Initialement publié le 30 mai 2013
« La femme a sa dignité, celle-ci ne passe pas par l’exhibitionnisme et l’hystérie » : sur leur site Internet, les Antigones expliquent être un « rassemblement féminin » opposé à l’agitation futile (sic) des Femen.
Antigones : c’est qui ?
Habillées en blanc, représentant la pureté, ces jeunes filles apolitiques revendiquent leur « droit élémentaire et leur devoir fondamental à être des femmes à part entière ».
Étudiantes ou jeunes travailleuses, parfois jeunes mamans, les Antigones sont ouvertes à toutes les femmes « qui partagent les mêmes principes et sont au service de l’amélioration de la condition féminine contemporaine loin des impasses d’un certain féminisme ».
« Nous sommes indépendantes de toute affiliation politique ou confessionnelle, même si pour beaucoup d’entre nous, la spiritualité est une voie d’accomplissement de soi. Nous nous sommes retrouvées surtout par bouche-à-oreille, de copine en copine. Aujourd’hui nous sommes rejointes par un nombre impressionnant de femmes qui nous écrivent de partout, nous allons pour répondre à ces demandes monter des antennes régionales pour organiser la suite de nos actions. »
Samedi dernier, les Antigones ont tenté de prendre d’assaut le QG parisien des militantes féministes Femen (relire le Petit Reportage sur le camp d’entraînement des Femen). La présence de policiers aux abords du Lavoir Moderne, point de ralliement des Femen, a finalement rendu la confrontation impossible. C’est à cette occasion qu’elles ont révélé avoir infiltré le groupe contestataire d’origine ukrainienne pendant plusieurs semaines, à travers Iseul, leur agent double de 21 ans (la deuxième fille à prendre la parole dans la vidéo ci-dessous).
Pour mieux comprendre les intentions de ces chastes Antigones encore auréolées d’un certain mystère, nous avons discuté avec Iseul. Quel est « ce féminisme dépassé » dont ces nouvelles militantes souhaitent s’absoudre à tout prix ?
« Femen, vous revendiquez l’égalité entre les sexes. Nous vous répondons que c’est la complémentarité entre les hommes et les femmes qui fait la richesse de notre société. »
L’entretien nous révèlera que les Antigones ne sont pas seulement opposées à la méthode Femen, elles se revendiquent également essentialistes : un homme est un homme, une femme est une femme, et cette nature biologique détermine à la fois leurs enveloppes corporelles et leurs caractères. Rencontre avec l’infiltrée, Iseul (nom d’emprunt), étudiante en droit de 21 ans.
Les Antigones : l’infiltration pour mieux comprendre et critiquer la méthode Femen
Pour formuler leurs critiques des Femen, les Antigones ont voulu s’approcher au plus près de celles-ci. Iseul raconte :
« L’idée des Antigones était en train de prendre forme autour d’une réflexion sur la condition féminine contemporaine. Je voyais les Femen s’agiter, j’éprouvais un profond désaccord avec leurs méthodes, avec le message aussi, souvent. Mais on ne peut pas juger d’une situation sans la connaître. Je voulais me faire une idée sur pièce, malgré la révolte que suscitaient en moi leurs méthodes spectaculaires, que je trouvais dégradantes pour les femmes. »
La jeune femme poursuit en critiquant plus précisément l’exhibitionnisme des Femen, un modus operandi limité et dégradant selon elle :
« Elles accréditent l’idée que pour être entendues, il faudrait se mettre seins nus ! Les journalistes, à de très rares exceptions, n’ont pas enquêté sur elles. Ils leur servent la soupe en montrant leur actions, le choc des photos. Ils donnent un écho formidable à des messages pour le moins sommaires. Pour me faire une idée, je devais m’approcher… »
Mais les Antigones refusent d’être réduites à de primaires anti-Femen :
« On ne se pose pas en s’opposant. Nous voulons d’abord être une force de propositions. Nous ne sommes pas les anti-Femen : nous sommes le contraire des Femen. »
Pour assurer sa couverture, Iseul avait été jusqu’à poser seins nus et participer aux régulières sessions d’entraînement des Femen.
Pour les Antigones, l’infiltration de Iseul n’est pas l’élément fondateur du rassemblement, mais bel et bien un outil pour mieux comprendre l’ennemi. Du peu qu’il est aujourd’hui possible d’en voir, la pensée des Antigones semble essentiellement tourner autour de revendications identitaires et d’un certain attachement au principe de filiation.
Antigones : « Non à la théorie du genre, oui à la complémentarité des sexes »
Le principe de la « théorie du genre » (traduction maladroite, mais de plus en plus utilisée, de l’anglais « gender studies », littéralement les « études de genre ») avance l’idée d’une distinction formelle entre le sexe biologique de l’être humain et son identité sexuelle.
Si le sexe biologique est déterminé dès la naissance, l’identité sexuelle est « la perception subjective que l’on a de son propre sexe et de son orientation sexuelle » (selon le manuel Hachette). Une perception qui est le résultat combiné d’un climat culturel et d’un conditionnement social.
Ainsi, si les garçons semblent aimer jouer à la bagarre et les petites filles à la maman, c’est avant tout parce que l’un comme l’autre sont influencés par les représentations genrées transmises par leur environnement, pas parce que il est fondamentalement inscrit dans l’ADN des petits garçons qu’ils sont plus aventuriers que les petites filles.
La « théorie du genre » revient donc à affirmer que l’identité et l’orientation sexuelle d’une personne sont indépendantes de son sexe biologique – et c’est aussi le point de vue de madmoiZelle.
Mais les Antigones ne sont pas de cet avis. Pour celles qui se décrivent comme « filles de nos pères, épouses de nos maris, mères de nos fils », le sexe que l’on reçoit à la naissance est un don à honorer et à respecter toute sa vie :
« Nous défendons la complémentarité des sexes, le caractère objectif de la sexualité. Lorsqu’une femme est victime d’un viol, la théorie du gender ne lui est d’aucune utilité. Elle est violée en tant que corps marqué par la sexualisation féminine, anatomique, objective.
Nous recevons notre sexe à la naissance, comme une donnée objective et comme un don aussi, qu’il va falloir « habiter ». L’identité sexuelle a une part importante de subjectivité, cette dernière vient investir, donner sens – ou non dans le cas de troubles identitaires qui existent cependant – mais il y a une part irréductible de cette identité qui ne peut être « changée » que par la fiction du droit et le prométhéisme de la Technique qui viennent satisfaire les fantasmes de l’homme moderne. »
Le mariage pour tous, les revendications LGBT, la couverture médiatique nouvellement offerte aux transgenres… Les Antigones voient ces « dérives » (sic) comme de grands dangers :
« Nous refusons que la société française emprunte cette voie, qui est grosse de dangers et d’incertitudes parce qu’on n’expérimente pas sur l’être humain sans grands dommages. L’homme n’est pas une matière disponible pour les expérimentations sociétales ou anthropologiques. Après le siècle des totalitarisme, cela devrait être évident à beaucoup… »
Cette tentative de poser la filiation (« les femmes sont les filles de leurs pères puis les mères de leurs fils ») comme principe de base de la civilisation n’est pas sans rappeler la dialectique utilisée par les opposants au mariage pour tous, à l’instar du mouvement Manif pour Tous qui affirme que la famille « papa + maman » est le socle absolu de la société et que tout autre schéma de famille ne serait qu’hérésie.
Les Antigones formulent également le désir de réfléchir aux questions sociales touchant aux troubles alimentaires des jeunes filles :
« Nous voulons nous pencher sur des sujets touchant à la santé mentale des jeunes filles : je pense ici aux maladies de la société de consommation, comme l’anorexie ou la boulimie. Nous ferons aussi des choses concernant la diffusion du porno à destination de très jeunes publics, par le biais de la presse féminine pour les jeunes filles de 12-13 ans. »
On a hâte de voir comment elles vont traiter ce sujet épineux auprès des adolescentes. Elles s’opposent également aux quotas de femmes dans les entreprises et les grandes administrations :
« Sur la parité, les quotas de femmes qui nous réduisent à l’état de minorité protégée, alors que nous sommes la moitié de la communauté humaine !
Ces dispositifs tendent à nous infantiliser et sont très dommageables à l’estime et aux mérites des femmes de talent qui sont désormais soupçonnées soit d’être la « fille de », la « femme de », la « maîtresse de » – ou d’avoir été favorisée par la politique de discrimination positive. »
« Les Femen ne sont pas soudées »
De son infiltration de deux mois chez les Femen, Iseul retient un certain lot de surprises :
« Je m’attendais à trouver un groupe soudé, ce ne fut pas la cas. L’individualisme et l’envie de faire la Une des magazine est un gros problème en interne. Ensuite, j’ai constaté un fonctionnement opaque et très hiérarchisé, baigné d’une certaine paranoïa. Les activistes du premier cercle n’ont pas de considération pour celles qui soutiennent leurs actions, on ne répond pas à leurs offres de services, par exemple. »
Selon la militante Antigone, le combat des Femen stigmatise trop les femmes dites « soumises » et se construit dans une « haine des hommes » en réalité moins assumée que « publicitaire » :
« Femen est surtout orienté vers les médias qu’elles utilisent très habilement au service de leur notoriété, elle-même mise au service d’un agenda qui n’est pas public mais qui me semble très éloigné des combats féministes tels qu’on les connaissait jusqu’alors. Il y a des choses qui ne collent pas. Pourquoi attaquer telle cible et pas telle autre ? De plus, les Femen sont très virulentes à l’égard des femmes qu’elles considèrent comme « soumises ». En revanche, leur haine affichée des hommes est surtout publicitaire. C’est une posture, en privé les filles sont plutôt normales. J’ai découvert des blessures intimes qui sont non-dites mais qui expliquent sûrement pour une bonne part cet engagement hors normes. »
Mais selon Iseul, le pire dans tout ça, c’est l’absence flagrante de discours des Femen :
« Ce qui m’a le plus déçue, c’est la pauvreté incommensurable du « débat ». Femen est sans substance, les slogans sont tout le discours des Femen, ils ne résument pas leur pensée en quelques mots ramassés – ils sont la pensée Femen.
Femen se résume aux premières lignes de leur manifeste, qui est très éloquent – si je puis dire – « Au commencement était le corps ». Le matérialisme qu’elles professent en réduisant tout au silence de la chair produit une impossibilité de débattre avec elles. Cette incapacité à parler, à penser à débattre produit énormément de frustration et de violence. »
« Nous exigeons la fin de l’immunité des Femen »
Pour les Antigones, les Femen bénéficient d’une inacceptable immunité médiatique :
« Nous demandons la fin de toute subvention directe ou indirecte des Femen, la fin de leur immunité – elles n’ont pas fait une heure de garde à vue pour leurs actions – l’arrêt de leurs activités, et enfin le retour d’Inna et Oksana en Ukraine.
Je ne m’aventure pas en vous disant qu’Oksana, qui a été malade ces dernières semaines, souffre d’un mal du pays qui frise la déprime… Elles sont logées dans un local insalubre et même si je ne les soutiens pas, j’ai lié avec certaines une relation qui me pousse aussi à demander à ce que les autorités s’intéressent à ceux qui les manipulent et les exploitent de la sorte. »
Depuis que l’infiltration d’Iseul a été rendue public, les Femen ont-elles cherché à recontacter l’ex-militante ?
« J’ai reçu un courriel me convoquant devant le bureau exécutif de l’association en vue d’être entendue avant ma radiation, conformément aux statuts de l’association, je réserve ma réponse pour l’instant. »
À l’heure où nous parlons, l’identité des Antigones reste encore assez floue. Ces jeunes femmes se sont-elles vraiment rassemblées via « le bouche-à-oreille » dont parle candidement Iseul ?
Et si leur regroupement n’était qu’une stratégie médiatique déguisée visant en réalité à faire la promotion de valeurs identitaires d’extrême-droite ? C’est en tout cas l’hypothèse qu’avance le journaliste André Dechot sur son blog :
« À y regarder de près, on retrouve au sein des Antigones des militantes identitaires de NAVNAL présentes au happening lyonnais, d’autres présentes à l’initiative d’interpellation de l’UMP par le Bloc identitaire, médiatisée ici et d’autres militantes identitaires pas nécessairement connues pour être au Bloc identitaire (mais dans les réseaux Europe jeunesse). »
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Moi ce qui me fait doucement rigoler c'est que pour des personnes qui se disent "filles de leurs pères, épouses de leurs maris, mères de leurs fils", donc qui défendent des valeurs familiales très fortes ... ben elles ont choisi comme emblème la fille incestueuse d'Oedipe et de Jocaste
On rigole ou on rigole ? Tout de suite ça fait moins crédible si elles s'associent à la manif pour tous en scandant "un papa + une maman".
Je pense sinon que Femen et Antigones = même combat, elles ont l'air également intolérantes. Exhorter les femmes à être "féminines" et à tenir leur rôle social (côté Antigones) ou regarder de haut une femme au foyer parce qu'elle est forcément "soumise" (côté Femen) ben ... c'est de la connerie et l'un n'est pas mieux que l'autre.
Sinon j'aime pas non plus l'agressivité des Femen envers la religion catholique, je vois pas de quel droit elles viennent déranger des croyants dans leur lieu de culte (ce serait une mosquée ou une synagogue que ce serait pareil).
Tu me diras je vois pas non plus de quel droit des meufs déguisées en communiantes viennent me dire que je n'ai pas d'identité hors de ma relation avec les hommes qui m'entourent unno: (note : après ça leurs récriminations sur le monde de l'entreprise sont incompréhensibles vu qu'elles veulent pas être cataloguée comme "amante de", "fille de" ou "femme de" dans le travail ... faudrait se décider).
Enfin bref, à la limite ce qu'elles apportent c'est deux extrêmes qui perso me permettent d'affiner ma position au milieu. J'ai un peu moins l'impression d'être une féministe contre le reste du monde si les combats féminins sont plus médiatisées.