Je m’appelle Jack Parker et j’aime raconter ma vie sur Internet.
Quand j’ai commencé à utiliser Internet, mon obsession principale était d’apprendre comment créer un site perso, un vrai, comme les grands, qui me servirait à balancer ma vie à la vue de tous. J’ai testé toutes les plateformes de blog qui existaient à l’époque, dans le but de trouver le moyen le plus efficace, et le plus attrayant, de me raconter. Depuis toute petite, j’ai toujours rêvé d’écrire mon autobiographie. Pourtant c’est pas comme si ma vie était réellement passionnante. Je ne suis pas née dans un camp de réfugiés, j’ai jamais sauvé de vie, j’ai pas été la copine d’un grand boss de la mafia, et j’ai jamais passé de nuit dans la rue (enfin si, une fois, j’ai dormi devant l’Opéra Bastille avec mes copains lors de la première Nuit Blanche parisienne mais ça compte pas, j’suis rentrée dans mon lit bien chaud avec le premier métro). Rien ne justifie, a priori, que je rende mon existence publique.
Je ne saurais pas vraiment expliquer d’où ça me vient – je pourrais tenter le « Non mais quand j’étais au collège j’étais martyrisée et j’avais pas d’amis et tout le monde s’en foutait de ma vie alors j’ai besoin d’exister maintenant », mais ça me paraît un peu trop facile. Je pense que ça date d’avant ça. J’ai toujours adoré qu’on me pose des questions sur ma vie, qu’on s’y intéresse, qu’on m’écoute, qu’on me lise. Alors certes, j’aurais très bien pu me contenter de faire tout ça sur un blog perso, mais il se trouve que la vocation de madmoiZelle est également d’ouvrir une fenêtre sur la vie de vraies meufs – coup de bol, j’en suis une, si, si – et Fab, en plus d’approuver globalement toutes mes idées de racontage de vie, m’encourage régulièrement à le faire quand je n’y pense pas moi-même. Il m’arrive même de refuser de parler de certains sujets personnels, comme quoi tout n’est pas totalement perdu.
Se regarder, mais aussi (et surtout) regarder les autres
Et inversement, j’ai toujours adoré lire la vie des autres, la regarder, plus encore quand elle est racontée sans aucune retenue, avec tous les détails sordides et crus qui vont avec. C’est pour ça que j’aime Cat Marnell. C’est pour ça que j’ai passé des semaines entières à lire des blogs d’inconnus quand j’avais 17-18 ans. C’est pour ça que j’aime les nouveaux magazines américains en ligne comme xoJane, Rookie ou Hello Giggles. Pour toutes ces femmes qui y racontent leur vie dans leurs moindres détails.
Parfois, elles se contentent d’un épisode, et qu’il soit triste ou joyeux, le récit est toujours truffé de petites informations inutiles mais précises qui caractérisent leur auteur. C’est une fenêtre ouverte sur une vie qu’on ne croisera sûrement jamais dans le réel. Bien sûr, il y a toujours une chance pour que ce soit un peu romancé, un peu amélioré – mais c’est pour la forme, pour le style, pour que l’histoire coule toute seule et s’avale d’une traite. Nous sommes après tout les seul-e-s propriétaires de nos histoires, libre à nous d’en faire ce que bon nous semble.
Les blogs perso, les blogs mode, les blogs cuisine, les blogs ciné – tout est prétexte à exposer des petits bouts de sa vie. Même en passant par un sujet « neutre », il y a toujours moyen de caler quelques petits trous de serrures entre les lignes pour permettre à ces milliers d’inconnus virtuels de se faire une idée de ce que nous sommes. De ce que nous voulons montrer de nous. De ce que nous voulons représenter. Il est si facile de se reconstruire, de se façonner à l’image d’un vieux fantasme, de se réinventer dans le virtuel – d’autant plus que c’est une façon d’imposer une image qui se transpose beaucoup plus facilement dans le réel par la suite. Une fois qu’on a posé les grandes lignes de ce que l’on souhaite devenir, une fois qu’on a affirmé à des milliers de lecteurs que c’est bien ce qu’on est, on a plus d’autre choix que de le devenir.
Et même sans tenir de blog, sans jamais écrire une ligne sur sa vie privée, on donne des pistes avec des sites qui permettent de partager ce qu’on lit, ce qu’on écoute, ce qu’on regarde. Tout ce qu’on partage offre un aperçu plus ou moins large de ce qu’on est. Je n’ai encore jamais couru vers des inconnus dans la rue pour leur gueuler « EH REGARDE, J’MANGE DES FRIIITES, DES FRIIIIIITES !
» mais ça ne me pose aucun problème d’en informer mes followers. Et je m’attends toujours à une réaction, même si c’est un petit « like » sur Instagram. Vous m’avez vue, vous avez vu ce que je faisais à cet instant T, et ça me va. Et pourtant, j’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne vois aucune raison valable de le faire. Aucune explication, aucune justification, rien qui puisse m’aider à verbaliser ce désir que j’ai de partager ce que je suis et ce que je fais tout au long de mes journées. J’aime ça, c’est certain, autrement je ne le ferais pas. Je suis même obligée de me contrôler parfois, pour ne pas trop en dire, trop en montrer. Mais je ne saurais pas dire pourquoi ça me fait autant plaisir. Enfin, avec le temps, j’ai surtout appris à apprécier les réactions suscitées par mes déballages, les « moi aussi », « je fais tout pareil », « je te comprends, tu n’es pas seule » ou les remerciements, parfois. Je ne fais que me raconter, mais ça finit toujours par me dépasser et atteindre d’autres individus.
Et à l’inverse, j’adore que les autres le fassent aussi. J’adore voir regarder défiler les tweets quand je fais une pause thé, j’adore me promener sur Instagram pour voir ce que font (enfin, surtout ce que mangent) les autres, je me perds souvent dans des univers parallèles en navigant de blog d’inconnu-e à blog d’inconnu-e sans jamais me lasser de lire des histoires de vie « normale ». Ça m’inspire, ça me fascine, ça me fait du bien, ça me divertit, ça m’amuse, ça me choque, ça me procure tout un tas de trucs dont je n’ai pas l’intention de me passer.
« Je ne comprends pas l’intérêt de cet article »
En France plus qu’aux États-Unis, c’est encore assez mal vu. Dans la majorité des publications américaines, quel que soit le sujet abordé, le « Je » est très présent. Il n’est pas rare de lire une critique de film, d’album, une interview ou un papier d’analyse psycho-socio truffé de « Moi je », « D’ailleurs ça me rappelle quand j’avais huit ans… », « À ce propos, une pote à moi m’a dit… », etc. En dehors de ça, les papiers 100% « moi je » sont très courants, très populaires et toujours extrêmement travaillés. On peut baser une carrière sur le racontage de vie.
Ce que j’ai constaté depuis que je suis sur madmoiZelle, en tant que lectrice comme en tant que rédactrice, c’est que cette tendance est encore souvent critiquée. On demande souvent aux auteurs de justifier ce déballage, d’expliquer en quoi c’est intéressant, et parfois même, on leur reproche de nous avoir « imposé » cet exhibitionnisme qui nous a mis-e-s mal à l’aise. Et ça m’intrigue toujours autant – pourquoi un tel rejet de « l’exhibition » ? C’est quoi le problème là-dedans, finalement ? Si des gens ont envie de raconter leur vie à des inconnus, qu’est-ce que ça peut bien faire ? Pourquoi toujours imposer un médium particulier (un blog perso, en l’occurrence) pour ce genre de récits ?
Je ne lis que des magazines américains parce qu’ils sont truffés de « vraie » vie, de morceaux de vrais gens dedans, de petites anecdotes qui rendent les auteurs réels et vivants. Ça me rend sincèrement heureuse de lire toutes ces histoires, même quand quelqu’un ne fait que raconter son déjeuner avec sa mère, son premier amour de vacances, sa relation avec son ours en peluche ou ses différentes expérimentations en matière de drogue. J’ai beaucoup de mal avec la vague de jugement qui suit ces déballages. C’est généralement violent et suivi d’un « Bah oui, mais si tu voulais pas qu’on réagisse comme ça, fallait pas raconter ta vie ».
Quand je lis les forums de madmoiZelle, je me rends compte que c’est totalement inévitable. Ça paraît moins public qu’un papier dans un magazine, mais ça reste là, visible par des centaines de personnes. Il existe tellement de topics différents qui n’ont qu’un seul but : pousser les membres à raconter leur vie. On s’y perd si facilement, ça permet d’élargir un peu sa vision des choses, de se rendre compte que certaines évidences n’en sont pas et de découvrir de nouveaux points de vue, de nouveaux modes de vie, de nouveaux quotidiens.
Et si on fait tout ça, si on se livre comme ça virtuellement, c’est bien pour être lu-e et pour être vu-e. Sinon on se contenterait de faire les choses à l’ancienne, dans un journal intime, un carnet, sur une serviette en papier. On afficherait nos photos dans notre chambre, on garderait nos téléphones dans nos sacs quand on mange. Et pourtant on s’expose tous, à différents degrés. Et les degrés les plus bas se moquent des degrés d’au-dessus qui eux-même se moquent de ceux qui les suivent, etc. Je me moque de ces mères qui passent leur journée à poster des statuts sur le contenu de la couche de leur môme, mais finalement je suis pareille. Si on reprend tous les articles que j’ai écrits sur madmoiZelle, y a moyen de se faire une sacrée bonne idée de ce que je suis, plus encore qu’à travers une succession de statuts Facebook.
Tant qu’il y aura un public pour tous ces détails, toutes ces histoires, on continuera à les documenter. J’espère simplement qu’on arrêtera de cracher sur ceux qui ont choisi de rendre leur existence publique, ceux qui s’exposent délibérément, sans honte ni pudeur, à la vue de tous. Les gens comme moi, quoi. Alors évidemment, on me répondra que « choisir de s’exposer, c’est choisir de se manger des critiques dans la gueule ». Et je suppose que pour l’instant, ça fait effectivement partie du jeu.
Mais pour paraphraser un grand penseur du 9-2 : « Pourquoi tu jactes ? Si tu kiffes ap, tu lis ap ».
Les Commentaires
Mais de rien! Je te retourne d'ailleurs le merci, tout ce que j'ai oublié dans ma hâte, tu l'as ajouté