1,7% et 4,8%. Voici les chiffres qu’ont respectivement obtenues les candidates à l’élection présidentielle Anne Hidalgo (Parti socialiste) et Valérie Pécresse (Les Républicains). Ce sont les plus mauvais scores jamais enregistrés pour ces deux partis historiques, longtemps en ballotage aux second tour à chaque élection.
Aujourd’hui, le paysage politique est éclectique et éclaté — notamment depuis l’arrivée de La République en Marche au pouvoir, mais aussi par la montée de l’extrême droite et la percée en troisième position de l’Union populaire menée par Jean-Luc Mélenchon.
Si les raisons de la chute vertigineuse du Parti socialiste et des Républicains sont multiples, celles qui en endossent en partie la faute sont deux femmes. Et ce n’est pas anodin. En totalisant moins de 5% des voix, les deux candidates ont non seulement vécu une défaite nationale, mais également mis en danger financièrement leur parti.
Anne Hidalgo et Valérie Pécresse, deux solides élues locales
Pourtant, leurs CV sont ceux de deux élues qui ont remporté de nombreuses victoires au local.
Anne Hidalgo, première femme élue maire de Paris en 2014, et confortablement renouvelée dans cette fonction lors des élections municipales 2020 avec 48,7% des voix. Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, a elle aussi démarré son second mandat en 2021, récoltant 45,93% des voix aux régionales.
En regardant de plus près leur parcours lors de cette campagne présidentielle, on peut légitimement se demander si elles n’ont tout simplement pas été envoyées au casse-pipe d’une élection perdue d’avance…
Hidalgo et Pécresse, encore un coup de la « falaise de verre » ?
Dans The Conversation, Sarah Saint-Michel s’est interrogée sur la situation dans laquelle s’étaient retrouvées Anne Hidalgo et Valérie Pécresse : Est-ce qu’elles ont été confrontées à une situation de falaise de verre ?, s’interroge l’enseignante-chercheuse à l’université Panthéon-Sorbonne, première française à avoir écrit une thèse sur les femmes et le leadership.
Et elle a raison de se questionner, car la falaise de verre, phénomène mis en évidence dès 2005 par Michelle Ryan et Alexander Haslam, deux professeurs de psychologie sociale et organisationnelle à l’université d’Exeter au Royaume-Uni, démontre que les femmes sont mises dans des situations de leadership plus risquées, notamment dans des contextes de crises. Sarah Saint-Michel explique :
« Lorsque l’on positionne des femmes à la tête d’entreprises ou de mouvements politiques à des moments de crises, on espère qu’elles vont apporter quelque chose de différent. Bien souvent ça ne fonctionne pas et ça vient renforcer les stéréotypes selon lesquels les femmes ne seraient pas compétentes pour exercer un poste de leadership. »
Clara Kulich et Sarah Robinson, chercheuses au département de psychologie sociale de l’université de Genève, ont fait des recherches sur plusieurs élections en France et aux États-Unis à travers le prisme de la falaise de verre. En analysant les élections législatives de 2002, 2007, 2012 et 2017 (trop peu de candidats sont présents aux présidentielles pour une analyse scientifique), elles ont constaté que les candidatES des partis dits « historiques » ont été investies dans des circonscriptions plus difficiles à remporter, comparé aux hommes.
C’est également le cas aux États-Unis pour les femmes candidates chez les Démocrates ou les Républicains — à la différence qu’elles sont moins soutenues financièrement par le second, parti conservateur, et y sont plus enclines à quitter la politique en cas de défaite.
Des campagnes de femmes moins soutenues et financées ?
Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, parlait du coût de la campagne d’Anne Hidalgo en novembre 2021 sur Franceinfo. Il précisait qu’elle coûterait moins que celle de Benoît Hamon en 2017, car, le rappelait-il, « avec 16 millions on peut faire 6% ».
Avec son résultat, la candidate socialiste fait perdre à son camp la possibilité d’un remboursement d’une grande partie de la campagne par l’État : à moins de 5%, seuls 800 000 euros sont remboursés. Mais le parti semble avoir anticipé cette défaite et n’a pas contracté d’emprunt pour la campagne de la candidate — il n’y a donc pas de « dette » à rembourser auprès des créanciers.
Pour rappel, fin 2017, au moment d’essuyer les plâtres, le Parti socialiste avait vendu l’immeuble de son siège rue Solférino, à Paris, pour la somme de 45 millions d’euros.
Côté les Républicains, Valérie Pécresse a annoncé une campagne de dons dès le lendemain de sa défaite :
« Il manque 7 millions de remboursement pour boucler le budget de la campagne. Les Républicains ne peuvent pas faire face à ces dépenses, je suis endettée personnellement à hauteur de 5 millions d’euros. »
Détournée en mèmes sur les réseaux sociaux, la candidate a été largement moquée pour cette déclaration. Mais en n’atteignant pas les 5% prévus, elle met véritablement à mal la survie de son parti et le financement de ses candidats pour les législatives. Sarah Saint-Michel analyse pour Madmoizelle :
« Les partis auraient dû être vigilants pour les soutenir, coûte que coûte, car la situation était déjà difficile. Or ce qu’on constate c’est que les partis ne les ont pas soutenues. On a reproché à Valérie Pécresse son manque d’authenticité, d’être trop scolaire, trop studieuse, de ne pas assez partager avec les électeurs de convictions personnelles. »
François Rebsamen — maire PS de Dijon — avait même avoué en mars dernier sur Franceinfo qu’Anne Hidalgo était « plombée par le parti socialiste » :
« [Elle] s’est lancée dans la campagne alors même qu’il n’y a pas eu de débat au Parti socialiste et que l’on n’a pas arrêté de programme. Elle en fait donc les frais. »
Le cas Marine Le Pen, seule femme « présidentiable » ?
Selon Sarah Saint-Michel, Marine le Pen a réussi à décrypter ce que l’on attend des femmes en matière de leadership. La candidate du Rassemblement national a « adouci » son image et colle parfaitement aux dernières recherches menées sur le leadership des femmes :
« Stratégiquement il faut jouer sur les deux tableaux — sur les attentes dites “masculines” d’autorité, de pouvoir, de domination, de compétences liées à ce modèle du leader, mais en même temps, et c’est ça la subtilité, il faut être douce, sympathique, bienveillante. Ce sont des attentes plutôt dites “féminines” et elle a bien réussi l’alliance des deux. »
De plus, la chercheuse note que Marine Le Pen est « soutenue par son parti » : elle se présente pour la troisième fois à l’élection présidentielle, « on lui a donné sa chance ». Et au-delà de cette nouvelle image, on peut également constater qu’elle a lissé ses idées pour gagner des voix auprès de certains électeurs.
Le sexisme en politique, toujours présent, un peu plus subtil
Dans les années 2000-2010, on disait ouvertement que les femmes n’avaient pas leur place en politique.
Un récent article de Lenaïg Bredoux, publié dans La Déferlante, est revenu sur le sexisme vécu par la candidate Ségolène Royal, lors des élections présidentielles de 2007 : « Ni les socialistes ni la France ne sont assez mûrs pour faire confiance à une femme dans une période aussi difficile », clamait en 2006 Jean-Christophe Cambadélis dans Le Canard enchainé. Même le candidat de l’Union populaire Jean-Luc Mélenchon y était allé de sa petite phrase : « L’élection présidentielle n’est pas un concours de beauté ».
La politique était sexiste et se revendiquait comme telle ; les choses ont changé… mais en surface surtout, comme le détaille Sarah Saint-Michel :
« Aujourd’hui on ne dit plus ce genre de choses, les stéréotypes sont subtils, inconscients et on ne les maîtrise pas forcément. Le travail à mener est vraiment sur la prise de conscience des stéréotypes, c’est ça qui est le plus insidieux. Typiquement, la falaise de verre est méconnue des gens. »
Ségolène Royal a été moquée sur ses tenues, sur la forme plutôt que sur le fond. Anne Hidalgo et Valérie Pécresse ont vécu un sexisme plus subtil, plus latent. Et même si elles ont réussi haut la main au local, même si elles sont deux femmes politiques ancrées et établies, elles porteront sur leur dos cette défaite, comme le déplore Sarah Saint-Michel, qui conclut :
« Elles ont un bon leadership car elles ont tenu tout le long. Mais cela montre que le cheminement en politique est toujours très difficile pour les femmes… »
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