C’est un tweet de Marie Le Vern, députée socialiste, qui nous a alertées : un article de la loi sur la prévention des incivilités dans les transports a été supprimé par la commission des lois du Sénat. Or ses dispositions visaient à renforcer la lutte contre le harcèlement sexiste dans les transports.
La suppression pure et simple de cet article a empêché toute discussion à son sujet. Exit le recensement spécifique des faits de harcèlement sexiste, pour lesquels aucune statistique officielle n’est disponible, exit aussi l’obligation pour les sociétés de transports de former leur personnel de sécurité à la prévention et à la prise en charge de ces violences invisibles…
Notre article, publié le 3 février, a immédiatement fait réagir. De nombreuses citoyennes ont contacté les sénateurs, et une pétition a été lancée : elle totalise déjà plus de 13 000 signatures, en 4 jours à peine. Sur les réseaux sociaux, les réactions affluent en continu sous le hashtag #HarcèlementAgissons, largement alimenté par Paye Ta Shnek qui relaie les témoignages de femmes victimes de harcèlement.
Réponse du Sénat : « des polémiques stériles »
La réponse des sénateurs est tombée vendredi en début de soirée : un communiqué de presse, par lequel « Le Sénat réaffirme son attachement à la lutte contre le harcèlement dans les transports »… mais qui ne nous explique rien de plus que la motivation donnée à l’origine par la commission des lois.
#HarcelementAgissons Le Sénat reste attaché à la lutte contre les violences et les harcèlements à caractère sexiste pic.twitter.com/7wn9H9viMn
— Sénat (@Senat) February 5, 2016
Donc au risque de nous répéter, nous aussi : quand bien même cet article 14, dans sa rédaction, serait considéré superflu par le service juridique de votre Commission des Lois, vous nous devez a minima une autre réponse qu’un hautain « hors sujet ». Déjà parce que le service juridique de la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale ne partage pas votre analyse, et qu’un minimum d’argumentation détaillée sera bienvenue.
Surtout qu’une phrase de ce communiqué fait peser un doute sérieux sur « l’attachement » des sénateurs à la lutte contre le harcèlement :
« Le législateur ne doit pas se laisser guider par la recherche de polémiques stériles »
Astuce : pour « réaffirmer son attachement » à une cause qui affecte potentiellement la moitié de la population française, éviter peut-être de qualifier l’inquiétude des personnes concernées de « polémique stérile ».
La lutte contre le harcèlement sexiste a besoin d’une légitimité politique
« On a besoin d’une reconnaissance officielle du harcèlement sexiste »
Nous, les 51% des femmes qui composons la population française, ne sommes ni un détail cosmétique, ni un « hors sujet ». Merci de ne pas traiter des problèmes qui nous touchent quotidiennement avec la nonchalance réservée aux cavaliers législatifs.
Nous sommes le sujet que vous avez trop longtemps ignoré.
On ne vous reproche pas d’être misogynes. On vous reproche d’être indifférents, ce qui est également méprisant.
C'est la majorité de droite du Sénat qui a supprimé l'article en commission malgré notre opposition. #HarcelementAgissons 2/2
— SénateursSocialistes (@senateursPS) February 5, 2016
Les sénateurs socialistes se sont désolidarisés de la majorité « Les Républicains »
par deux tweets, postés vendredi 5 février à 16h30
« Les harcèlements sexistes sont dans une zone grise du droit »
Marie Le Vern, la députée SRC qui a porté les dispositions de l’article 14, a publié une tribune dans le Huffington Post. Elle remet en perspective les discussions qui entourent la pertinence de ces amendements dans la loi :
« Les harcèlements sexistes sont dans une zone grise du droit. Ce ne sont pas des harcèlements sexuels, ni des injures publiques ou encore des agressions (des actes parfaitement reconnus et punis par le droit). Ils sont plus diffus, plus insidieux. Ils profitent largement du silence collectif qui les entoure. Ce non-dit c’est leur passeport pour l’invisibilité.
Quelles sanctions contre les sifflements, les commentaires sur le physique, la tenue vestimentaire, une présence envahissante et opprimante, un regard insistant, des invitations déplacées? Pire, quelles réactions des personnes entourant la victime ? »
En l’absence d’appui politique fort, ces violences invisibles que sont les faits de harcèlement sexiste dans la rue et les transports vont continuer d’être ignorés. Sans recensement statistique, pas d’étude d’impact sur l’efficacité de l’action publique. Et le Sénat participe à cette « dissimulation », en refusant le dialogue sur le sujet, ce que dénonce Marie Le Vern :
« Sans se prononcer sur le fond, les sénateurs ont disqualifié le sujet. Ils ont ainsi apporté leur pierre à l’édifice de dissimulation.
Or il faut briser cet édifice, et pour cela donner une légitimité politique au combat contre ce type de harcèlement.
C’est pourquoi il est essentiel que la loi admette l’existence du phénomène, ne serait-ce qu’en le nommant, pour lui donner corps »
La Commission Mixte Paritaire se réunit le 10 février pour trancher. Affaire à suivre…
Mise à jour du 9 février : la suite, ce sont deux entretiens croisés, avec Marie Le Vern et Philippe Bas, président de la commission des lois du Sénat.