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Webroman « Alive » / Chap. 9 : Clovis

J’ouvre un œil et le referme illico : il y a vraiment trop de lumière dans cette foutue chambre ! Je cherche un fond de courage pour m’extirper du lit dans lequel j’ai somnolé quelques heures après avoir couché avec… Oh merde, j’ai pas fais ça ?

Je suis parfaitement réveillé tout à coup et je sors du lit d’un bond. J’ai l’impression d’avoir une autoroute dans le crâne et mes boyaux se tordent d’une façon très désagréable dans mon ventre. Et dans mon lit, il y a Jade.

Elle sourit dans son sommeil, le soleil caresse sa joue et son épaule, ses cheveux blonds bouclent sur l’oreiller et elle a l’air tellement sans défense…

Mais quel imbécile, vraiment ! Alors oui, d’accord, elle est bonne et elle a vraiment tout pour elle, côté physique. Et oui elle en joue parfaitement bien. Côté beauté intérieure et intelligence, je dois dire que j’ai pas trop fouillé : je ne vais jamais plus loin que le bout de leur nez, aux filles. C’était pas une raison pour la remettre dans mon lit. Je suis vraiment trop con. Après, elle risque d’espérer encore et moi je risque de la briser pour de bon. Je secoue la tête : j’ai vraiment des pensées presque humaines quand j’ai la gueule de bois. Ça me dérange.

Dans le reste de la suite, le bordel est inimaginable. Pourquoi quand j’organise une soirée les choses finissent invariablement comme ça ? Il y a des cadavres de bouteilles partout et des corps plus ou moins habillés à droite et à gauche. La moquette est moelleuse, alors ils ne se réveilleront pas de si tôt. Je me gratte le crâne en regardant la table basse : on dirait qu’il a neigé, tant il reste de poudre blanche dessus.

Ça va encore me mettre dans la merde, tout ça.

Il reste une bouteille de champagne dans le frigo. Je fais sauter le bouchon en repensant à toutes celles qu’on a ouvertes pendant la nuit. Le Jeu finit toujours comme ça : par une orgie d’alcool, de fête, de bruit, de nuit.

Quand on joue, on se sent toujours invincible, qu’on ait gagné ou perdu. On se jetterait d’un pont sans peur, persuadé de survivre. Comme si quelque chose nous protégeait.

Quand on joue, on sent que la moindre parcelle de nous, depuis nos orteils à la pointe de nos cheveux en passant par le moindre nerf, est en vie. On respire mieux, on voit mieux, on sent le sang aller et venir dans nos veines et c’est comme si le monde brillait plus fort. Tout est plus intense.

Alors on s’enivre. On tente d’échapper à ces sensations trop fortes. On tente d’oublier qu’on aurait pu sérieusement foutre en l’air tout ça. Alors on se fout en l’air quand même pour ne pas y penser. Et on s’oublie.

J’avale une gorgée de champagne au goulot – soigner le mal par le mal – et, après un dernier regard à la chambre où dors Jade, je claque la porte de la suite sur tous ceux qui y dorment encore. La réception se démerdera avec eux, après tout, je les paie pour ça.

Dans la rue, les gens me regardent bizarrement. J’ai encore dû foutre en l’air mon costard. A la réflexion, j’ai un peu froid, je crois que j’ai abandonné ma chemise quelque part.

Hier soir, après avoir gagné, j’ai emmené tout le monde au Carré. Vers deux heures Lola en a eu marre et a décidé qu’on allait au Paris. Et je ne me souviens plus comment j’en suis venu à louer cette suite, histoire qu’on puisse se terminer bien tranquillement. Je vais encore me faire engueuler par ma mère parce que l’argent ne pousse pas sur les arbres.

Y a un bruit qui me dérange, tout d’un coup. C’est strident, répétitif et… ah, mon portable. J’ai vraiment mal à la tête, quelqu’un s’en soucie ?

« Allo maman ?

– Tu comptes rentrer un jour ? Ton père est inquiet.
– Mon père est en Chine et je ne l’ai pas vu depuis six mois, mam’.
– Quand je dis que c’est moi qui m’inquiète, tu n’écoutes jamais. »

Je raccroche sans répondre. Je n’ai juste pas le courage, là.

Je m’assieds sur un banc et lève les yeux. Où sont mes lunettes de soleil ? Et où ai-je bien pu abandonner ma voiture, encore ? Je porte la bouteille à mes lèvres. J’aime le champagne, les bulles roulent sur la langue et éclatent dans la gorge. On s’oublie parfaitement dans le champagne. On dirait que le champagne a été inventé pour ça.

Sucker love is heaven sent. You pucker up our passion spent. My heart’s a tart, your body’s rent. My body’s broken, yours is bent.

Je divague. Je ne suis même plus capable de contrôler mes pensées et la chanson de Placebo rugit dans ma tête. Pour un peu, j’aurais l’impression de vivre dans un film et les choses seraient plus faciles. Mon père serait un salaud qui en prendrait plein la gueule à la fin parce qu’il aurait préféré gagner de la thune et devenir riche plutôt que d’aimer sa famille et je serais capable d’aimer au moins une fois dans ma vie, une fille comme Jade, par exemple.

Sauf que c’est la vraie vie : mon père est effectivement un salaud mais il ne paiera jamais pour ça et je suis incapable d’aimer quoi que ce soit à part moi-même. Je suis la seule personne à ne m’avoir jamais déçu. J’en ai fait une ligne de conduite.

I serve my head up on a plate. It’s only comfort, calling late. ‘Cause there’s nothing else to do. Every me and every you.

Et j’oublie de me trouver ignoble certains jours et j’oublie même d’avoir envie d’autre chose.

Je laisse la bouteille de champagne vide rouler à mes pieds et je me lève. Le soleil se couche lentement, le ciel est bleu et violet, il fera bientôt nuit.

Demain est un autre jour.

All alone in space and time, there’s nothing here but what here’s mine.

— Chère lectrice, tu peux décider qui sera le narrateur du prochain chapitre, pour ça rendez-vous sur le forum pour voter !


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Les Commentaires

7
Avatar de LiliThaw
10 mars 2010 à 21h03
LiliThaw
Mea culpa, j'ai écris ce chapitre tard hier soir dans la précipitation et j'ai relu très vite : je m'excuse, d'ordinaire j'évite de laisser ce genre de coquilles !
Promis, la prochaine fois je ferai plus attention et je m'y prendrai plus tôt
0
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