Qui ne rêve pas d’évoluer dans son job ? De prendre du galon, d’avoir des responsabilités ? D’avoir le pouvoir de prendre des décisions, d’être autonome dans son travail ? Monter en grade, n’est-ce pas une fin en soi ? Est il possible d’envisager sa carrière autrement ? Évidemment que non.
C’est ce que je me suis dit lorsque j’ai appris que j’allais monter d’un grade, et prendre la place de ma supérieure directe. Au début, je n’y croyais pas. Chat échaudé craint l’eau froide. Mais mon chef de service m’a convoqué. Mon CV était sur son bureau. Mon vrai CV, pas le CV à moitié vide que j’avais fait passer quand j’ai postulé la première fois, en suivant les conseils avisés d’une de mes amies : « N’envoie pas un CV avec tes diplômes quand tu postules pour un petit poste. Ça fait peur aux employeurs. Ils croient que tu vas vouloir être payée, que tu vas vouloir évoluer, ou pire que tu vas vouloir prendre leur place ».
Sage conseil. Pour trouver du travail, j’ai donc dû nettoyer la moitié de mon CV. Avec un curriculum complet, je n’ai jamais rien décroché. J’ai viré la moitié de mes diplômes et de mes expériences, je suis devenue secrétaire comptable. C’est ce qu’on appelle la loi de l’offre et de la demande, il faut s’adapter. Finalement, j’ai eu de la chance. Et finalement mon vrai CV a enfin été lu. Mon chef de service l’a savement étudié avant de déclarer:
« Ce poste ne te posera pas de difficultés. Tu as les compétences pour. Tu le veux ? »
Si je le voulais ? Un peu, oui ! Mon travail payait enfin. J’ai montré que j’avais envie, alors on m’a laissé ma chance. C’est comme ça que ça se passe : on grimpe tranquillement l’échelle de la hiérarchie, on gagne la reconnaissance bienveillante de nos supérieurs. Et puis surtout, même si je ne suis pas du genre vénal, ma première pensée est allée vers mon découvert abyssal. Depuis le temps que je rêvais de bouter hors de ma vie, celui-là. Je sais combien gagnait celle que je vais remplacer. Je sais que si je demande moins, ce sera toujours bien plus que ce que j’ai jamais gagné dans ma vie. La fin des angoisses, le début des projets. Je le mérite, merde, après tout ce que j’ai traversé !
Le jour de la signature de mon nouveau contrat, je mis donc ma plus belle chemise. La blanche, celle qui me donne l’impression d’être une killeuse, parce je suis du genre à devenir pieuse dès que j’enfile une robe de bure. Je toque au bureau de la DRH, j’ai le cœur qui bat dans ma gorge. Je suis si fière ! Je vais avoir des responsabilités, je vais pouvoir me projeter. Deux traits de stylo et je serais une grande personne. Il serait temps.
La DRH est tout sourire. Elle me demande si je suis contente. J’ai l’impression d’être une gamine à qui on offre un énorme paquet cadeau. Elle m’invite à m’asseoir. L’excitation me fait rater ma chaise, on ne change pas une équipe qui gagne. Elle rit et me tend un stylo et mon contrat. J’en peux plus de joie. Je suis à deux doigts de signer, comme ça, sans lire, comme un cheval fou, quand elle m’arrête :
« Vous ne lisez pas ? »
Alors je lis. Et soudain, tout s’écroule autour de moi. Un CDI ? Non. Un CDD, mais « renouvelable ». Et le salaire ? Le SMIC. Mes mains tremblent. Le stylo m’échappe. Je ne le ramasse pas.
« Vous ne signez pas ? »
Je déglutis.
« Je ne comprends pas ce contrat. Ce n’est pas du tout ce qui a été convenu. Il n’a jamais été question d’un CDD. Quant au salaire, il ne correspond pas à ce que monsieur Eichel m’a proposé. Là, c’est un SMIC. »
Le sourire de la DRH s’élargit.
« – Mademoiselle Gulsh. Vous êtes jeune, ceci est votre première expérience. Comprenez bien qu’on ne peut pas vous rémunérer plus que ça.
– Je suis jeune, certes. Mais mes missions seront à la virgule près les mêmes que la personne que je remplace. Et je sais très bien combien elle gagnait. Je ne prétends pas au même salaire qu’elle. Je veux un salaire à hauteur des responsabilités que ce contrat m’octroie. Et c’est pas un SMIC.
– Écoutez mademoiselle, vous m’êtes sympathique. Je vais donc être honnête avec vous. C’est à prendre ou à laisser. On a fait une fleur à votre chef de service. Les procédures de recrutement ne se passent jamais comme ça normalement. Alors soit vous signez ça, soit vous faites valoir vos doléances, on ouvre le recrutement, et on vous met en concurrence avec d’autres candidats, certainement plus qualifiés que vous pour le poste. »
La DRH me montra de nouveau toutes ses dents, ramassa mon stylo, et me le tendit. D’une main tremblante, étouffée de rage, je signai.
– La suite dans le prochain épisode de La petite vie (pro) d’Almira !
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