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Vivre dans la rue des prostituées

Sophie-Pierre Pernaut vit dans la rue où travaillent les prostituées. Un témoignage sur le terrain, sauf que derrière une fenêtre.

Il y a deux semaines, j’ai emménagé dans l’appartement de mes rêves. Il est beau, grand, spacieux, fraîchement repeint, il a une terrasse et il est très bien situé (traduction : il n’est pas loin de tous les meilleurs bars de la ville où je réside). Le hic, c’est qu’il se trouve dans la rue où travaillent les prostituées.

Je dis « le hic », mais ça ne m’a en rien rebutée à louer ce logement. Je crois qu’avant de m’y installer, et avant de me retrouver à jeter quelques coups d’oeil par la fenêtre, je ne réalisais pas bien à quoi ressemblait le fait de vivre dans une telle rue. Explications.

Des considérations tout à fait personnelles…

Si j’avais un conseil à donner à celles parmi vous qui s’apprêtent à emménager dans le quartier où bossent les travailleuses du sexe, c’est bien le suivant : si vous devez attendre quelqu’un dehors, essayez de trouver un coin où aucune prostituée ne travaille. Pourquoi ? C’est simple :

  • Si des prostituées travaillent aux alentours, elles n’apprécieront probablement que moyennement que vous veniez marcher sur leurs plates-bandes. Un truc de loi de marché et de compétitivité. En vous postant debout à leurs côtés, j’imagine que vous parasitez leur job. C’est un peu comme un mec payé pour nettoyer les vitres d’un immeuble qui se rend compte qu’un inconnu est en train d’épousseter celle d’à côté avec son propre Kleenex. C’est du moins l’idée que je m’en fais.
  • Les clients, éventuellement, pourraient vous confondre avec une travailleuse de l’organe génital. Ce qui en soit, n’est pas un drame, mais c’est un peu gênant parce que cette situation pourrait amener à bien des quiproquos :

– Oui, alors je… Haha, je ne travaille pas là. J’attends quelqu’un. Vous savez moi, j’ai fini ma journée et puis bon, je n’exerce pas ce métier-là alors pas la peine de revenir demain vous voyez. – En fait, je voulais juste savoir si vous aviez l’heure.

Ok. Bonne ambiance.

Personnellement, c’est au passage piéton que j’angoisse un peu : le fait d’attendre qu’on me laisse passer, est-ce que ça prête à confusion ? Est-ce que les prostituées ne vont pas mal le prendre ? Je veux dire, sachant qu’on est plus ou moins voisines, j’aimerais moyennement toutes me les mettre à dos. Un voisin m’a un jour traitée de galeuse sur une feuille collée sur la porte de l’immeuble et j’en garde un souvenir si périssable que j’aimerais éviter de réitérer l’expérience. Du coup, j’anticipe et je suis capable de faire un détour de plusieurs dizaines de mètres en attendant qu’il n’y ait plus de voitures sur la chaussée avant de traverser plutôt que d’attendre bien sagement au bord de la route.

Autre option : des fois, je traverse sauvagement pour éviter de rester statique. Mais bon, je frôle la mort alors c’est pas très rigolo.

Bon, et puis si je puis me permettre, ponctuer un petit potin raconté entre potes par un « Han la pute » tonitruant alors que la fenêtre est ouverte, c’est moyennement recevable. Je travaille quotidiennement à revoir ma sémantique, mais c’est pas facile facile.

Pretty Woman, rappelons-le, cette "pute qui a de la chatte".

Pretty Woman, rappelons-le, cette « pute qui a de la chatte« .

… Et des considérations un peu moins personnelles parce que bon.

Les prostituées dans ma rue ont mon âge et semblent en apparence aussi épanouie que n’importe qui : elles dansent, elles chantent, elles disent bonjour quand on les croise et elles parlent fort en remuant les fesses pour faire mordre le client à l’hameçon. A priori, rien ne pourrait vraiment les différencier d’une jeune experte comptable, si ce n’est leur tenue, peut-être un peu courte, et leur profession, forcément moins répandue que celle de téléopérateur.

Elles ont l’air tellement détendues, tellement habituées qu’on en viendrait presque à trouver ça tout à fait banal de les voir monter dans la voiture de leur client. Incapable de m’imaginer dans l’esprit des gens, je projette plutôt le mien dans leur corps et me rend compte que j’ai la chance d’avoir toujours pu choisir les personnes avec qui j’ai eu des relations. J’essaie de réfréner cette tendance énorme aux petites réflexions qui tournent autour de mon nombril mais ne peux m’empêcher de me poser des questions du type

« Comment est-ce qu’elles sont arrivées là ? Est-ce que leurs supérieurs sont cools avec elles ? Est-ce qu’elles ont une démarche à suivre en cas de client violent ? ».

Alors bon, hier, après avoir entendu une prostituée sangloter (peut-être pas par rapport à son métier, d’ailleurs) avant de se mettre à chantonner I’m your lady de Céline Dion, je me suis un peu renseignée sur le type d’associations de protection des travailleuses du sexe. Il en existe bien heureusement, un peu partout en France et un syndicat a même été créé en 2009 pour défendre leurs droits.

J’ai tout à fait conscience que cet article fait très « Bonjour, je m’appelle SPP et je vis au pays de Candy, entourée de licornes, je veux pas que les prostituées en bas de chez moi soient tristes parce qu’elles ont l’air gentilles et je bois du lait chaud avant de dormir« . N’empêche que jusque là, le métier de prostituée me semblait complètement abstrait et lointain. Maintenant qu’il est pratiqué en bas de chez moi, je réalise à quel point il est réel, à quel point il est partout, et surtout, combien il est demandé par des clients que je ne jugerai pas car je ne connais pas leurs motivations. J’ai également compris qu’il y avait prostituées (celles qui choisissent, celles qui sont à leur compte) et prostituées (celles qui prennent les clients quand ils viennent, même si elles peuvent bien entendu se permettre de refuser quand elles trouvent la personne un peu « louche »). Ce métier ne me paraît pas pour autant concret, car j’imagine bien qu’il n’y a que ceux et celles qui l’ont pratiqué qui peuvent le comprendre. Disons que je l’appréhende mieux maintenant que je ne suis plus une fille qui écoute ce qu’on veut bien lui dire à la télé, mais que je suis devenue spectatrice d’un métier très souvent décrié qu’on tend naïvement à abolir au lieu d’en protéger un peu plus les acteurs.

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Les Commentaires

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Avatar de M-arinette
15 septembre 2012 à 14h09
M-arinette
Comme je l'ai dit dans mon post, mes questions étaient volontairement naïves... (par exemple, je sais bien que personne ne m'a attendue pour mettre un prix sur toute la panoplies des actes sexuels, et que le marché fonctionne sans qu'on se pose la question du comment...) ça avait plutôt valeur d'interpellation.

Mais toutes les réponses apportées ne me satisfont pas (même si je ne remet pas en compte leur pertinence hein! ).

Ce qu'il y a, c'est que je trouve impossible de considérer la prostitution comme un "service". Comme le dit Sabrinalafraise, trop de psyché entre en compte: un acte sexuel n'est pas anodin, ne le sera jamais. Lors d'une relation sexuelle, le corps dit quelque chose, il entre tout entier en action jusqu'au moindre battement de coeur... et le cerveau entre tout autant en jeu, d'ailleurs ce n'est pas pour rien que l'excitation passe principalement par le mental.
Les liens entre corps et esprit sont très finement entrelacés, c'est aussi pour cela que le corps peut tomber malade si l'esprit ne va pas bien, sans parfois même que l'on s'en aperçoive (phénomène de somatisation, tout ça...). Mais effectivement, corps et esprit sont aussi séparables, et alors on parle de phénomène de décorporalisation... ce qui est effectivement une des "conditions" pour "bien" vivre la prostitution. Mais la décorporalisation est en elle-même une violence inouïe, il est extrêmement difficile de retrouver l'intégrité de son être après un tel phénomène. Si certains arrivent à le vivre sereinement et à s'en sortir indemne, grand bien leur fasse... Mais vouloir à tout prix revendiquer qu'il s'agit d'un métier, c'est juste impossible : la décorporalisation n'est pas une faculté que l'on apprend comme on apprend à faire les pointes si l'on est danseuse ou pétrir la pâte si l'on est boulanger, c'est le seul réflexe de défense que peut produire le corps fasse à ce qui lui est infligé. AUCUN autre métier ne repose sur une telle violence faite au corps, aucun.

Il est intéressant de noter que parmi tous les types d'agressions faites au corps, l'agression sexuelle est celle dont l'être humain à le plus de mal à se remettre et qui laisse le plus de séquelles: justement parce que, contrairement aux animaux pour qui le sexe a principalement une fonction reproductive et se produit à une période donnée dans le but de perpétuer l'espèce, chez l'être humain le sexe est une construction complexe qui comprend autant de communication que d'excitation.

Lorsqu'un corps subit un acte sexuel sans désir, le cerveau vit cela comme un nonsens, il n'offre que les protections dont il est capable. Si un petit nombre de femmes et d'hommes peuvent ranger tout cela au rang de service et sont satisfaits de vivre cette situation, tant mieux pour eux (il vaut mieux le vivre bien que mal ça c'est sûr!), mais demander à la société d'accepter cet état de fait quand pour la majorité la prostitution est le berceau d'une vie de violence et de misère... Je pense que ça ne serait qu'un pas de plus vers l'irrespect et la déshumanisation.

Et je réitère ce que j'ai dit dans mon précédent post : la prostitution façonne la manière dont les hommes perçoivent toutes les femmes dans leur ensemble. J'avais lu un article intéressant sur l'un des états américains ayant légalisé la prostitution et les bordels, le nombre d'agression verbales faites aux femmes n'avait fait que croître depuis la légalisation!

Notre société repose sur le patriarcat, la prostitution en est un des fruits... lorsqu'une partie de la population se sent privilégiée au point de pouvoir se payer l'intimité physique d'autrui avec aussi peu d'impunité, je crois qu'il y a un sérieux problème quelque part.
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