— Article initialement publié le 6 juin 2014
Au label 619, dont Run, auteur de la série Mutafukaz, est le directeur, on fait la part belle aux projets « urbains » et « contemporains ». Quand je lui demande quelle est la ligne édito de son projet, il finit par tout simplement me parler de « coup de coeur ».
À l’intérieur de cette collection, on trouve Doggybags, une série qui revendique ses influences : Tarantino et film grindhouse, violence et humour qui ont déjà fait le succès de cinq premiers tomes.
De Katsuni à Celine Tran, puis à Celyna
Pour ce sixième tome, le fameux coup de coeur a lieu lors d’une rencontre entre Run et Celine Tran, qui s’appelle encore Katsuni à l’époque. Run m’explique avoir voulu faire un projet avec elle dès son apparition chez Ruquier, sur France 2, ou par le biais de son blog sur les Inrocks : il n’a d’ailleurs pas souhaité voir ses films érotiques.
Peu après, Katsuni raccroche les boules de geisha et redevient Celine Tran. Elle accepte de nombreux projets comme le court métrage Dans la peau de Katsuni avec le Golden Moustache. Run fulmine : c’est lui qui avait eu l’idée en premier ! L’idée de quoi ? De quelque chose de différent du X, mais qui sache aussi se servir de cette expérience avec dérision.
Concernant Celine Tran, qui a scénarisé le projet, il faut bien le dire : en face à face, la jeune femme est impressionnante d’assurance. Chapeau. Elle m’explique qu’elle considère que ce sont ces projets qui lui permettent aujourd’hui de songer à une carrière d’actrice de film d’action, un plan d’avenir mis en valeur par ce clip promotionnel pour Heart Breaker :
Dédramatiser son expérience dans le porno, montrer qu’il n’y a pas que ça dans sa vie, mais ne jamais la renier. C’est cette reconversion tout en douceur qui lui permet de nouer un lien avec ses fans, de projet en projet, tout en diversifiant son public :
« Doggybags ne s’adresse pas du tout au même public que Le Visiteur du Futur par exemple, qui peut même plaire à des enfants : là c’est beaucoup plus violent, plus sombre. »
Quand Céline Tran écrit un rape and revenge vampiresque…
Rapidement, le scénario s’impose : Celyna, une jeune femme, veut tenter de nouvelles expériences sexuelles et se retrouve piégée par des vampires pour le moins pervers… qui la violeront. Cette expérience qui aurait pu la détruire en fait une chasseuse de vampires hors pair à laquelle Céline Tran prête en partie ses traits. Elle précise bien que cette histoire assez gore est un récit fictionnel :
« On a tout de suite accroché sur ce parallèle entre vampirisme et sexualité, avec cette figure de l’actrice porno qui est puissante, qui suscite le désir mais qui en même temps dégoûte. »
Voilà un scénario de rape and revenge (littéralement viol et vengeance) classique… trop classique ? La thématique a l’air d’intéresser très fortement Run qui souhaite mettre les choses au point :
« Il faut vraiment remarquer qu’il n’y a pas de complaisance, il y a des scènes qu’on avait du mal à créer, je sais que Jérôme [un des co-dessinateurs] se sentait mal en les dessinant… Mais on devait aller au bout parce que ça a du sens dans ce récit, on a pas voulu érotiser son viol mais en montrer la violence qui est réelle. »
Cette violence doit servir de point de départ à un processus initiatique de mort/reconnaissance que Celyna traverse pour devenir une authentique héroïne.
… un sujet difficile traité avec respect
Même si je comprends la logique de Celine Tran et Run et que depuis Game of Thrones il en faut quand même beaucoup pour me faire sourciller, je ne suis pas sûre d’être à l’aise avec ce principe de viol comme point de départ pour un scénario. Cela dit, je reconnais que le sujet est traité avec un sérieux et un respect évidents par ses auteurs, et on ne peut pas dire qu’il s’agisse de simplement faire le buzz.
En fait, ce thème a du sens pour Celine Tran car il correspond à la violence que l’on peut rencontrer lors des débuts de notre vie sexuelle ; la thématique de la pénétration poussée à l’extrême par l’agression de Celyna se rapproche de celle plus générale des « premières fois » et de leurs effets initiatiques. La BD mêle pornographie et vampirisme comme un miroir déformant pour ces premières expériences qui, lorsqu’elles sont mauvaises, chamboulent l’esprit.
Run, qui dirige le projet, m’assure que si d’autres tomes sortent, comme il l’espère, le sexe ne sera plus la thématique centrale à présent que le personnage de Celyna est posé comme héroïne à part entière.
Un projet atypique à surveiller de près
Ce qui m’a permis d’apprécier le projet malgré mes réserves, en plus d’un aspect graphique impeccable dû au travail de Singelin, Maudoux et Gasparuto, les trois dessinateurs de ce projet, en plus également de ce petit côté girl power façon Kill Bill toujours agréable, c’est la réflexion de Celine Tran sur son projet.
On peut la suivre tout le long de ce Doggybags à travers de nombreuses notes éditoriales très bien écrites dans lesquelles elle revient sur son expérience dans l’industrie du X, sur la perception que le grand public a de ces actrices et sur sa façon de concevoir le sexe.
Puisqu’elle est à l’aise sur le sujet et très sympathique, j’en profite pour lui poser une question sur James Deen, célèbre acteur « pour adultes », et elle confirme mes soupçons : il est aussi bien en vrai qu’à l’écran !
La collection que Run continue de développer est donc prometteuse car audacieuse, et la reconversion de Celine Tran dévoile une personnalité fascinante que je serai ravie de suivre dans ses futurs projets.
La trame de ce Dobbybags m’a un peu fait tiquer, certes, mais je demande à voir l’évolution du personnage qui, s’inspirant de Celine Tran, a assez de consistance et de profondeur pour un projet au long terme : je serai curieuse de découvrir ses différentes facettes !
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