Comédie sentimentale pornographique est le dernier ouvrage publié par Jimmy Beaulieu aux éditions Shampoing. Roman graphique très riche aux multiples influences, avec des styles différents d’une page à l’autre, que ce soit dans la narration ou la technique du dessin, de l’encre aux crayons de couleurs en passant par le pastel.
Ouvrage parfois classé dans la néo BD érotique, sûrement pas pornographique, c’est surtout le charme et la sensualité qui s’égrènent au long des 300 pages, mêlant les destins de Corinne, Martin, Louis, Annie, protagonistes trentenaires se croisant en quête de sens et de Sens, prônant l’amour libre, la liberté, la création pure.
Un rythme parfois surprenant, passant d’un personnage à l’autre, du passé au présent, en insérant ici et là paroles des Pink Floyd ou des Beach Boys, le tout est pourtant fluide et porte le récit dans un espace-temps indéfini où l’on a envie de se plonger langoureusement.
De la découverte d’un vieil hôtel à l’invention d’histoires fantastiques sur la scène d’un théâtre désaffecté, Jimmy Beaulieu nous invite à explorer les rapports humains, tant solitaires qu’en couple ou en groupe, avec pour fil conducteur la douce chaleur des corps nus.
A ne pas mettre entre toutes les mains, certaines scènes étant très explicites, j’invite cependant chacun et chacune à se laisser aller au trouble provoqué par la Comédie sentimentale pornographique.
INTERVIEW
Rencontre avec Jimmy Beaulieu à l’occasion du vernissage de sa première exposition parisienne à la Galerie Oblique (jusqu’au 2 juillet), « L’Oeil Amoureux »:
Bonjour monsieur Beaulieu, est-ce que vous pourriez vous présenter ?
Dans les années 90 je faisais de la musique électronique, j’ai été libraire, après ça j’ai tout plaqué, j’ai changé de ville et je me suis lancé dans la bande-dessinée d’abord comme éditeur, je faisais des histoires courtes, mais j’avais une maison qui s’appelle « Mécanique Générale » et qui a publié une bonne partie des premiers livres de la nouvelle génération de BD alternative ou d’auteurs québecois. Puis j’ai démissionné en 2009 pour me consacrer pleinement à mes activités d’auteur.
C’est un intérêt que je n’avais jamais perdu depuis que j’étais enfant, en grandissant je suis toujours tombé sur des livres qui correspondaient à mes intérêts du moment, qui évoluaient. Quand je me disais que j’étais trop vieux pour lire de la BD, car c’est vrai qu’il y a une pression sociale autour de ça, je trouvais toujours l’album qui me donnait tord et qui me donnait envie de continuer à lire.
Qu’est ce qui vous a donné envie de vous lancer en tant qu’auteur ?
La vocation a toujours été là, même quand je faisais de la musique, que je faisais la fête tout le temps, je me disais qu’il fallait que je fasse quelque chose d’un peu plus tranquille et la bande dessinée c’était parfait, je savais que je finirai par m’y consacrer. J’ai eu le déclic à 25 ans, il a fallu que je marque le coup, que je déménage à Montréal car au Québec ça n’intéressait vraiment personne à cette époque là, on était une poignée d’auteurs un peu fous qui se sont mis à faire assez de livres assez bons pour pouvoir créer un mouvement.
Avant il y avait évidemment de la très bonne BD québecoise mais il y avait de gros creux de vagues, on a eu la chance d’arriver à un moment où les techniques de numérisations, de mise en page pouvaient se faire gratuitement, choses qui étaient très coûteuses avant 2000. Nos livres étaient prêts à être imprimés, il ne restait plus qu’à trouver l’argent pour l’impression, c’était beaucoup moins difficile.
Il y a une certaine liberté technique tout au long de « Comédie Sentimentale Pornographique ». Est ce que c’est une volonté personnelle ou plutôt un hasard, vous créez avec ce que vous avez sous la main ?
Les revendications de ce qu’on appelle le roman graphique c’est de rechercher et de montrer une certaine intégrité, une transparence. Mes livres parlent d’un quotidien tranquille mais malgré ça je suis quelqu’un qui s’embête assez vite et qui aime bien essayer des choses différentes, nouvelles, je suis d’un naturel touche-à-tout. J’ai besoin d’incorporer ce besoin de changement, d’être déstabilisé. Étonnamment même dans la bande dessinée alternative, expérimentale, c’est rare de voir des changements techniques au sein du même livre, ça ne se fait pas, c’est presque tabou. Et finalement quand les gens lisent le livre ils sentent une structure assez solide qui passe par une autre méthode que la cohérence graphique.
C’est sincère par rapport à ma personnalité, c’est ce qui m’enivre quand je travaille, je n’ai pas envie d’être lassé par ce que je crée, j’aime le plaisir viscéral de la nouveauté. Il m’arrive de faire une dizaine de planches de la même scène, et je sélectionne celle que j’ai dessinée en étant le plus à l’aise. J’ai un trait assez spontané, léger, si c’est un tant soit peu laborieux j’essaye autre chose.
Ca peut sembler se faire au hasard mais ce n’est que le reflet de la scène que j’imagine, par exemple une conversation dans une chambre à coucher je vois ça avec le côté un peu crasseux du plomb, avec un lavis d’aquarelle pour les rehauts, si c’est de la comédie je vois un trait très fin, noir, une plume technique, pour la légèreté, et si c’est une scène onirique ou contemplative, je sors les crayons de couleurs gras pour la profondeur, le côté mystérieux de la nature.
Il y a une certaine logique dans le changement technique mais ça reste dans la représentation de ce que je me représente quand j’imagine la scène.
Vos protagonistes sont des épicuriens qui profitent de la vie sans penser au lendemain, qui sont dans la quête du désir et du plaisir absolu, sans conséquences. Est ce un fantasme, un idéal auquel vous aspirez ?
C’est vraiment un fantasme, pour moi c’est ce qu’il y a de plus pornographique dans le livre, c’est presque obscène de nos jours, être hors des conventions, faire ce qui nous plait.
Quand j’étais éditeur j’étais surtout plongé dans des colonnes de chiffres, j’étais surmené. Me concentrer sur mon dessin m’a permis de retrouver cette ivresse de la liberté et de vivre d’une certaine manière des choses que je ne vivrai jamais. Je trouve ça assez sain de se permettre de rêver pendant quelques heures grâce aux livres, puisqu’on ne peut pas se permettre d’être comme ça en vrai.
Il y a aussi une fascination enfantine. Les déguisements, l’exploration, les histoires que l’on se raconte pour se faire peur, tout ça ce sont des souvenirs de ce que l’on a oublié d’être en tant qu’adultes.
Il y a un énorme attrait pour la bande dessinée en ce moment, par exemple « Le Chat du Rabbin » de Joann Sfar vient de sortir au cinéma. Est ce que vous seriez prêt à déléguer vos personnages, à les laisser se mouvoir seuls ?
En tant que touche-à-tout je ne refuserais pas je pense. Ce n’est pas un but évidemment, la forme idéale c’est la BD, dans laquelle ils sont en ce moment. J’aurais un a priori positif si il y avait un projet d’adaptation, ça m’intéresserait de travailler dessus. Ce qui serait un gros avantage c’est que je pourrais y mettre de la musique. Je mets souvent des paroles de musiques assez populaires pour que les gens puissent l’inclure dans leur lecture, imaginer la mélodie. Si ce projet prenait forme, l’intérêt principal, beaucoup plus que voir des incarnations de mes personnages en chair et en os, ce serait vraiment de pouvoir tricoter avec de la musique un peu plus subtile, à chaque ouverture de scène, de manière plus fine. Je suis attaché à ces personnages, j’ai d’ailleurs quelques idées de suite, mais pas de manière religieuse.
Pour terminer, est ce que vous auriez un conseil pour les madmoizelles ?
Dans le domaine créatif, ne pas avoir peur des mauvaises idées, c’est le terreau le plus fertile pour trouver de bonnes idées, il ne faut pas se censurer. Ne pas vouloir faire mieux à tout prix, il faut s’entraîner, pour apprendre il faire de la quantité avant de faire de la qualité. Se permettre de faire des conneries, je pense que c’est valable dans la vie en général en fait, suivre ses impulsions.
LIENS
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