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Société

Le suicide de Fouad, lycéenne trans, montre à quel point l’école française est démunie

Le suicide ce 16 décembre 2020 de Fouad, lycéenne trans de 17 ans qui étudiait au lycée Fénelon de Lille, a provoqué une vague de réactions sans précédent. Un signe du manque d’écoute et de préparation de l’école pour accueillir les élèves transgenres ?

Il est presque 19 heures, ce vendredi 18 décembre, aux abords du lycée Fénelon de Lille. Louise, Anouk, Zya et Annabelle y sont élèves et viennent d’assister au rassemblement en hommage à leur amie Fouad, une jeune femme trans qui s’est suicidée deux jours plus tôt.

La presse en a parlé toute la journée ; plusieurs députés et députées, la maire de Lille Martine Aubry, mais aussi le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer ont réagi.

« Heureux que ça touche du monde, qu’on parle de Fouad »

« Ça a été une machine infernale », reconnaît Annabelle, un peu abasourdi par cet emballement médiatique.

« On n’a pas eu beaucoup de contrôle sur tout ce qui s’est dit. Mais on est heureux que ça touche du monde, qu’on parle de Fouad. C’est le minimum qu’on lui doit. »

La petite bande, qui la côtoyait au quotidien dans différents cours, l’appelle toujours Fouad, son nom de naissance, n’ayant pas su quel aurait été le choix final de leur amie. Annabelle assure :

« Elle nous a dit qu’elle voulait changer de prénom, qu’elle cherchait mais qu’elle n’avait pas encore décidé. »

Évoquer le nom de naissance (ou deadname) d’une personne trans peut être particulièrement irrespectueux et violent. Dans cet article, les seules mentions du nom de naissance de la lycéenne qui a mis fin à ses jours sont faites par ses amis et amies du lycée Fénelon ; elles ne portent en rien atteinte à sa mémoire et à sa dignité.

Les prénoms Avril et Luna, évoqués par certains de ses proches sur les réseaux sociaux, n’étaient pas choisis de façon définitive par Fouad et ne sont donc pas utilisés ici.

Ce mercredi 16 décembre, la jeune fille s’est donnée la mort dans son foyer d’accueil, après une première tentative quelques jours plus tôt. Deux semaines auparavant, elle avait fait son arrivée au lycée Fénelon en jupe. Annabelle raconte :

« La veille, elle avait prévenu son groupe de classe et ses camarades avaient très bien réagi. Elle avait décidé de s’assumer et de montrer son identité de genre. »

À peine arrivée, elle est emmenée dans le bureau de la CPE. La lycéenne filme l’échange. Dans la vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux, on distingue ses larmes, mais surtout on entend distinctement la CPE la réprimander :

« Je comprends ton envie d’être toi-même […] Encore une fois, il y a des sensibilités qui ne sont pas les mêmes, à différents âges, des éducations qui ne sont pas les mêmes ! »

« Alors, c’est eux qu’on doit éduquer, c’est pas nous ! », tente la jeune fille. Annabelle tient à assurer qu’aucune exclusion n’a été prononcée en raison de la tenue vestimentaire de son amie :

« Elle m’a dit qu’on l’avait fait se sentir comme un monstre. Vexée, elle s’est énervée et est sortie du bureau et de l’établissement d’elle-même. Les rumeurs comme quoi elle a été exclue sont fausses. »

Fouad, lycéenne trans soutenue par les élèves

Annabelle affirme que dans le courant de la journée, le proviseur a appelé le foyer de Fouad pour l’informer qu’elle pourrait revenir en jupe au lycée. Le lendemain, plusieurs élèves ont pris l’initiative de coller des affiches contre la transphobie, finalement retirées par l’administration. Le jour suivant, plusieurs élèves sont venus en jupe, là aussi pour soutenir leur camarade.

Aujourd’hui, les quatre élèves de Fénelon l’affirment, leur lycée est très tolérant :

« Fouad a vu qu’elle avait tout notre soutien. La stigmatisation est venue de la direction, pas des élèves, ni des profs qui ont été très bienveillants à son égard. »

C’est notamment le mail laconique de la direction annonçant le suicide de leur camarade qui a fait réagir les élèves, lesquels ont dès le vendredi 18 décembre au matin organisé un premier rassemblement devant les portes de leur lycée.

https://twitter.com/marleneducasse/status/1339525657810841601?s=20

 

Annabelle refuse néanmoins de voir cet incident comme la seule origine du suicide de son amie :

« Fouad était d’origine maghrébine, elle subissait le racisme dans sa vie en général. Elle était en foyer, elle avait beaucoup de problèmes familiaux. La transphobie, elle la vivait aussi en dehors du lycée. Ça a participé à son mal-être. »

Contactée ce vendredi 18 décembre, la direction du lycée Fénelon a refusé de répondre à nos questions.

Le symptôme d’une école démunie

Cette affaire contribue-t-elle à montrer que l’école en fait trop peu pour lutter contre la transphobie ?

Pour Gabrielle Richard, sociologue et autrice de Hétéro, l’école ? Plaidoyer pour une éducation anti-oppressive à la sexualité, les mesures mises en place par l’Éducation nationale sont loin d’être suffisantes.

« Ces mesures visent à endiguer la haine-anti LGBT, un terme très fort et mal choisi selon moi, qui est perçue comme venant des élèves, et se jouant entre eux. Or, à bien des égards, les élèves sont bien moins campés sur leurs positions, moins binaires sur la question du genre que peuvent l’être des adultes. »

En se focalisant sur la déconstruction des stéréotypes chez les élèves, le ministère délaisse les équipes pédagogiques, alors que les besoins sont criants :

« Quand j’interviens auprès d’enseignants sur ces sujets, le premier commentaire que je reçois à chaque fois, c’est “J’ai un élève trans dans mon établissement, que dois-je faire ?” »

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Fen’omène (@fen_omene)

Jena Selle, militante trans, abonde dans son sens :

« Avec les moyens dont dispose l’Éducation nationale, il n’y a que quelques heures dans toute la carrière d’un prof consacrées aux questions LGBTQIA+ ? Le mot qui me vient, c’est que c’est honteux. »

Elle estime elle aussi que ce suicide révèle un manque de volonté politique pour lutter contre les discriminations transphobes.

L’échange avec la CPE, le mégenrage de la direction dans l’annonce du suicide, puis dans le communiqué du rectorat de Lille, sont autant d’éléments montrant selon elle que « l’encadrement n’y connaît rien et que la sensibilisation de la part du ministère de l’Éducation n’a aucun effet sur le personnel. »

D’un côté, des équipes pédagogiques larguées, qui peinent à offrir un cadre scolaire respectueux et protecteur aux élèves transgenres. De l’autre, des ados très informés et informées sur ces sujets :

« Il y a eu une prise de conscience foudroyante des jeunes ces dernières années, et ça c’est grâce aux réseaux sociaux. Twitter et Youtube ont été un terrain d’auto-formation des jeunes sur les questions LGBTQIA+ et le fossé s’est creusé avec l’Éducation nationale. »

Reste à savoir quand cette dernière prendra conscience de son retard et se dotera d’outils pour le combler. De leur côté, les élèves du lycée Fénelon envisagent de rendre à nouveau hommage à leur camarade à la rentrée de janvier, avec l’espoir que son geste incite les institutions scolaires à enfin agir.

  • Si vous êtes concernée ou que vous connaissez une personne concernée par la problématique du suicide, rendez-vous sur cette page pour trouver de l’aide
  • Si vous êtes concernée ou que vous connaissez une personne concernée par la problématique de la transphobie, rendez-vous du côté des associations OUTrans, Acceptess-T ou sur l’Espace Santé Trans

Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

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Avatar de grenouilleau
25 décembre 2020 à 03h12
grenouilleau
@Calinoursonne Je suis pas spécialiste mais de mémoire, si une personne est en foyer ASE le principe c'est la porte à 18 ans, après il peut y avoir des trucs pour aider (si étude je crois, mais @VickyLgn a mieux répondu), mais c'est pas automatique (toujours de mémoire) donc faut pouvoir faire un dossier, ça doit pas être facile, déjà psychologiquement.
Et même là je crois que c'est des conditions où la personne aura moins le "droit à l'erreur" que tous les autres jeunes qui ont eu la chance d'avoir des parents pour les soutenir, bref c'est pas une situation sécurisante du tout, surtout à cet âge.
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