Si nos sociétés jouissent aujourd’hui de nouvelles représentations plus diverses et positives, notre culture populaire reste très fortement imprégnée d’idées qui vont à l’encontre des libertés de chacun et chacune.
Combien de films, de séries, de chansons, de livres font encore l’apologie des couples fusionnels dans lesquels la jalousie et le contrôle de l’autre sont présentés comme des preuves d’amour pur ?
Quand contrôler l’autre est considéré comme « romantique »
Dans la série You qui a cartonné sur Netflix, Joe use de plusieurs techniques relevant des (cyber)violences conjugales : il espionne le téléphone de Beck, il la géolocalise, fouille son ordinateur…
Même la jeune actrice Millie Bobby Brown s’est pris les pieds dans la culture du viol. En janvier 2019, elle a défendu le personnage de Joe, comme le racontait Mymy sur madmoiZelle : « Il n’est pas creepy, il est AMOUREUX ! ». À 14 ans, Millie Bobby Brown baigne malheureusement dans une société qui valorise ce type de relations.
Si You dépeint un personnage atypique auquel il est difficile de s’identifier, d’autres œuvres n’hésitent cependant pas à « récompenser » des personnages aux comportements toxiques. Accusé de banaliser le contrôle au sein du couple, le film Passengers a été au centre d’une polémique à sa sortie.
Le personnage de Jennifer Lawrence, plongé dans un sommeil de 120 ans pour un voyage spatial, est réveillé de force par un homme rongé par la solitude, la condamnant alors à la dépendance jusqu’à sa mort.
Ces exemples issus de la culture populaire ne sont pas des exceptions. Le regard porté sur le contrôle dans le couple doit être changé, et cela peut passer par une sensibilisation différente à la question des cyberviolences.
Il s’agit de dé-normaliser des comportements toxiques qu’hommes et femmes peuvent entretenir dans leurs relations sous couvert « d’amour » : jalousie, surveillance, demande de comptes, isolement du cercle social…
L’association En avant toute(s) est intervenue sur les sujets d’éducation affective et sexuelle auprès de 2500 élèves l’année dernière. Sa fondatrice Ynaée Benaben énumère, pour madmoiZelle, les freins rencontrés sur le terrain — qui expliquent pourquoi cette sensibilisation a du mal à aboutir à des changements de mentalité.
Même si la loi oblige les établissements à mettre en place des moments de dialogue, tous cherchent des moyens financiers comme pratiques pour aborder les questions de sexualité dans une forme de transversalité. Certains ne peuvent faire intervenir des associations que lorsqu’un incident est relevé.
Face à un cas de revenge porn, le corps enseignant ne sait pas toujours comment s’emparer de la question : comment parler de sexualité sans gêne avec des élèves, sans jamais avoir suivi de module de formation ? Parce que ça touche à la sexualité, un sujet intime, la discussion est souvent très tabou.
Parfois, les adultes sont confrontés à de nouvelles pratiques qu’ils n’ont pas connues à titre personnel, même si nous constatons qu’il n’y a pas d’âge pour subir des cyberviolences.
Leur première réaction est de créer des modules sur les dangers d’Internet, pour expliquer aux filles pourquoi il ne faut pas se dénuder, sans interroger le fait que des garçons n’ont pas à partager des photos intimes.
Les établissements sont soulagés quand une association peut les aider à penser des modules sur le long terme avec des mises en pratique, et pas une simple vue historique. Les jeunes doivent avoir des espaces de questionnement d’eux-mêmes, il faut créer un écosystème favorable pour dé-banaliser la jalousie, dé-romantiser les comportements de contrôle de l’autre.
Et cette éducation concerne tout le monde : les enseignantes que nous rencontrons, les pions, les élèves, tous et toutes prennent conscience que nous sommes dans un système bien ancré.
Pour éduquer les jeunes génération, il faut aussi éduquer les adultes. À quoi sert de faire des heures de module avec une classe si pendant la récré, une pionne lance à une élève harcelée : « tu n’avais qu’à pas s’habiller comme ça » ?
Les enseignants pourraient avoir une marge de manœuvre mais ils manquent de moyens, d’outils, de formations.
Loin de se limiter aux cours de récré et aux amourettes adolescentes, la manière dont les relations amoureuses et sexuelles sont dépeintes est un des enjeux au cœur du problème des violences sexistes. Et nos usages numériques ne sont pas épargnés.
Alors que les smartphones sont devenus progressivement des extensions de nos vies, ils sont aussi de plus en plus détournés de leur but premier pour contrôler les vies des femmes.
Le sujet des cyberviolences conjugales commence à occuper l’espace, et pour cause : mieux identifiées, elles sont aussi malheureusement de plus en plus nombreuses.
En 2018, une étude – la première du genre – menée auprès de 302 femmes victimes de violences conjugales et dirigée par le Centre Hubertine Auclert concluait que 9 femmes sur 10 victimes de violences conjugales vivaient aussi une forme de cybercontrôle.
Une augmentation de 51% de l’installation des logiciels espions pendant le confinement
C’est ce qu’une étude récente, dévoilée le 8 juillet 2020 par l’entreprise spécialisée dans les antivirus Avast, est venue confirmer en révélant qu’entre mars et juin 2020 (soit pendant le confinement), l’installation des logiciels espions à travers le monde a augmenté de 51%.
Une enquête du Figaro
revient sur la simplicité d’installation de ces programmes :
Pour les faire fonctionner, il suffit d’avoir accès au téléphone de sa victime pendant quelques minutes afin de les télécharger discrètement. Complètement invisibles, ils captent ensuite presque toutes les données du smartphone. Parmi ces logiciels, deux catégories se distinguent : les stalkerwares et les applications de contrôle parental.
Ces dernières se présentent comme de simples outils visant à améliorer la sécurité au sein d’un foyer. Mais dans les faits, elles sont bien souvent dévoyées pour une utilisation au sein du couple.
En 2013, les dirigeants de mSpy, l’une des applications de contrôle parental les plus populaires, avaient reconnu qu’environ la moitié de leurs clients utilisaient leur logiciel pour surveiller leur partenaire. Nombre d’entre elles sont à portée de clic, disponibles directement dans les magasins d’application.
Les personnes qui installent ce type de logiciel sur les smartphones de leur partenaire sont motivées par un besoin de savoir ce que leur moitié vit, qui elle voit, ce qu’elle fait. Ce faisant, elles exercent un contrôle et mettent en place un phénomène d’emprise qui est loin d’être anodin.
En avant toute(s) propose notamment un tchat destiné aux jeunes femmes victimes de violences au sein d’un couple et intervient dans les milieux scolaires.
Ynaée Benaben explique à madmoiZelle :
Pendant le confinement, nous avons constaté beaucoup de contrôle du téléphone et de l’ordinateur. Alors que des femmes étaient en télétravail, leurs maris ont accédé à leur ordinateur professionnel et certains ont mis des codes, si bien qu’elles devaient leur demander l’accès pour les utiliser.
Mais les espaces cyber ont aussi été des moyens privilégiés pour obtenir de l’aide. Comme le télétravail se passait parfois par vidéo, des collègues ont été témoins et ont compris qu’il y avait des violences. Ils nous ont contactées pour trouver des moyens cryptés de prévenir les victimes et leur proposer de l’aide. Ces outils étaient surveillés mais ils étaient aussi des espaces d’échappée possibles.
Certaines femmes qui n’osaient pas appeler nous ont trouvées par le tchat écrit, ce qui nous a permis de les accompagner vers des associations ou le 3919 [le numéro gouvernemental contre les violences faites aux femmes, NDLR].
Pendant la période du confinement, en raison de l’amplification des plages horaires d’ouverture (le tchat a ouvert 7 jours sur 7 en avril) et de l’impossibilité pour certaines femmes d’appeler le 3919 ou de se rendre dans des espaces d’accueil de leur parole, l’utilisation du tchat sur commentonsaime.fr a explosé de 775%.
Les cyberviolences conjugales, un ensemble de pratiques « du quotidien »
Dans le documentaire TRAQUÉES de la journaliste Marine Périn, publié sur YouTube en janvier 2020, plusieurs femmes racontent leur quotidien sous contrôle.
D’anciens harceleurs y témoignent aussi, expliquant leurs motivations et réinterrogeant leur système de pensée de l’époque.
Dans une enquête de Numerama sur les cyberviolences conjugales, une jeune femme livre une anecdote assez représentative de cette violence quotidienne encore mal identifiée :
Il n’est pas toujours simple d’identifier les violences. Céline* en a subi à deux reprises. La première fois, elle avait 19 ans. Elle est alors dans le sud de la France avec son petit ami, pour des vacances. Sa meilleure amie passe non loin de là et lui propose de prendre un verre. Problème : cette amie est avec l’ex petit-ami de Céline. Ils s’entendent bien, il n’y a plus aucune ambiguïté… mais parce que son copain de l’époque est « ultra-jaloux » au point qu’elle ressente le besoin de se protéger, la jeune femme préfère mentir sur sa présence.
Au retour de la soirée passée à trois, elle déchante. « J’ai attendu mon copain sous une pluie torrentielle, ce n’est qu’après coup que j’ai compris qu’il avait fait exprès [de ne pas venir me chercher] pour me punir. Il m’a ramenée en voiture et m’a fait la gueule pendant 2 jours », se souvient Céline. En lui « tirant les vers du nez », elle finit par comprendre qu’il l’avait regardée taper son code sur son iPhone. Il avait retenu les chiffres et s’en était servi pour regarder ses SMS sans son consentement. Il avait ainsi compris qu’elle lui avait menti au sujet de sa sortie avec sa meilleure amie. « Il m’a pourrie pendant des semaines à cause de ça ensuite », raconte la victime.
Parce que la désignation des cyberviolences est encore assez récente, les associations et professionnelles qui accompagnent les victimes peinent à sensibiliser le grand public. Et alors que le parcours des plaintes pour violences conjugales est encore compliqué, celui pour cyberviolences ajoute un niveau de complexité.
Les personnes victimes de cyberviolences peuvent, certes, prouver le harcèlement par la multitude des messages ou appels reçus ou l’installation d’une application espionne. Mais les plaintes aboutissent très rarement, comme l’explique la présidente du Centre Hubertine Auclert, Marie Pierre Badré :
« Dans l’enquête que nous avons réalisée en 2018, nous nous sommes rendu compte que très peu de femmes déposaient plainte pour des cyberviolences au sein du couple. Et pour celles qui décidaient de le faire, 23% de leurs plaintes étaient classées sans suite et 50% restaient sans réponse. La loi, c’est bien mais il faut qu’elle soit appliquée et que le reste du système judiciaire suive. »
Le cybercontrôle, une infraction plus fermement condamnée
Le rapport alarmant du Centre Hubertine Auclert et les débats publics autour des cyberviolences conjugales ont enjoint le gouvernement à se pencher sur la question. La proposition de loi adoptée au Sénat ce 21 juillet comprenait notamment un volet dédié à cette problématique.
Les partenaires qui contrôlent les messages envoyés et reçus, installent des logiciels espions, suivent la géolocalisation de leur conjoint ou harcèlent par texto ou appel seront désormais plus durement punis.
Selon la loi, lorsque la localisation d’une personne est captée, enregistrée ou transmise sans son consentement, le ou la partenaire risque jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 60 000€ d’amende (au lieu d’un an et 45 000€ d’amende actuellement).
Mais un problème demeure : comment faire prendre conscience aux personnes qu’elles subissent ou exercent du cybercontrôle et que ce n’est pas normal, dans une société où certains actes liberticides sont présentés comme des moves romantiques ?
Alors qu’à l’automne prochain, les députés débattront d’un projet de loi autour du droit effectif à l’avortement et en faveur d’une meilleure éducation sexuelle, il est temps de se demander : quand donnerons-nous les moyens sur le terrain à une réelle éducation affective qui permettrait d’apprendre à vivre ensemble sans s’enfermer ni se contrôler ?
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Je pense que sur le fond on est d'accord.
Cela dit concernant Lolita, par rapport à Roméo et Juliette que tu mentionnais aussi, très justement, le roman n'a pas été glamourisé, bien au contraire. Nabokov a été condamné par la critique, surtout à l'époque, parce qu'on pensait que LUI glamourisait la relation perverse exposée... ce qui me fait bien penser que soit les critiques hurlent sans lire, soit ce sont des pédophiles, soit ils sont vraiment bas de plafond, car franchement il n'y a aucune possibilité de se méprendre sur le propos.
Le roman n'a jamais été associé à quelque chose de glamour, même dans l'adaptation filmique de Kubrick qui était un peu borderline.
Sauf peut-être par les vieux dégueulasses de l'élite littéraire, les mêmes qui encens(ai)ent Matzneff, Frédéric Mitterand, Hamilton... Ce sont eux les responsables, car ils façonnent l'imaginaire collectif qui ne pioche pas ses interprétations de nulle part.
On ne condamne pas le sanscrit pour la svatsika parce que récupérée par les Nazis pour en faire le symbole du Mal absolu aujourd'hui...Ni l'imaginaire collectif. La société connait ce symbole comme tel CAR porté à la connaissance du plus grand monde avec une autre interprétation/utilisation, mais les fautifs ce sont bien ceux qui ont trahit son sens originel.
Par contre, oui, comme je le disait dans un précédent message, le terme Lolita a cela de problématique qu'il a trouvé un usage courant complètement à l'opposé de son origine... mais si tout le monde connait le mot lolita, peu connaissent son origine...