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Culture

Le complexe du white savior mis à l’honneur (beurk) dans le problématique Ténor

Ténor pourrait avoir l’air d’une comédie parfaitement inoffensive. Malheureusement, il n’en est rien.

Je sais pas si je vous l’ai déjà dit mais j’ai été choriste de Véronique Sanson, et même d’Eddy Mitchell, car en vrai j’ai 148 ans. 

Vous observerez qu’être la choriste des stars ne m’a malheureusement offert aucune carrière dans le showbiz, sans doute parce que j’ai une voix de crécelle et le talent scénique d’un saumon mi-cuit. 

À défaut d’être Lady Gaga, je vis donc ma vie d’artiste par procuration devant mon poste de télévision, comme dirait Jean-Jacques Goldman, une autre star des EHPAD. Autant vous dire qu’aucun film sur le chant et la danse n’échappe donc à mon radar. 

Ainsi, et en dépit du bon sens, je suis allée voir Ténor, le nouveau film de Claude Zidi Jr., qui s’est rapidement avéré être un film comme on en a déjà vu 200.000, et j’exagère à peine. 

Ténor, une comédie de Claude Zidi Jr.

Pour rappel, Claude Zidi Jr., c’est le fils de Claude Zidi, un réalisateur iconique de la comédie des années 90, qui a notamment façonné Les Ripoux et autres Les Sous-doués, que j’aime personnellement d’amour, comme toute personne de plus de 140 ans. 

Après Les Déguns en 2018, Claude Zidi Junior, qui marche dans les pas de son père, sort cette semaine sa seconde comédie : ça s’appelle donc Ténor, et c’est l’histoire toute simple d’Antoine (incarné par MB14, un chanteur qui sort de The Voice), un livreur chez Sushi Shop, qui devient le petit protégé d’une prof de chant lyrique, à l’Opéra de Paris. 

Pourtant, être chanteur d’opéra, ça n’était pas franchement ce à quoi se destinait Antoine, d’abord parce qu’Antoine est banlieusard, ce qui signifie, dans l’imaginaire collectif du cinéma français qu’il parle forcément verlan et a une culture G proche de 0, ensuite parce qu’Antoine, ce qu’il aimerait, c’est devenir rappeur. SILENCE. Rapport qu’en banlieue, les jeunes aiment le rap, toussa. 

Antoine et Mme Loyseau, sa prof de chant qui le défend envers et contre tous, et surtout contre les blancs prout prout qui sont légion entre les murs de l’Opéra Garnier, finissent par se lier d’amitié, et à dépasser leurs préjugés réciproques. Lhlala c’est mignon tout plein ? Eh bien non, c’est surtout manichéen.

L’éternel complexe du white savior

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Déjà, est-ce que ce pitch ne vous rappelle pas quelque chose ? Mais si, faites un effort, vous savez : l’histoire d’une personne blanche maxi-privilégiée qui croit au potentiel d’une pauvre petite meuf ou d’un pauvre petit gars de banlieue de quartiers populaires, en général racisé ? Ça ne vous dit rien ?

Pourtant, c’est le synopsis de vraiment BEAUCOUP TROP de films français qui, non contents de véhiculer des stéréotypes sur « les jeunes de cité », ont le culot de le faire sous couvert de progressisme. 

Prenez Le Brio, de Yvan Attal, La Mélodie, de Rachid Hami ou plus récemment Haute Couture, de Sylvie Ohayon : tous nous font le récit du petit sauvageon du bitume qui boit les paroles de son bon maître blanc. 

D’ailleurs puisque je vous cite Haute Couture, j’ai été vous chercher un petit commentaire Google sur le film et j’ai trouvé celui-ci, que j’aime particulièrement :

« Très beau film, porté par le magnifique jeu de Nathalie Baye, qui est parfaite. Face à une petite beurette épatante, odieuse et touchante à souhait ! »

Attendez, excusez-moi, j’ai vomi dans ma bouche. 

Les exemples que je vous ai cités plus haut sont finalement la personnification filmique du « white savior » ou complexe du sauveur blanc. Celui-là même qui consiste, pour une personne blanche, à se mettre en scène en train de sortir du pétrin une personne racisée qui, en général, ne lui a rien demandé. Un sauvetage imposé, davantage pour se faire mousser que par altruisme. 

Un complexe très répandu sur Instagram et les applications de rencontre notamment, où des influenceurs de tous horizons se postent par exemple en photo dans des villages africains, entourés d’enfants noirs. Cringe, vous avez dit ?

J’ai revomi dans ma bouche, et c’est même pas parce que j’ai mangé une soupe de raviolis pimentés à 4h. 

Ténor, pas si inoffensif que ça !

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Bref, Ténor peut avoir l’air d’une comédie inoffensive, voire carrément bienveillante, mais derrière ses airs de film tolérant, il participe à creuser les inégalités de classe et à renforcer les clichés autour des jeunes de quartiers populaires. N’oubliez jamais : le cinéma est politique. Un film n’est jamais juste un film. 

Bref, je vous passe les scènes où Michèle Laroque boit du vin en regardant lascivement par la fenêtre de son appartement bourgeois, et celles où Antoine s’illustre sur des scènes de rap, tellement leur énonciation donne envie de rouler des yeux exaspérés. 

À l’heure où l’on (et par on je veux dire nous, chez Madmoizelle) rêve à une société nuancée, où chacun à le droit de développer sa pluralité, on a malheureusement encore droit à des comédies résolument binaires, qui ne servent qu’à coller des étiquettes. 

Allez, on dit qu’en 2023, on arrête avec le classisme et le racisme ? Allez, je vais de ce pas m’inscrire au casting de la nouvelle saison de La Star Ac’ ou même Miss France, tiens !

À lire aussi : Lâchez tout pour voir The Batman, le plus punk des blockbusters

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Crédits

Le seul avis qui compte est un podcast de Madmoizelle écrit et présenté par Kalindi Ramphul. Réalisation, musique et édition : Mathis Grosos. Rédaction en chef : Marine Normand.


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Les Commentaires

7
Avatar de Ciredutemps
8 mai 2022 à 11h05
Ciredutemps
Je conseille fortement le documentaire "entre deux mondes" diffusé sur LCP, qui décrit l'histoire de collégiens de Seine-Saint-Denis qui participent au programme des "Cordées de la Réussite" (en gros, ils ont l'"immense privilège" d'aller prendre des cours le mercredi aprem' au lycée élitiste parisien Henri IV, et seule une poignée d'entre eux seront autorisés à y passer en seconde).
Le documentaire est suivi par un débat avec justement des collégiens de banlieue. Édifiant, et pas du tout binaire.
(le film et le débat sont disponibles en replay)
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