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Mon père, mon super-héros — Fête des pères 2016

Pour la fête des pères 2016, c’est au tour de cette madmoiZelle de nous parler de son papa super-héros, des difficultés qui les ont un temps séparés et de leur nouvelle belle relation !

Je n’ai pas trop de souvenirs avec mon père quand j’étais petite : peintre décorateur, il était toujours à l’étranger pour faire des chantiers ou bien partait très tôt le matin et rentrait tard pour travailler dans son atelier à Paris.

Pour le voir, ma mère et moi le rejoignions dans ses déplacements (sur le CV, ça fait quand même classe de dire qu’à onze ans je suis partie trois fois à New York t’as vu).

Mon père, ce super-héros de mon enfance

Du coup ce sont les photos qui font mes souvenirs, et ce qui me frappe le plus quand je nous vois mon père et moi, c’est son regard rempli de fierté et d’amour contenu par sa pudeur.

Ça peut sonner super cheesy, mais c’est vrai. Il avait tous les apparats du papa dans les bouquins pour enfants : il était grand, il sentait le cuir et l’after shave, et souvent il me ramenait un petit jouet le soir, comme pour se faire pardonner d’avoir été absent.

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On ne parlait pas beaucoup : il préférait écrire des lettres ou des petits mots avec des dessins sur lesquels il me disait qu’il m’aimait — sans ça, j’aurais été bien incapable de dire ce qu’il ressentait.

L’été de mes huit ans, je suis partie en colo dans l’Aveyron, et le combo solitude / difficulté à cohabiter avec d’autres gamin•es / peur que mes parents m’abandonnent ou meurent en a un peu fait une épreuve.

L’un des derniers soirs, je pleurais pour l’une de ces trois raisons et là, en tout brouillé à cause des larmes, j’ai vu mon père ouvrir la porte : il m’avait fait la surprise de venir me chercher plus tôt. Il a chopé d’un coup la médaille de super-héros pour la garder plusieurs années.

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L’apparition d’un grand fossé

Ma mère ne travaillait pas, et c’est elle qui s’est occupée de moi jusqu’à ce que j’aie douze ans et qu’elle aille vivre ailleurs — ce qui, je crois, a été bénéfique pour moi. Elle était assez perturbée mentalement et a fait pas mal de trucs pas cool, même si elle a quand même fait ce qu’elle a pu avec ses propres armes.

Mon père a alors dû composer avec l’éducation d’une pré-ado et son travail qui lui mangeait tout son temps, et c’est à cette époque que les choses se sont gâtées.

Son incapacité à dire ce qu’il pensait, sa maladresse et mon état psychologique moyen ont créé un malaise qui n’a cessé de grandir pour finir en énorme fossé. Le papa super-héros était en piteux état.

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De mes quatorze à mes dix-huit ans, je lui ai envoyé tout plein de signaux : pages Internet restées ouvertes sur des statistiques de suicides chez les ados, scarifications sur mes bras et sur mes cuisses, un abus d’anti-dépresseurs qui a fini en lavage d’estomac à l’hôpital (et qui, au pire, aurait pu me faire avoir une grosse colique), de l’absentéisme…

Bref, le pack complet de l’ado qui ne va pas bien.

Ça me frustrait tellement qu’il n’ait rien vu ou voulu voir, j’avais l’impression d’avoir une grosse boule violette pleine de nerfs gonflés dans la tête et je me disais que jamais plus je ne pourrais revenir en arrière. Il me disait d’ailleurs souvent qu’on avait atteint le point de non-retour.

Une grande souffrance

Ma mère étant partie tellement loin dans son propre monde que je ne pouvais pas lui parler de mon état, et de toute façon j’avais considéré qu’elle ne faisait plus partie de ma sphère familiale. Puis, quand j’ai eu dix-huit ans, j’ai été violée par mon mec de l’époque. Je n’avais pas conscience que c’était un viol : après tout c’était mon mec, non ?

À lire aussi : J’ai été victime de viol conjugal — Témoignage

Tout ce déni, cette manipulation que ce connard a exercée sur moi (hello there pervers narcissique

), la situation avec mon père, le fait qu’il ne m’ait pas protégée de lui, que personne n’ait rien vu, que personne, pas même mon psy, n’ait fait quelque chose, que ma mère m’ait abandonnée et ait définitivement embrassé la carrière de psychotique…

Vraiment, je ne le souhaite à personne. Ce n’était pas beau à voir.

Du Disneyland trop mignon de mon enfance, on était passés au Dismaland tout brumeux et tout dégueu.

Ça a commencé à aller un peu mieux quand j’ai eu dix-neuf ans. Je me suis rapprochée de mes sœurs, j’ai commencé à bosser et j’ai grandi ; du coup, ma relation avec mon père s’est un peu détendue. Je me suis mise à faire le même boulot que lui, j’ai suivi une formation de peinture décorative et j’ai moi-même fait des déplacements à l’étranger.

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L’âge adulte et les retrouvailles

Parler du travail, de conditions de chantier et de connaissances qu’on avait en commun a sûrement dû jouer dans notre réconciliation, et m’installer à Paris quand j’ai eu vingt-deux ans a bien aidé. On a reconstruit notre relation autour de l’« adulte » que j’étais devenue, et il m’a parlé plus ouvertement de lui, de ma mère, de ce qu’il avait vécu…

Pour résumer, nous lâcher mutuellement la grappe nous a ressoudés.

Malgré ça, j’avais toujours une espèce d’arrière-goût, de truc en suspens, de colère mal comprise ; je faisais souvent des rêves dans lesquels j’avais beau crier et m’énerver, mon père se moquait de moi et finissait immanquablement par partir.

Pourtant, il m’a toujours soutenue : quand j’ai quitté la peinture décorative pour voir ce que moi j’aimais vraiment faire, quand je me suis questionnée sur mon genre et quand je lui ai dit que j’étais bisexuelle (ou du moins quelque chose s’en rapprochant). Même quand je pensais qu’il était à côté de la plaque, en fait il m’écoutait et tombait souvent juste.

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Depuis quelques temps, j’avais envie de lui dire que j’avais été violée mais je ne trouvais pas le bon moment. Je me braquais mentalement contre lui, ma colère enflait encore pour finalement retomber comme un soufflé raté et puis je ravalais tout ça en attendant la prochaine fois.

Mais la semaine dernière, lors d’un trajet en voiture où la discussion s’est orientée vers les violences conjugales, la violence tout court qu’on se prend dans la tronche quand on est une meuf ainsi que ma vision du féminisme, j’ai lâché le morceau.

Il m’a posé la question que j’attendais depuis des années et j’ai juste dit « oui ». À l’époque, il n’en savait rien, peut-être que s’il l’avait su ça n’aurait rien changé. Je n’aurais pas été guérie de mon mal-être comme dans les films sur NT1, mais au moins maintenant il le sait.

C’est un soulagement énorme et une grande avancée dans notre relation. Poser mes problèmes sur la table et ne pas les minimiser — sans pour autant m’en servir comme cachette — m’a aidée à faire grandir la confiance que j’ai en moi.

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Deux super-héros

Il y encore des malentendus entre mon père et moi, mais on aime bien se foutre de la gueule de l’autre pour les dissoudre, et ça donne de bons gros fous rires. C’est con à dire comme ça, mais mon père est redevenu mon super-héros, il s’était juste un peu perdu.

Et comme, entre temps, moi aussi je suis devenue une super-héroïne avec toutes ses nullités, on s’entend vachement bien. C’est la personne que j’aime le plus au monde.

Mon papa je t’aime, même si t’aimerais secrètement voir un concert de Johnny Hallyday.

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