Publié le 8 mars 2021
*Les prénoms ont été modifiés
Se revendiquer féministe, qu’est-ce que ça veut dire en 2021 ? Une multitude de choses, très différentes pour chacune : de l’intransigeance personnelle au militantisme, de celles qui font de la pédagogie sans relâche à celles qui prônent la radicalité. Ces visions du féminisme sont aussi générationnelles, biaisées par notre vocabulaire et des intérêts propres à notre âge.
Et parfois, les sujets qui nous semblent évidents aujourd’hui peuvent avoir l’air bien éloignés des valeurs, féministes ou non, que nos mères ont portées. C’est aussi en cela que le mouvement est riche ! Entre conflits et évolutions mutuelles, nous vous avons demandé comment vos mères et vous parliez de féminisme, et vous avez été nombreuses à nous répondre. Merci beaucoup !
Ma mère déteste le féminisme
Quand nos parents nous ont inculqué des valeurs très différentes de celles que nous choisissons de porter à l’âge adulte, il peut devenir difficile de communiquer avec eux. Ainsi, le féminisme peut être pour certaines un véritable sujet de conflits avec leur mère, voire un tabou. C’est ce que raconte Aline*, 27 ans :
« J’ai grandi loin du féminisme, la tête dans les magazines féminins que ma mère recevait chaque semaine. J’y voyais des mannequins grandes, minces, blanches, mais bronzées, à la peau lisse, épilée, sans imperfections. Ma mère elle-même véhiculait ces injonctions patriarcales. À ses yeux, la taille 38 de ma sœur aînée était trop grosse, il fallait porter des talons car “Les baskets ce n’est pas féminin” , les femmes aux cheveux courts se “laissent aller” et tant d’autres clichés qui ont imprégné l’adolescente que j’étais.
Quand j’étais adolescente, elle me faisait souvent remarquer que les hommes dans la rue me regardaient. “Tu leur plais”, me disait-elle. Je pense que c’est à cette époque que j’ai pris conscience que j’étais une femme, et que ces regards d’hommes qui sexualisaient l’adolescente que j’étais étaient problématiques. »
C’est en prenant son indépendance, et en se détachant de sa mère que cette lectrice a permis à son engagement féministe de prendre de plus en plus d’ampleur. Mais cela n’a pas rendu la communication facile.
« La première fois que j’ai parlé de féminisme, c’était à table, lors d’un repas de famille. Je parlais de remarques sexistes, et elle m’a lancé un “Tu fais chier, avec ton féminisme à la con”. Depuis, dès que j’évoque l’éducation à mon goût trop genrée de mes nièces, dès que je fais remarquer qu’un homme a des remarques déplacées envers une femme, elle se braque et me fait comprendre que je suis “extrême”.
Son avis sur la question n’a jamais évolué, et le féminisme est devenu un sujet tabou. À l’inverse, mon père est très ouvert et prend de plus en plus conscience du sexisme. Aujourd’hui on ne se voit que 2 à 3 fois par an, pendant quelques jours à peine. J’évite donc le sujet du féminisme. Quand ma mère fait des remarques sexistes à table, mon père me lance un regard qui veut tout dire : “Je comprends, mais ne l’énerve pas”. »
Éduquer sa mère au féminisme
Dans d’autres cas, les mères évoluent petit à petit, au contact de la pensée de leurs enfants. C’est vous, qui éduquez vos mères à votre féminisme. Lola*, par exemple, confie :
« J’ai été éduquée dans un environnement non sexiste, mais pas franchement féministe : ma mère n’était pas spécialement militante, mais très ouverte d’esprit. Elle avait à cœur le respect de chacun (peu importe le genre, la culture, l’orientation sexuelle…).
Quand je soulignais les injustices que je voyais autour de moi ou que je vivais, elle m’a toujours soutenue. Mais elle était elle-même une “fille qui n’aime pas les filles” donc elle me disait parfois que j’avais plutôt intérêt à avoir des amis garçons, que c’était plus drôle et moins prise de tête que les filles par exemple. En tant qu’enfant, on ne peut pas dire qu’elle m’ait encouragée à la solidarité féminine.
Quand j’ai découvert le féminisme à l’adolescence, elle a été réfractaire : elle trouvait qu’il y avait trop de revendications, que c’était un mouvement extrémiste. On a eu des débats parfois houleux, mais la parole a toujours été possible. Avec le temps (les années !), ma mère a fini par mieux comprendre mes idées et même par y adhérer. Récemment, c’est même elle qui m’a expliqué avoir remarqué des choses sexistes autour d’elle et en avoir parlé à son entourage amical.
Je suis super fière de ma mère, car elle a pu apprendre de ses enfants (ma sœur y a participé aussi !) et se remettre en question. Aujourd’hui, nous continuons à aborder des sujets autour du féminisme, et nous sommes passées du sexisme et des droits des femmes à la déconstruction du concept de genre, la sororité, les formes de couple… Ce sont des conversations passionnantes ! »
Nos mères ont-elles moins revendiqué le terme « féministe » ?
Un point qui revient souvent, dans vos témoignages, est celui du rapport au terme « féministe ». Vous êtes nombreuses à raconter avoir eu une éducation qui prônait l’égalité, à avoir vu vos mères défendre certaines idées anti-sexistes, et pourtant refuser cette étiquette, du moins au début. Laure* raconte :
« Ma mère a toujours été plus ou moins d’accord avec les idées féministes : l’émancipation des femmes, la répartition des tâches domestiques au sein du couple, ou encore l’égalité des chances. Mais elle ne s’est pas déclarée ouvertement féministe jusqu’à il y a quatre ou cinq ans. Je me souviens d’une discussion quand j’étais ado autour du mot “féminisme” qui selon elle n’allait pas, pour les raisons classiques : si on parle d’égalité ou devrait dire égalitarisme ou humanisme, tout ça… »
Ce qui a fait évoluer la mère et les parents de cette jeune femme, c’est sa transmission de sa passion pour les podcasts !
« C’est vers la fin du collège et surtout au lycée que mon féminisme comme mon intérêt pour les questions LGBT+ se sont vraiment manifestés. J’ai commencé à écouter beaucoup de podcasts : Un podcast à soi (mon préféré ever) de Charlotte de Bienaimé chez Arte radio, Kiffe ta race, les couilles sur la table, Camille…
Nourrie de lectures, de discussions, et surtout par ces écoutes, j’ai commencé à vraiment beaucoup parler de féminisme à la maison. Au début, mes parents étaient sceptiques (du genre “Oh non, elle devient une de ces féministes extrémistes”), mais avec un fond de curiosité, puis de plus en plus ouverts à ce sujet.
Quand je suis partie de la maison, ma mère s’est mise à explorer et à adorer le format podcast, à écouter ceux que je lui conseillais, et elle a fait sa route vers le féminisme.
Je pense qu’elle avait besoin que tout ça vienne d’elle, qu’elle trouve comment s’ouvrir à ce mot qui lui faisait peur. Depuis un an ou deux, elle a complètement adhéré au féminisme. Elle regarde désormais ses relations professionnelles ou personnelles d’un œil nouveau, parfois militant, ou du moins conscient des oppressions systémiques. Et depuis quelque temps, c’est elle qui me fait découvrir des podcasts féministes, des articles ou autrices et auteurs féministes, pour Noël j’ai le droit à des livres féministes (qu’elle se permet également d’offrir à ses nièces, neveux, à sa sœur et à sa mère). »
À lire aussi : Je ne m’épile plus et mes parents refusent mon féminisme
Ma mère, mes enfants, et moi
Quand on devient soi-même parent, il peut se produire des échos entre notre relation avec notre mère, et celle que nous avons avec nos enfants. Pour Marie*, 51 ans, c’est parce que sa génitrice est fermée au féminisme qu’elle a tenu à l’inculquer à ses enfants.
« Je n’ai pas du tout été éduquée dans un milieu féministe. À table c’était plutôt mon père qui dit “Y a pas de moutarde”, et ma mère qui se lève pour aller la chercher. Je trouvais ça désespérant !
J’ai été sensibilisée au féminisme plus tard, en entendant des propos qui me choquaient, des remarques, des blagues qui ne font pas rire, des rabaissements systématiques… Mais je n’en ai jamais vraiment parlé avec ma mère.
Sans être un tabou, le féminisme était un non-sujet. Ces derniers temps, il nous est arrivé d’aborder des sujets où j’exprime mon féminisme, comme lorsque nous avons parlé de harcèlement, mais elle répète souvent de gros clichés qui perdurent en disant par exemple que la manière de s’habiller des jeunes filles pose problème, que certains vêtements sont des “appels au crime”. À 74 ans, je ne pense pas que son avis évoluera. Par contre de mon côté, je remarque de plus en plus les inégalités, les remarques : je deviens de plus en plus intransigeante.
Si je ne pense pas remettre le sujet sur le tapis avec ma maman, je suis très attachée à parler de tout avec mes enfants : rien n’est tabou, et je suis fière des jeunes hommes et femmes qu’ils deviennent ! »
Parler de tout, de rien, et de féminisme
Hélène* a 21 ans, et sa relation avec sa mère est assez fusionnelle : elles se confient énormément de choses, sans tabous. Quand elles parlent du féminisme, le sujet est traité comme un autre. En effet, la mère d’Hélène lui a transmis des valeurs féministes depuis son plus jeune âge.
« J’ai commencé à être féministe autour de la vingtaine, et ma mère l’a très bien vécu. Depuis, nous en parlons souvent, et échangeons sur la culture du viol ou les trucs sexistes qu’on trouve dans les films ou séries, nous nous insurgeons ensemble contre certaines injustices… »
En ce moment, on parle de plus en plus du mouvement bodypositive. Ma mère était initialement très loin de ce combat, et pouvait avoir des réflexions pas hyper cools sur le sujet. Un jour, alors qu’elle critiquait le corps d’une autre femme sur Instagram, je lui ai dit : “Mum, (oui je dis vraiment ça en anglais), tu as besoin de dire ça? ça te fait du bien de dire ça?’”. Et je crois que ça l’a changée. Petit à petit, elle est devenue plus tolérante, elle critique moins, elle est parvenue à comprendre que tous les corps sont beaux. Et surtout, ce mouvement lui a permis de parvenir à s’accepter elle-même.Il arrive que l’on ne soit pas d’accord. C’est là toute la beauté de la liberté d’expression, j’ai envie de dire ! Parfois elle trouve que je suis trop trash dans certains de mes propos, mais elle écoute quand même mes arguments sans me dévaloriser. Il m’est aussi déjà arrivé de lui faire part mon désaccord, mais à la fin on trouve toujours le moyen d’argumenter sans se vexer mutuellement.Comment est-ce qu’on en parle? Le soir, en pyjama, autour d’une petite tasse de chai latte. »
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