Les S.D.F., c’est un peu le fond de commerce d’une caserne de centre-ville. On en a tout le temps, et ce sont souvent les mêmes. Alors forcément ça crée des liens, et il arrive un moment où on les connaît bien. Il y a celui qui dort systématiquement les fesses à l’air, celui qui veut juste passer la nuit au chaud à l’hôpital, celui qui essaie de me mordre à chaque fois que je le fais grimper dans l’ambulance…
Et puis il y a Marine.
Marine, son truc à elle, c’est les tentatives de suicide dans le fleuve. Alors on la ramasse régulièrement lors de son petit bain hebdomadaire ou mensuel, ça dépend des saisons. Enfin, un bain c’est un peu vite dit. Elle c’est plutôt à l’Aquaboulevard qu’elle se croit en sautant du pont. Bon, côté sensations elle est servie à chaque fois, mais ce n’est pas vraiment ce qu’elle recherche.
Car Marine, elle veut mourir. Parce que la vie c’est moche, que les hommes sont des salauds, que ses enfants des profiteurs et que le système est tout pourri. En tout cas c’est ce qu’elle dit, on n’est jamais allés vérifier. Généralement on la repêche, on fait notre rapport aux flics, on la conduit aux Urgences où elle reste le temps de sécher… Et puis elle repart avec son gros caddie. C’est sa vie.
Vous me direz, comment ça se fait qu’elle ne se soit pas tuée depuis le temps ? Bah heureusement pour elle, Marine ce n’est pas une flèche, et c’est ce qui l’a gardé sauve jusqu’ici… Je vais vous expliquer.
Pour aller chercher un suicidé on est trois : un qui plonge (moi, merci les gars), un qui tient le filin depuis le bord, et un en renfort. Généralement c’est ce dernier qui manœuvre l’ambulance jusqu’au pont suivant. Moi je saute (si c’est pas trop dangereux, sinon évidemment on fait venir le Zodiac) et ensuite je barbote dans la flotte en attendant que la victime dérive jusqu’à moi. Quand elle arrive à mon niveau, je l’agrippe, et accrochés ensemble au filin tenu depuis la berge par mon co-équipier, on laisse le courant nous pousser calmement jusqu’au bord en décrivant un joli arc de cercle. Du tout cuit, quoi.
Bon évidemment, ça dépend de l’état et du caractère du suicidé. S’il est inconscient, s’il est conscient, s’il est sous médicaments… Dans le cas de Marine, c’est souvent assez sportif. Car elle, elle ne veut pas se faire sauver par des gentils pompiers. Mais alors pas du tout. Du coup elle se débat, elle me file des tartes, et surtout elle essaie de peser de tout son poids pour nous faire couler.
Mais ce qu’elle n’a pas compris Marine, c’est qu’elle ne risque pas d’y arriver. En tout cas pas tant qu’elle gardera cette affreuse doudoune rose qui se gonfle d’air à chacune de ses tentatives, la faisant remonter à la surface automatiquement…
Épilogue
Bref, Marine elle pourrait prendre une carte d’abonnement chez nous. Le truc c’est que ce n’est pas toujours moi qui vais la repêcher. Alors la dernière fois, quand j’ai vu le blond revenir d’intervention avec un énorme coquard, j’ai compris que si Marine ne retire pas sa doudoune avant de sauter, un jour quelqu’un lui dira de le faire.
Pour l’instant Camille Lacourt n’a pas lâché le morceau, et la dernière fois que j’ai vu Marine, elle flottait tel un insubmersible U-Boat… C’était beau cette grosse tâche rose sur l’eau grise. Évidemment, maintenant que je vous ai mises dans le secret, je compte sur vous pour ne pas cafter.
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Les Commentaires
Mais je suis d'accord avec toi mais dans ce cas il faut qu'elle soit admise dans des hôpitaux spécialisées... Et c'est pas qu'on ne veux pas la garder, je pense que c'est surtout qu'on ne peut pas la garder. Et le problème c'est que dans les hôpitaux tu ne peux pas passer outre les "détails techniques"... Après je comprends ton point de vu mais je pense qu'il faut bosser en milieu hospitalier pour comprendre véritablement ce que je veux dire.