tourné.
Une de mes plus grandes sources d’inspiration pour ce projet a été le court métrage d’Abbas Kiarostami, No, qui est pour moi, un des plus beaux court-métrages au monde.
À la base, on avait pour projet de faire un film sur l’identification que peut avoir un enfant à un rôle fictif au cinéma. On a passé beaucoup de temps avec chaque petite fille, et on a abordé plusieurs thèmes avec elles (la beauté, la célébrité, le pouvoir, la peur…).
C’est pendant le tournage que nous nous sommes rendu compte que la condition qui faisait changer d’avis toutes les petites filles était celle de la beauté, et ça nous a beaucoup touché.
C’est comme ça que j’ai monté le film, en rapportant ce qu’on avait recueilli au moment du tournage. Ce film, c’est juste la réalité, et on ne s’y attendait pas, ça a été très fort pour nous.
Au final, ce court-métrage est devenu, par les circonstances du tournage, un film sur le culte de la beauté des femmes. Je suis fière de ce projet pour cette seule chose, qu’il retranscrit la réalité. […]
Est-ce que c’est bien ? Est-ce que c’est mal ? Quelles sont les causes de ses réponses ? Les conséquences ? Je ne suis pas sociologue et je n’en sais rien. C’est un film qui (je l’espère) donne à réfléchir. Et au final, c’est tout ce qui m’importe. »
Objectif atteint, pour ma part. J’ai toujours un pincement au coeur en entendant autour de moi que des filles de mon âge sont toujours torturées par des complexes sur le physique, qu’elles accordent une importance démesurée à leur apparence, et surtout qu’elles laissent ces préoccupations entamer leur confiance en elles, alors qu’elles sont par ailleurs des jeunes femmes accomplies, professionnelles, artistes, drôles, intelligentes… tout un panel de qualités qui semblent être reléguées au deuxième plan dans leur esprit.
À lire aussi : L’été où j’ai appris à aimer mon corps
Alors de voir que ces petites filles ont déjà opéré cette hiérarchie, à leur âge, ça me brise le coeur. Mais pourquoi se laisse-t-on enfermer dans la dictature de l’apparence ? Et que ferons-nous demain pour ne pas refiler nos complexes à nos filles ? Que ferons-nous pour qu’elles s’en affranchissent ?
Lola Rougier-Onnis vient de finir ses études dans le cinéma (ESRA), et cherche actuellement du travail en tant que technicienne de l’image (sa formation initiale). En parallèle, elle planche également sur une version longue de Je suis Louie, davantage axée « sur le thème de l’identification ». J’ai hâte de voir le résultat !
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Les Commentaires
- elles ont intégré l'idée que les filles ont les cheveux longs
- elles n'ont pas envie de modifier leur physique (durablement - il faut que ça repousse, à l'échelle d'un enfant, c'est long!) pour un film.