Chez madmoiZelle, ça fait quelque temps que nous avons abandonné l’idée de comprendre la ligne éditoriale de Causette. On ne commente pas, on ne réagit pas.
Quand le magazine « plus féminin du cerveau que du capiton » a été sévèrement critiqué pour son traitement pour le moins surprenant de la prostitution, nous n’avons rien dit. Ses propres rédactrices s’étaient en partie désolidarisées du « dossier pastèque ». Nous n’avons rien dit.
Lorsque la presse s’est fait l’écho des difficultés internes à l’entreprise, nous n’avons rien dit.
Mais là, Causette, ce n’est pas ta ligne éditoriale qui nous fait bondir : c’est ta cible.
« Eric, un homme, un vrai. »
Chez madmoiZelle, on a de l’humour. J’ai de l’humour, et quand l’intention de second degré est clairement revendiquée, je ris sans complexe. Le principe de la chronique « Éric, un homme, un vrai », est de prêter à cet homme fictif le discours machiste le plus gerbant possible, mais suffisamment fin pour que ce soit crédible. Après tout, c’est votre magazine, c’est vous qui voyez.
Mais dans son édition de mai, le sujet de la chronique d’Éric n’est autre que l’agression dont a été victime Jack Parker en mars dernier. Son récit avait fait le tour du web, mais ce sont les commentaires qui avaient retenu notre attention. Entre slut-shaming et culture du viol, la lie du sexisme déversait une bile rance sur les réseaux sociaux. À lire par ici : Baisse les yeux. Tais-toi. Ravale ta colère et déglutis tes larmes.
Quelle ne fut pas la surprise de Jack de retrouver sa mésaventure commentée dans les colonnes de « Éric, un homme, un vrai ». Voici ce qu’elle nous a confié ce matin :
« Rappel rapide des faits (apparemment tout le monde n’a pas reçu le mémo dans lequel j’insistais mille fois sur le fait que je ne voulais plus être prise comme exemple, mais comme j’ai choisi de rendre mon histoire publique, c’est à moi d’en assumer les conséquences) : lorsque j’ai publié mon histoire sur mon blog, je me suis pris une volée de commentaires immondes dans tous les sens, sur toutes les plateformes. J’en ai publié quelques uns dans le but d’éveiller quelques consciences endormies en montrant ce qu’on se mangeait dans la tête quand on avait l’audace d’ouvrir sa gueule (pour se plaindre, en plus !).
J’ai passé la semaine suivante roulée en boule sous ma couette à pleurer toutes les larmes de mon corps, terrifiée à l’idée de refoutre un pied dehors. Et puis c’est passé, parce que la vie continue et qu’elle est loin d’être pourrie, en plus.
Et puis j’apprends que Causette en parle… Et comme lors de ma première agression, le magazine m’avait interviewée, donné la parole, et soutenue, je me dis que ça ne peut être que positif. Que même si ça me gonfle un peu de refaire une ronde sur l’air de « Jack et ses agressions », ça vaut peut-être le coup, selon la façon dont c’est traité. Donc je lis. Et je gerbe à 360° dans ma tête. »
« Le problème quand on montre ses jambes »
Il faut dire que la chronique de « Éric, un homme, un vrai » était donc fidèle à elle-même : un concentré d’analyse garantie 100% culture du viol, comme tout bon macho qui se respecte. Quelques extraits délicatement choisis :
« Mademoiselle Causette,
Peut-être avez-vous suivi, comme moi, sur Internet, les déprimantes aventures de Jack, jeune blogueuse à la mode, suite à l’agression qu’elle aurait subie dans le métro […] On passera sur le fait que cette jeune femme a choisi un nom de cow-boy pour animer son site […] et qu’elle sait parfaitement utiliser les réseaux sociaux pour promouvoir sa petite personne et nous resservir une fois encore le couplet de la zentille fille à laquelle il arrive une horrible inzustice. […] »
Le texte se poursuit avec un commentaire sponsorisé par le slut-shaming sur « notre cow-boy girl qui met délibérément des robes trop courtes », alors qu’il est préférable de « les acheter à la bonne taille »
. On enchaîne avec une fine analyse sur les intentions des femmes. Serrez les dents :
« La vérité, c’est que les femmes mettent des habits pour attirer les hommes même quand elles s’en défendent. Votre besoin de séduire est tellement viscéral qu’il en est devenu inconscient […] Que diriez-vous à une amie qui vous déconseillerait d’aller trainer dans un endroit mal famé couverte de bijoux, qu’elle « encourage la culture du vol » ? […] On ne se mêle pas à des dizaines d’inconnus dans un wagon bondé avec une robe trop courte. Sinon, on risque de redécouvrir que, oui, l’eau, ça mouille. »
Je vous ai gardé le meilleur pour la fin :
« Le problème quand on montre ses jambes, c’est que tout le monde les voit, le prince charmant comme la brute, l’honnête père de famille comme le frustré. Quand on jette un filet, voyez-vous, on ne sait jamais quel genre de poisson on va remonter. Mais on ne se plaint pas d’en avoir pêché. Ce serait encourager la culture de la mauvaise foi ».
– L’intégralité du billet est à lire sur le groupe facebook Les copines de Causette.
Après réflexion, ce papier est plutôt soft comparé aux vrais commentaires laissés par des vraies personnes de la vraie vie, que Jack Parker a dû essuyer après avoir publié son histoire. « Éric » est bien en dessous de la réalité avec ce texte, finalement ! Mais faut-il s’en réjouir ? Ce n’est pas l’avis de Jack :
« Les cons sont assez visibles comme ça pour qu’on se permette, dans un magazine qui se veut féministe et éducatif, de les laisser à la porte de temps en temps pour donner une voix à ceux et celles qu’on n’entend pas d’habitude. Je ne vois pas bien l’intérêt de les inviter parmi nous – en les singeant, en plus, ce qui implique de faire un effort de créativité et d’invention pour ajouter de la connerie (fictive, certes) à la pile déjà immense qui traîne devant nos portes.
Mais soit. Le concept ne me parle pas, j’ai vu qu’il plaisait à certain-e-s, et il en faut bien pour tout le monde, après tout.
Sauf là.
Parce que là, c’est mon histoire. Là, c’est de moi qu’on parle. Alors c’est peut-être plus facile de s’imaginer que je n’existe pas vraiment ou que je ne ressens pas grand chose, avec mon « pseudo de cow-boy », mais en fait si. Ouais, je sais, c’est dingue. Et pourtant. »
Ne me dites pas que vous êtes surpris de l’apprendre : Jack Parker est une vraie personne ! Derrière ce pseudonyme de guerrière intrépide se cache un être humain, mais ça alors !
Votre démarche laisse vraiment penser que cette notion ne vous a pas effleurés : peut-être que Jack n’avait pas envie d’être prise à partie, même dans une rubrique « humoristique ». Certes, elle vous avait accordé une interview, une fois, mais cet accord valait pour cette fois uniquement, ce n’était pas un consentement de principe.
Le problème quand on a les idées courtes
Vous savez quoi, cette histoire d’être humain et de consentement, ça me rappelle quelque chose… Attendez, avec votre papier là, vous essayez de dire aux tripoteurs du métro que Jack est une personne, qu’elle fait ce qu’elle veut de son corps, de sa plume et de sa vie.
Le fait de montrer ses jambes ne donne à personne le droit d’y toucher. Sortir son corps dans la rue (oui je sais, je sors rarement sans mon corps, même si j’aimerais pouvoir le faire parfois) n’est pas une invitation à le commenter, le toucher, l’utiliser. Pas sans accord exprès. Et raconter une histoire sur internet ne vous donne pas le droit, éthiquement, de l’utiliser sans l’accord de son auteur. Qu’y-a-t-il de si compliqué dans ce concept ?
Et bien dites-moi chers confrères, soit vous avez un train d’avance, soit un lustre de retard. Soit vous avez filé la métaphore jusqu’à utiliser l’histoire de Jack sans son consentement pour illustrer la violence de la réification quotidienne (la transformation d’une personne en objet) – et là, chapeau bas, du grand art, l’inception du viol symbolique, je suis bouche-bée.
Soit vous n’avez pas vraiment saisi le fond du problème que vous entendiez dénoncer par ce procédé humoristique.
J’hésite.
Dans le doute, on va répéter pour les relous du fond : voici un petit conseil bien pratique pour résoudre un bon nombre de vos questionnements quotidiens, philosophiques, essentiels et métaphysiques. Quand vous vous demandez si ce que vous faites est permis, accepté, autorisé, juste, posez-vous ces deux simples questions :
- Y a-t-il un être humain en face, risque-t-il d’être affecté par mon action ?
- Cette personne m’a-t-elle donné son consentement pour agir ?
Si la réponse à cette deuxième question est « non », repensez bien votre plan d’action. Vraiment.
Mais trêve de digressions méthodologiques. Je laisse le mot de la fin à Jack Parker :
« Je comprends ce que vous avez voulu faire (je crois) (je suis pas encore super sûre hein, je me fie aux explications de vos lectrices-eurs). Mais eh, c’est mon histoire, mon nom, mon agression que vous utilisez. Vous auriez peut-être dû me consulter avant, non ? Ironiser sur le sexisme, ok, si vous voulez, c’est votre choix. Ironiser sur mon agression, ça me fait pas tellement hurler de rire. J’ai un peu l’impression qu’au final c’est moi, le dindon de la farce, alors que c’était pas tellement le but à la base (encore une fois, si j’ai bien compris). J’en ai chié, c’était un moment difficile à passer, ça m’a complètement retournée, et vraiment, vous voir tourner tout ça à la dérision, ça me fout pas mal les boules. Et je ne pense pas que ma réaction soit complètement démesurée.
Le simple fait de vous imaginer en train de brainstormer là-dessus me fout un peu la gerbe. Des commentaires comme le vôtre, je m’en suis mangé plein – mais des vrais. Là, c’est « pour du rire », ok, mais je ne peux pas m’empêcher de vous imaginer en train de brainstormer pour réfléchir aux insultes que vous alliez pouvoir m’envoyer dans la gueule, à la façon dont vous alliez me démonter gentiment et me savater à la cool. J’aurais presque préféré que cette lettre soit authentique.
C’est vrai que j’avais déjà un bon gros stock d’insultes 100% réelles à gérer, il fallait en rajouter des fausses pour équilibrer le tout.
J’espère que vous avez bien rigolé en l’écrivant, au moins. Parce que moi, moyen hein. »
Jack, cow-boy et « blogueuse à la mode ».
Jack Parker est rédactrice en chef du site Golden Moustache. Je précise, parce que je ne suis pas sûre que le « blogueuse » était vraiment du second degré de la part de Causette.
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Je te conseille d'essayer de faire fi de ce côté qui a l'air de te sembler agressif, tu verras tu apprendras plein de choses tout en prenant du recul et sans tenir compte de cet aspect