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Culture

Le snobisme littéraire, une plaie qu’il est possible d’éviter

La lecture tend à être considérée comme une pratique élitiste, et c’est notamment dû à tout le snobisme qui l’entoure. Lucie vous explique comment s’en défaire pour que seul le plaisir de lire demeure !

Il y a quelques jours, j’ai reçu dans ma boîte de réception madmoiZelle un mail à première vue innocent. La personne me disait qu’elle avait bien vu que je lisais de la littérature jeunesse, mais elle me demandait si je pouvais lui donner les coordonnées du/de la rédacteur•trice en charge de la littérature générale sur le site.

Quand j’ai répondu que je m’en occupais également, j’ai eu le droit à une réponse de mon interlocuteur, agréablement surpris que je sois aussi une lectrice de littérature générale.

À lire aussi : Pourquoi lire de la littérature jeunesse quand on est « adulte » ?

Ce message, que l’on peut simplement considérer comme professionnel et bienveillant, témoigne toutefois de l’élitisme extrêmement sournois qui sévit dans le milieu de la littérature.

En effet, la personne n’avait manifestement pas envisagé que je puisse m’occuper aussi bien des livres pour enfants et adolescents que de ceux pour les grands : seraient-ce donc deux choses incompatibles ?

Prendre conscience de son snobisme

J’en viens donc à notre sujet du jour : le snobisme littéraire. Comme pour la cuisine ou la musique, il a la dent dure. Dans la mesure où le système éducatif cherche à inséminer dans nos cerveaux une culture générale commune, il peut se manifester de manière très cruelle.

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À lire aussi : « La VRAIE recette de… » et autres rigidités culinaires qui me courent sur le haricot

« Quoi, tu n’as pas lu ce livre ?! », « Je croyais que tout le monde l’avait déjà lu », « Mais si tu sais, le livre qu’on voit partout »… pas très agréable.

Si, par malheur, le titre de la pièce de Molière que Gabriel-Eudes a étudiée en quatrième « comme tout le monde car c’est la base » t’échappe, tu risques d’être gratifié•e d’un sourire narquois ou d’une expression d’incompréhension condescendante plaquée sur un visage. Dans les deux cas, ce n’est pas agréable.

Mais le snobisme littéraire peut prendre d’autres formes que la malveillance d’un•e crétin•e élitiste qui ne cherche qu’à asseoir sa supériorité en t’humiliant — de préférence publiquement.

Dans le cercle familial ou amical, il se cache aussi derrière des petits commentaires proférés sur un ton étonné, un brin virulent, du type « Quoi, tu n’as pas lu ce livre ?! », « Je croyais que tout le monde l’avait déjà lu », « Mais si tu sais, le livre qu’on voit partout ».

Tout un ensemble de petites phrases ingénues qui ne sont pas volontairement méchantes, mais qui peuvent être vécues comme humiliantes : non je n’ai pas lu ce livre, est-ce que ça fait de moi quelqu’un de bête et d’inculte ?

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Se libérer de la pression sociale

Les gens qui ne lisent pas semblent avoir honte, comme si ça faisait d’eux des gens moins bien, comme si leurs autres activités n’avaient aucune valeur.

On tend à ressentir une forme d’exigence en ce qui concerne la littérature et la pratique de la lecture d’un point de vue général. Combien de fois ai-je senti une gêne de la part de gens m’avouant à demi-mots que non, ils ne lisaient pas ?

Comme si c’était une honte et que cela faisait d’eux des gens moins bien. Comme si la valeur d’une personne se mesurait au nombre de livres qu’elle lisait dans le mois, dans l’année.

Comme si tout ce qu’elle faisait, toutes ses activités autour, tout ce qu’elle entreprenait, n’avait plus d’importance.

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À lire aussi : Celui qui… m’a aidée à prendre confiance en moi

Pourquoi tant de timidité ? Il semble qu’elle apparaisse dès le plus jeune âge, au moment de l’apprentissage de la lecture. J’ai pu l’observer pendant mes animations : dès le cours préparatoire, si tu ne sais pas lire, tes parents s’inquiètent, et exercent une forme de pression sur toi.

On commence à te forcer à lire, et fatalement, la lecture devient une contrainte. Si tu n’aimes pas les livres, si tu ronchonnes au moment de lire, ce n’est pas bien, et là encore, on te forcera à le faire. Belle entrée dans le monde merveilleux de la littérature !

Pour le sentiment d’évasion, on repassera.

La hiérarchie des pratiques culturelles et la hiérarchie des genres littéraires

Plus âgé•e, ce genre de pression sociale continue à peser de tout son poids sur tes frêles épaules. Comment, tu n’as pas lu l’intégrale de Proust ? Tu n’as pas reconnu de qui était la citation que je viens de glisser dans notre conversation ? Tu ne peux pas me citer un paragraphe entier de Madame Bovary ?

À lire aussi : Que faire après une terminale littéraire ?

Si en plus tu fais des études littéraires, cette pression est encore plus énorme. Eh oui, désolée de te l’apprendre, mais si tu ne connais pas le brouillon d’un traité sur les passions de l’âme écrit par un obscur curé de la campagne charentaise, très sincèrement, ta dissertation ne vaudra rien.

En même temps, si tu lisais sur tes pauses déj au lieu de t’abrutir en regardant des vidéos sur Internet, peut-être que tu aurais enfin les fondamentaux de la culture littéraire — et c’est quand même bien plus noble comme activité… Mais bon après, on le pressentait ton échec, c’est la faute des jeux vidéo auxquels tu jouais quand tu étais enfant (pardon je me suis égarée).

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À lire aussi : Comment j’ai compris que le jeu vidéo n’était pas que « pour les mecs »

Ce qui est terriblement triste dans cette histoire, c’est que non seulement le snobisme littéraire sévit auprès des autres divertissements jugés moins « nobles », mais c’est aussi une pratique culturelle qui s’auto-condamne.

La littérature « classique », à savoir les Balzac, Rousseau et compagnie, est considérée comme la « bonne » littérature par les hautes instances littéraires.

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OKLM à l’Académie française

La littérature contemporaine est souvent mal vue si tu la cites dans un devoir (parce qu’elle n’a pas eu le temps de subir une dissection pointilleuse de la critique littéraire, parce qu’elle est méconnue contrairement aux canons de la Littérature Française).

Certainement que les auteur•es d’aujourd’hui ont lu les auteur•es d’hier, et qu’on peut les comprendre grâce à ce prisme de la littérature « classique ». Mais ne devrait-on pas pouvoir lire des livres et être en mesure de juger de leur qualité, sans avoir systématiquement besoin de ce genre de références ?

Mais ne devrait-on pas pouvoir lire des livres et être en mesure de juger de leur qualité, sans avoir systématiquement besoin de ce genre de références ?

Ensuite, la littérature dite « générale » tend à écraser la plupart des sous-genres. Les littératures de l’imaginaire en prennent régulièrement pour leur grade (« les histoires de trolls poilus là »), sans trop que l’on sache vraiment pourquoi. Je dirais même que c’est particulièrement incompréhensible, vu qu’elles témoignent d’un terreau incroyablement fertile d’imagination et de création d’univers de toute pièce !

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Et alors dès qu’une malheureuse image a le malheur de s’étaler sur une page, c’est la fin. Les dessins, ce n’est pas sérieux. La bande dessinée, les albums illustrés, très clairement, on part sur des œuvres de grande futilité qui ne laissent place à aucune réflexion.

On parle alors de « sous-genre », de « sous-littérature », et si on prend du plaisir à en lire, on se sent vite honteux•se.

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Revenir aux fondamentaux : pourquoi lit-on ?

Lisons-nous pour ce que l’on représente aux yeux des autres ou pour nous-mêmes ? La lecture est avant tout une activité pour soi.

Alors maintenant, arrêtons-nous, et demandons-nous : qu’est-ce qui compte ? Lisons-nous pour ce que l’on représente aux yeux des autres ou pour nous-mêmes ? La lecture est avant tout une activité pour soi, pour son enrichissement personnel, pour le développement de son esprit critique ou l’étanchement de sa soif de connaissances, d’évasion ou autres.

En quoi ce que les autres lisent me regarde ? Si untel adore la romance et que je la déteste, pourquoi devrais-je me sentir concerné•e ?

Être exigeant•e envers ce qu’on lit est parfaitement normal (je me roule en hurlant à la mort quand je lis quelque chose que je trouve très mauvais), mais cela ne donne pas tous les droits pour balancer son mépris au visage des gens qui ont adoré de leur côté. Au contraire, c’est le moment d’entendre leurs arguments, d’échanger, de débattre, et qui sait, de se laisser convaincre !

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Peut-être même que tu vas aimer ça.

Alors, bien sûr, comme toute pratique culturelle, le plaisir de la lecture vient aussi du partage. Le secret pour ne garder que le plaisir de l’échange, c’est d’opter pour un discours positif en anéantissant toute forme de condescendance dans sa manière de parler aux autres.

Par exemple, au lieu de dire à quelqu’un « Tu n’as pas lu ça, mais comment ça se fait ?! », il faudrait plutôt faire preuve de bienveillance et se sentir heureux de trouver une occasion de faire découvrir un livre qu’on a adoré à quelqu’un qui ne l’a pas encore lu.

À lire aussi : La bienveillance, le secret pour plus d’efficacité au travail

Enfin, arrêtons de faire de la lecture un élitisme. Chacun lit ce qu’il lui plaît et s’il en a envie. Plus la lecture sera perçue comme quelque chose de sectaire pour les happy few, plus il sera difficile de faire partager sa passion sans passer pour le•a pédant•e de service.

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Est-ce qu’on te fait comprendre que c’est quand même bizarre de ne pas savoir manœuvrer un char à voile, ou de ne pas connaître les règles du curling ? Non. Alors enrichissons-nous réciproquement !


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Les Commentaires

85
Avatar de Lifae
29 novembre 2016 à 22h11
Lifae
@Not the Queen. just Helen : je pensais que c'était un mythe, cet accent snobinard

@TanteJulia : ce n'est pas l'apanage des riches, certes, mais c'est parce que contrairement par exemple aux voyages, l'argent ne suffit pas à bien comprendre/apprécier des livres ^^
2
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