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Editions les insolentes / Hachette pratique
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Dans leur « Kamasutra queer », Lou Dvina et Léontin Lacombe célèbrent le sexe entre femmes

Un livre pour rêver, s’émoustiller et aussi célébrer. Tel est le projet du « Kamasutra queer » de Léontin Lacombe et Lou Dvina, sorti le 8 février. En mêlant dessin et poésie, cet ouvrage unique en son genre est un véritable « florilège érotique saphique », entièrement dédié au sexe entre femmes. Interview. 

Les lesbiennes, bies et pan de France ont enfin le droit à leur Kamasutra. Il est signé Léontin Lacombe et Lou Dvina, les deux visages du projet Sapphosutra. En couple depuis plus de 4 ans, ces deux artistes et militant·e·s LGBTQ+ ont ouvert un compte Instagram éponyme en 2019 suite à un constat alarmant : il est quasiment impossible de trouver du contenu sexo queer et inclusif sur Internet – ou ailleurs. Depuis, iels récoltent des témoignages de personnes concernées sur leurs réseaux sociaux, afin de donner à voir des représentations des « vraies » sexualités saphiques. Devenues de véritables expert·e·s du sujet, les auteur·ice·s de 24 ans ont condensé leurs savoirs dans leur premier ouvrage baptisé « Kamasutra queer ». 

Derrière sa couverture violette, ce livre associe un catalogue de positions illustrées à des extraits de littérature érotique saphique. Page après page, on découvre ainsi différentes manières de prendre ou de donner du plaisir à son ou sa partenaire, tandis que le sexe entre femmes est célébré par des poèmes de tous temps et toutes origines. Un hommage vibrant à la culture saphique, trop longtemps mise sous silence.

Rencontre avec les auteur·ice·s d’un livre aussi poétique que politique, qui « n’avait encore jamais vu le jour ». 

Dans leur « Kamasutra queer », Lou et Léontin célèbrent le sexe entre femmes

Interview de Lou Dvina et Léontin Lacombe, auteur·ice·s de Kamasutra queer 

Madmoizelle. Tandis que l’on ne compte plus les références de Kamasutra dédiées au sexe hétéro, les livres consacrés aux rapports lesbiens, bi ou pan se font extrêmement rares. A-t-on encore du mal à se représenter le sexe entre femmes, en 2023 ? 

Lou Dvina :  En fait, la sexualité lesbienne est prise en étau entre à la fois une grande invisibilisation et une forme de fétichisation. Quand on n’est pas concerné, on va avoir une très vague idée de ce qu’est le sexe entre femmes : on va penser à des caresses, à quelque chose de très tendre, ou à la limite aux ciseaux…Et sur Internet, on trouve très peu d’informations sur le sujet, à la fois pédagogiques et érotiques. 

Pour autant, le mot « lesbienne » est dans le top 3 des mots-clés les plus recherchés sur les sites pornos. Et ce ne sont certainement pas les lesbiennes qui font cette statistique. Il y a énormément de contenus tagués « lesbien » qui, en réalité, sont juste des mises en scène de personnes censées avoir des relations lesbiennes mais pensées par un regard masculin et hétérosexuel. Donc même dans la fétichisation, on invisibilise nos vraies sexualités ! 

Léontin Lacombe : Le problème, c’est que tout ça a des conséquences néfastes pour les personnes concernées. D’abord sur nos sexualités, puisqu’on n’a pas accès à des informations utiles et à des contenus pédagogiques, mais aussi sur nos vies. Cette invisibilisation est très dure à vivre, c’est comme si on n’existait pas en fait. Quand on va chez le garagiste avec Lou, les gens se demandent si on est sœurs, pourquoi on a une voiture en commun, pourquoi on ne se ressemble pas etc… De manière générale, l’identité lesbienne, bi ou pan est invisibilisée. 

En quoi votre ouvrage, en tant que « manifeste érotique saphique », veut proposer une vision plus juste de cette intimité entre femmes ? 

Lou Dvina : Pour comprendre le projet de ce livre, il faut revenir aux origines de Sapphosutra. Tout est parti d’une requête sur Google, en 2019. J’avais tapé « kamasutra lesbien » dans la barre de recherche et le résultat était assez décevant. À cette époque, les seuls contenus auxquels on avait accès sur les réseaux sociaux, c’étaient des carrousels sur le « sexe lesbien » présentant à peine 5 positions… qu’on ne pratiquait même pas avec Léo ! Du coup, on a eu l’idée de se lancer sur Instagram pour recueillir des témoignages de personnes concernées, afin qu’elles nous racontent leurs vraies sexualités. Trois ans plus tard, on sort un Kamasutra inclusif, à destination des personnes bi, lesbiennes ou pan, qui est une réponse à ce manque criant de ressources. 

Léontin Lacombe : Mais on ne voulait pas juste proposer des illustrations de positions sexuelles. Pour nous, il fallait combler un autre manque, à savoir l’absence de littérature érotique queer dans les librairies françaises. Le processus d’écriture de ce livre parle de lui-même : l’accès à la culture saphique est très compliqué, il a fallu se creuser les méninges pour trouver des textes non censurés, etc. Or, ces textes sont importants pour nourrir nos imaginaires, rêver, s’émoustiller… et exister.

« La majorité des positions de notre livre peuvent être vues comme des « préliminaires » par le regard hétéro mainstream. Mais ce n’est pas du tout ça…On peut jouir et prendre du plaisir de mille et une façons »

Vous évoquez « des » sexualités saphiques, au pluriel. Comment êtes-vous parvenu·e·s à représenter cette diversité dans votre Kamasutra ? 

Lou Dvina : Avant tout, je précise que ce livre n’est en aucun cas exhaustif, mais on a fait en sorte qu’il soit représentatif de la pluralité de nos sexualités. Pour ça, on a choisi des positions qui sont inspirées des témoignages qu’on a reçus sur Instagram, où les personnes nous décrivaient leurs mouvements mais aussi leurs corps. Il y a donc plein de positions qu’on ne pratique absolument pas personnellement ! Notre sexualité dépend forcément de nos corps, de nos morphologies. Par exemple, Léo et moi on fait à peu près la même taille donc il y a plein de choses qui sont possibles… et d’autres non. Par ailleurs, on ne s’est pas basées sur des organes génitaux particuliers pour sélectionner les positions. Ces dernières peuvent donc être pratiquées par n’importe qui, même des couples hétéros !

Léontin Lacombe : Ce qu’il faut comprendre aussi, c’est qu’il n’y a pas de « script » tout tracé dans la sexualité saphique. On est donc libres de prendre du plaisir comme on veut et c’est ce qu’on a voulu transmettre dans ce livre. Par exemple, on a dédié un chapitre au « frotti frotta ». Dans l’imaginaire commun, se « frotter », ce n’est pas de la « vraie sexualité » mais si tu prends les témoignages des personnes qui nous ont écrit, c’est quand même une grosse part de notre sexualité. Chez les hétéros, on a du mal à voir qu’il y a un vrai rapport sexuel sans pénétration mais si on regarde les statistiques, il y a énormément de femmes et de personnes ayant des vulves qui jouissent avec des stimulations externes.  En fait, la majorité des positions de notre livre peuvent être vues comme des « préliminaires » par le regard hétéro mainstream. Mais ce n’est pas du tout ça… On peut jouir et prendre du plaisir de mille et une façons et notre ouvrage est justement une invitation à explorer davantage son corps et le corps de sa·on partenaire pour sortir d’une vision pénétro-centrée du rapport sexuel. 

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Illustration : Lou Dvina, in Kamasutra Queer

Votre livre comporte aussi une anthologie de textes érotiques queers. Comment avez-vous déniché ces morceaux de littérature, quasiment inconnus du grand public ?

Léontin Lacombe : C’est un travail qui m’a demandé quasiment une année. Beaucoup de textes érotiques saphiques ont été « perdus » au fil de l’Histoire, comme les traductions de Sappho, qui ont quasiment toutes été brûlées. Avec Lou, on a dû suivre toutes les pistes possibles et acheter des quantités de bouquins pour trouver des textes a minima érotiques qu’on pouvait publier. On s’est bien sûr rendues dans des librairies spécialisées mais aussi aux Archives lesbiennes [NDLR : Les Archives, Recherches, Cultures Lesbiennes], à Paris, où on a pu rouvrir les premiers journaux lesbiens, comme la revue Lesbia. Malheureusement les publications érotiques y étaient souvent anonymisées. 

Au bout d’un moment, on s’est rendu compte qu’on n’aurait pas assez de texte si on se cantonnait au monde occidental. On a donc élargi nos recherches et c’est ainsi qu’on a découvert l’œuvre de Wu Tsao, une poétesse chinoise extrêmement connue en Chine et célèbre de son temps, dont les poèmes lesbiens n’étaient pas du tout traduits en français. On est aussi allé·e·s chercher dans le monde arabe médiéval car à cette période, ce n’était pas du tout tabou d’être saphique, au contraire…  

Lou Dvina : Même si on n’a pas tout rassemblé, on tenait vraiment à inclure une diversité de textes pour ne pas proposer que des textes de femmes lesbiennes blanches et bourgeoises. Ces auteur·ice·s et nous, nous faisons communauté et on est une communauté qui a été persécutée, d’où la difficulté à trouver les textes. Or, ces œuvres racontent des réalités différentes et font partie d’une culture à part entière, la culture saphique. Cette anthologie est donc une tentative de recoller, même en partie, les morceaux de notre propre histoire. 

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Kamasutra queer, Manifeste érotique saphique, de Léontin Lacombe et Lou Dvina, éditions Les Insolentes, Hachette Pratique, 192 pages

En rendant hommage à ce passé oublié tout en invitant à construire de nouveaux imaginaires, ce livre s’inscrit-il dans une démarche politique ? 

Lou Dvina : Bien sûr. On a fait ce livre car, comme on l’a dit précédemment, on s’est rendu compte qu’on avait accès à très peu d’images et de supports érotiques en tant que personnes saphiques. Or, ces supports sont indispensables pour construire sa sexualité, ses désirs, ses rêves, ses fantasmes. On ne peut pas le faire qu’avec ce qu’il y a dans nos têtes. Et après, parce qu’on rêve, on créé et parce qu’on créé, on existe. Donc oui, ce livre s’inscrit complètement dans une forme de militantisme. 

Léontin Lacombe : Et c’est un militantisme qui n’aurait pas pu exister auparavant… Souvent, les personnes d’autres générations nous regardent avec beaucoup de tendresse et nous disent justement qu’elles sont fières de ce qu’on fait, mais qu’elles n’auraient pas pu le faire à leur époque. Il y a un siècle, les personnes lesbiennes luttaient pour exister, ne pas se faire tuer et vivre leur sexualité librement. Aujourd’hui, le militantisme qu’on pratique avec Sapphosutra existe car la joie peut enfin être un peu sur le devant de la scène. C’est un militantisme positif, qui célèbre nos amours et nos sexualités et qui est possible car on a pu dépasser d’autres préoccupations auparavant. Après, le souhait ultime serait qu’un jour nos amours cessent d’être politiques. 

Maintenant que vous avez enfin publié votre Kamasutra queer, quels sont vos projets pour la suite ? 

Lou Dvina : Ce n’est que le début de Sapphosutra… Maintenant qu’on a sorti ce livre, qu’on nous demande depuis trois ans quand même, on va pouvoir se lancer dans d’autres projets. On va rester très présentes sur Instagram et Tiktok pour parler culture saphique et conseils sexos. On aimerait aussi se lancer sur Youtube pour aborder des sujets dans des formats plus longs. En 2023, on repart aussi pour une année de tournée avec nos deux conférences et nos deux ateliers, l’une sur les luttes LGBTQ+ et féministes et l’autre sur l’érotisme saphique. Enfin, on espère aussi lancer un podcast. 

Léontin Lacombe : Comme vous le voyez, on a déjà plein de choses sur le feu…Et on est déjà en train de travailler sur deux autres projets de livres. Petit spoiler : ça parlera encore des lesbiennes !

Crédit photo : Kamasutra queer, Manifeste érotique saphique, de Léontin Lacombe et Lou Dvina, éditions Les Insolentes, Hachette Pratique, 192 pages


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