— Article publié le 18 juillet 2014
Diffusé le 25 mai 2014 sur HBO, The Normal Heart a rencontré un beau succès critique (amplement mérité) et décroché 6 nominations aux Emmy Awards 2014. C’est l’adaptation, réalisée par Ryan Murphy (Glee, American Horror Story), de la pièce de Larry Kramer, jouée sur scène depuis 1985. On y découvre la communauté gay des années 1980, déchirée par un fléau qui ne s’appelle pas encore SIDA, mais qui tue à vitesse grand V.
Le héros, Ned Weeks, magistralement interprété par Mark Ruffalo, voit ses amis, ses amants tomber comme des mouches, et fonde le GMHC (Gay Men’s Health Crisis) pour sensibiliser le public et récolter des fonds afin de lutter contre ce qu’on appelle encore le « gay cancer ». Mais les pouvoirs publics n’agissent pas, le gouvernement reste sourd aux demandes d’aide, et chaque homosexuel qui meurt dans l’indifférence quasi-générale nourrit la colère de Ned, sa haine grandissante envers une société qui préfère laisser des hommes crever plutôt que d’accepter leur sexualité.
The Normal Heart ou la fatalité d’un fléau inconnu
Il y a énormément de morts dans The Normal Heart. C’est absolument affreux. La libération sexuelle entraînant une frénésie de rapports chez les gays, le virus se répand comme une traînée de poudre et les cas s’accumulent, avec une seule certitude : être atteint, c’est être déjà mort.
Les jeunes hommes pleins de vie, de force et de santé fondent en quelques mois, deviennent leur propre fantôme, couvert d’escarres, incapable de s’alimenter, de faire ses besoins. Beaucoup finissent par perdre leur lucidité et deviennent fous avant de s’éteindre, souvent dans les bras de leur compagnon désespéré, pendant que le maire de New York continue de faire la sourde oreille aux demandes répétées de rendez-vous.
Chacun voudrait que son cas soit différent ; chacun se dit que pour son amant, son ami, son ex, sa moitié, la donne changera, que ça marchera. La réalité, c’est que le virus est aveugle. Et parfois, le dégoût se mêle à la tragédie : l’amoureux d’un personnage secondaire finit sa course dans un sac-poubelle, car les médecins refusent de l’autopsier et d’indiquer une « cause du décès », indispensable pour les services funéraires. L’amour d’une vie, roulé dans un sac poubelle XXL en guise de dernière demeure.
Le Dr. Emma Brookner (Julia Roberts), clouée dans un fauteuil roulant par la polio, qu’elle a contractée dans son enfance, se donne corps et âme à l’étude de ce « cancer ». Ses patients décèdent les uns après les autres, ses diverses tentatives de traitement n’ont aucun effet… La communauté gay, ayant enfin accédé à la libération sexuelle, multiplie les partenaires et les expériences extrêmes ; hors de question pour ses membres de tenter l’abstinence pour une drôle de maladie inconnue. Alors les cas s’enchaînent, et les cadavres aussi, en bout de route.
The Normal Heart ou la rage comme carburant
Ned, déjà connu avant l’épidémie pour ses prises de position radicales qui ne lui ont pas valu que des amis dans la communauté homosexuelle, utilise sa rage pour tenir bon quand ses proches meurent l’un après l’autre. Alors que les autres membres du GMHC tentent la conciliation et la politesse, lui crée des scandales sur les plateaux de télé, accuse le gouvernement d’exterminer les gays et révèle l’homosexualité du maire de New York en direct, l’accusant de ne pas agir par peur de « sortir du placard ».
Cette rage l’éloigne de ses collègues du GMHC, de ses amis, de son compagnon, même. Au début du film, il m’agaçait, à gueuler tout le temps en n’écoutant personne… Mais les années passent, les homosexuels décèdent, et le maire ne lui accorde toujours pas d’entretien, le gouvernement ne fait toujours rien, les intolérants font le pied de grue devant le GMHC avec des panneaux disant que les gays ont mérité le SIDA. Et on finit par ressentir la même rage que lui devant tous ces futurs avortés, toutes ces vies raccourcies.
The Normal Heart, un casting trop monochrome ?
99% des personnages de The Normal Heart sont blancs, et plusieurs d’entre eux sont juifs. Plusieurs articles ont pointé du doigt ce problème de représentation, comme celui-ci : The silences of Larry Kramer’s The Normal Heart, sur AlJazeera America. En effet, le SIDA est loin d’avoir touché uniquement des hommes blancs, et les homosexuels noirs ou hispaniques ont également souffert de ce fléau.
Cependant, le Huffington Post rappelle que c’est ici une question d’exactitude historique : les fondateurs du GMHC étaient en effet tous des hommes blancs. C’est une réalité de l’époque qu’il serait malvenu de balayer sous le tapis en intégrant une diversité là où il n’y en avait pas. Comme le dit Peter Staley, auteur de l’article et activiste pour les droits des homosexuels :
« Le monde de Kramer était le monde de Kramer. Il faut l’examiner et le critiquer pour ce qu’il était vraiment, pas pour ce qu’on aurait voulu qu’il soit. […]
Ne devrait-on pas plutôt demander pourquoi certains des groupes LGBT les plus puissants ne reflètent toujours pas la diversité de notre communauté ? »
The Normal Heart : en conclusion…
The Normal Heart est un film brutal. L’espoir y a peu de place, le bonheur aussi. Mais c’est un film indispensable, nécessaire, qui traite d’une partie sombre de l’Histoire très récente, qui rappelle que si on nous fait chier avec des histoires de capote et de dépistage, ce n’est pas par paranoïa.
Si vous n’êtes toujours pas convaincues, voici la traduction du discours de Tommy (interprété par Jim Parsons, qui peut jouer des personnages bien plus subtils que Sheldon dans The Big Bang Theory) lors de l’enterrement de Nick, un de ses amis.
« J’ai cette tradition. C’est un truc que je fais quand un ami meurt.
Je mets de côté sa fiche d’hôpital [où il travaille, NDLR]. Qu’est-ce que je suis censé faire ? La jeter à la poubelle ? Je ne ferai pas ça. Non. C’est trop… définitif.
L’an dernier j’avais cinq cartes. Maintenant j’en ai cinquante. Une collection de pierres tombales en carton, reliées par un élastique.
Je déteste ces foutus enterrements. Je les déteste vraiment. Et vous savez ce que je déteste aussi ? Les funérailles. C’est ça, notre vie sociale, maintenant. Aller à ce genre d’évènements.
Nick était chorégraphe. Je crois qu’aucun d’entre vous ne savait ça. Il commençait tout juste, il ne l’a pas dit à beaucoup de monde. Il attendait de vous inviter à son grand début au Carnegie Hall ou un truc du genre, pour qu’on soit tous fiers de lui.
Il était tellement doué. Tellement prometteur.
Nous sommes en train de perdre toute une génération. De jeunes hommes, au début de leur vie. Des chorégraphes, des dramaturges, des danseurs, des acteurs. Toutes ces pièces de théâtre qui ne seront jamais écrites maintenant. Toutes ces danses qui ne seront jamais dansées.
En conclusion je vais juste dire que je suis furieux. Je suis furieux, putain. À l’intérieur de moi je n’arrête pas de crier « Pourquoi est-ce qu’ils nous laissent mourir ? Pourquoi est-ce que personne ne nous aide ? ».
Voilà la vérité. Voilà la réponse.
Parce qu’ils ne nous aiment pas, tout simplement. »
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Les Commentaires
Il est très triste (on s'en doute!) mais c'est dur aussi de se dire que ça continue de nos jours de tuer des gens... Quand Emma dit un truc du genre "la polio était un virus mais maintenant plus personne n'en meure", en sous-entendant qu'un jour ça sera le cas du sida, et qu'on se rend compte que non, c'est pas le cas
Mon commentaire est très décousu mais je suis encore dans la réaction à vif ^^