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Culture

J’ai testé pour vous… monter sur scène pour lire mes textes

Mircea Austen écrit de la poésie depuis longtemps. Mais depuis peu, elle lit ses textes lors de scènes ouvertes. Même qu’elle a peur et que ses mains tremblent… mais bon, partager sa passion, ça mérite bien un petit effort !

Depuis que je sais écrire, j’écris de la poésie, de la même façon que certains n’ont jamais arrêté de dessiner depuis qu’ils ont eu leur premier Crayola en main. C’est pas tout les jours de la grande poésie, ça l’est même rarement au final sur toutes ces années, mais c’est plutôt mon « mode d’expression » : je n’ai pas vraiment l’impression de l’avoir choisi.

L’histoire d’une vieille passion

J’ai retrouvé sur l’ordinateur de mon père un très vieux poème dont l’orthographe et la grammaire approximative méritent au moins un « Ooooow » d’attendrissement de votre part. Avec un peu de pitié dans l’intonation, ça va aussi, c’est pas grave j’entendrai pas.

La pluie

Cloq, cloq mais qui fait ce bruit Ha ! C’est la pluie Cloq, cloq Ha ! C’est la pluie Mais non ce n’est pas la pluie Mais mon amie qui joue au ballon sur une petite flaque d’eau Mais, j’aime bien la pluie, À chaque fois, il faut deviner ses mots.

Mircea Austen, 1999.

sailormoon

Oui bah voilà, j’avais 7 ans, et de toute façon j’étais encore plus nulle en dessin.

Toujours est-il qu’avec ce genre de petites bafouilles j’ai eu à peu près au même âge un classement flatteur à un concours de poésie organisé par je ne sais plus quelle association nationale. Et un enfant, quand on le brosse dans le sens de l’ego, il cherche pas à comprendre, il fonce. Alors j’ai continué à écrire : des poésies, des nouvelles, toujours de courts textes.

Il existe d’ailleurs quelques spécificités propre à l’apprenti poète qu’il convient de connaître si jamais vous en fréquentez un un jour :

  • Contrairement à son cousin, l’apprenti-romancier, il n’espère même pas une seconde se faire publier un jour.
  • De même, l’idée de devenir riche et célèbre grâce à son art ne lui effleure pas l’esprit.

À lire aussi : J’ai testé pour vous… écrire un roman

Or, contrairement à ce qu’on pourrait penser… c’est assez libérateur !

cerclepoete

À l’adolescence j’ai atteint mon plus fort rythme de croisière et j’écrivais un poème chaque semaine, à la qualité variable bien sûr — même si j’estime avoir quand même un peu progressé depuis mon ode à la pluie. En tout cas, j’ai travaillé durement dans ce sens !

Comment Internet m’a aidée à trouver mon style

À ce moment-là, j’ai commencé à m’interroger sur comment écrire de la bonne poésie. J’ai lu, surtout Aragon dont j’admire l’art de la capture des émotions les plus subtile avec les mots les plus simples.

https://youtu.be/PqfCfLR5DM4

Il y a une élégance et un dépouillement dans son art qui me fait le préférer à tout les autres. Aux curieuses, je recommanderai surtout son Roman inachevé, oeuvre imposante puisqu’il s’agit d’un recueil de poésies autobiographiques, de l’enfance à l’âge adulte. Un chef-d’oeuvre.

Alors j’ai travaillé en me soumettant au plus dur des jurys : les gens de l’Internet. Je publiais mes textes sur un forum et j’ai eu la chance d’avoir des retours, de la part de personnes avec lesquelles je suis parfois devenu amie. Parfois ils aimaient, parfois moins, mais un dialogue riche était né, et comme elles écrivaient sur le même forum, nous nous aidions mutuellement à évoluer dans nos styles.

J’ai pu découvrir ce que j’aimais faire, tenter des choses — de la poésie en vers, en prose, avec ou sans rime, personnelle ou non. J’en ai tiré quelques pistes pour celles qui hésiteraient à se lancer :

  • Plus on est généreux, plus on ose donner de ses propres émotions, plus on touchera les gens qui se reconnaîtront à travers des textes qui pourtant paraissent très personnels à première vue.
  • D’abord l’authenticité, ensuite la beauté. Beaucoup de mes amis apprentis poètes ont ressenti la même chose que moi : ça ne sert à rien de faire de parfaits alexandrins magnifiquement rimés si c’est pour ne rien livrer à ses lecteurs ! Pour ma part, ça s’est fait en abandonnant, pour un temps, les rimes dans lesquelles j’embourbais mes textes.

Et puis j’ai fini par trouver mes marques, ma « petite musique ». Et visiblement ça n’a pas trop déplu puisque j’ai gagné un autre concours littéraire l’année dernière, avec un voyage à la clef cette fois-çi.

Oui, mais il y a un mais. Je ne progressais plus. Depuis l’adolescence, j’étais restée sur mes acquis, mes thématiques. Pourtant je sentais bien que l’inspiration revenait, que j’écrivais à nouveau beaucoup plus. Mais j’avais l’impression de rester dans ma zone de confort.

La montée sur scène

Je n’étais pas totalement passée à côté du phénomène slam. Je considérais les slameurs, mais aussi les rappeurs, comme des cousins dont j’admirais, et j’admire toujours, l’art de la diction. Mais moi qui écrivait sur mon petit écran, je ne voyais pas ce que j’avais à faire sur scène. 

Sur madmoiZelle j’ai vu passer des articles parlant de spoken poetry, des témoignages de madZ osant monter sur scène lors de festival de slam… Et petit à petit, notamment à force d’écouter du rap, j’ai fini par remarquer que certains de mes textes pouvaient être « récités ».

À lire aussi : Rencontre avec Oriane, jeune slameuse

Certains, mais pas tous. Toutes les poésies ne se prêtent pas forcément au passage à l’oral : j’ai par exemple écrit certains textes qui se basent essentiellement sur des jeux d’écriture qu’on ne peut pas vraiment retranscrire sur scène.

J’ai des serpents qui glissent le long de mes bas… Et je ne sais pas- Pourquoi. Des hommes pâles se fondent dans la fonte des murs d’acier d’une ville froide et- Grou-i-llante de serpents. Qui glissssent, glissssent… Jusqu’à la ligne suivante : Serpent.

Mais par contre, pour d’autres, c’était faisable. Et j’ai commencé à trier mes textes en fonction de leur possible passage à l’oral, à les imprimer et à les réciter, à en travailler le rythme et la diction. Le jour de la remise des prix de ce fameux concours de poésie, j’ai lu un extrait de mon texte devant le jury et le public présent ce jour-là.

J’ai croisé le Petit Chaperon Rouge. C’était quelque part sur un des ponts qui relie Buda à Pest, en Hongrie. Une jolie rousse, Du nom de Julie. Son corps était cassé, meurtri, « Si tu souffles, je m’écroule », qu’elle m’a dit. Un peu comme toute la ville, Dans une sorte de souffle en suspension… Budapest c’est avant tout une haute forme d’illusion.

slam-poetry

J’ai aimé que les gens viennent ensuite me voir, me dire ce qu’ils avaient aimé, mais aussi ce qu’ils n’avaient pas aimé. 

Parce que se faire plaisir c’est sympa, mais au bout d’un moment sans critique on ne progresse plus ! Et puis la poésie déclenche souvent des réactions très vives, les gens s’identifient : ce n’est pas un art pour pédant égocentrique, mais bien une façon très intense d’établir un contact entre deux inconnus. Il ne s’agit pas de raconter sa vie mais d’amorcer un dialogue.

Alors je me suis dis : « pourquoi ne pas faire ça avec des textes entiers ? », et j’ai décidé de trouver un club, un organisme, un festival, bref : un espace d’expression libre où je pourrais affronter un public et faire évoluer ma poésie.

Les scènes ouvertes de Culture Rapide, à Belleville

La brillante journaliste Marie.Charlotte et moi-même étions au théâtre, et je lui parlais de tout ça quand une jeune femme assise devant nous se retourne, s’excuse de nous interrompre et lâche le nom d’un bar : Culture Rapide , à Belleville, au nord de Paris.

Elle me parle d’une scène ouverte chaque mardi soir vers 21h30, où slameurs/poètes/conteurs s’affrontent lors d’une compétition informelle et sans enjeux. Trois jurys dispersés au hasard dans la salle notent, et chaque artiste dispose de deux fois trois minutes pour faire ses preuves. Le gagnant gagne le droit de repasser sur scène et une crêpe au chocolat. Chaque participant a aussi le droit à une conso gratuite, histoire de se donner du courage.

Vous comprenez bien que cette histoire de crêpe au chocolat et de consommations gratuites a amplement suffit à me motiver. L’idée d’une notation ne me dérange pas, au contraire : si je veux affronter un public c’est bien pour pouvoir évaluer les progrès qu’il me reste à faire, voir ce qui marche, ce qui marche moins, et j’avais justement quelques textes dans ma poche que j’avais une furieuse envie d’envoyer au contact.

J’y vais deux fois, en simple observatrice. Je suis tout de suite charmée par l’ambiance : des vieux, des jeunes, des hommes, des femmes, des Bretons, des Maliens venus quelques jours sur Paris… Tout ce petit monde s’entrechoque sur scène et en profite pour passer son message du moment. Pour la première fois, la poésie devient vivante à mes yeux, et certains sont d’un talent à couper le souffle qui ravit les oreilles.

Il y a ce vieux papy qui vient dire ses poèmes obscènes à se tordre de rire avec un sourire malicieux, ce jeune homme qui vous lance l’air de ne pas y toucher un magnifique poème d’amour, et puis il y a Pilote le Hot, l’animateur un peu déjanté.

Ce que je ne savais pas au début, c’est que Pilote le Hot est présent depuis les tout début de la scène slam en France et l’un des piliers de son tissu associatif français. On peut notamment retrouver les activités de tout ce petit monde à travers le site de la Ligue Slam de France.

Ici, nulle trace de snobisme. On peut réciter le texte à la main si on ne le connaît pas par coeur, et qu’importe qu’on se définisse comme poète, slameur ou conteur, puisque, comme le veut la tradition, « c’est toujours le meilleur poète qui perd à la fin ».

Le moment M

Lire un poème en public, c’est un peu se mettre à poil. Il n’y en a aucun qui n’évoque pas pour moi un moment extrêmement privé. Et même si je sais que ma « vie privée » se cache entre les rimes et que les figures de style préservent ma pudeur, je ne fais pas la maline quand je monte sur les planches. Je bafouille : « C’est la première fois… » et le public (malheureusement pour moi) très nombreux ce soir-là, m’encourage chaleureusement.

Je lis donc mon texte en tâchant d’y mettre un peu les formes. Mes mains tremblent, ce qui est problématique : je n’arrive plus à lire ma feuille et les lignes se mélangent sous mes yeux. Alors j’improvise un peu, je rattrape une rime sur la suivante et je finis tant bien que mal par réciter mes deux pages. À la fin, je fonce rejoindre ma place, les yeux baissés, sous les applaudissements à nouveau bienveillants du public.

À la pause, j’ai pu parler un peu avec les autres poètes et nous avons pu chacun nous encourager à persévérer, échanger un peu autour de nos poèmes respectifs. J’en profite pour draguer ouvertement le papi pervers parce que son ode rimé eau pénis était de toute beauwté !

Le deuxième passage commence, et en pleine lecture je pique soudainement un fard car je me rends compte que je suis en train de dire des choses relativement osées — certes, sous-entendues seulement, mais devant un public qui ne sera pas dupe.

Mais il faudra bien, Un jour, que quelqu’un parle, Et dise la vérité, Sur les femmes de mon âge.

Mais pour l’instant continuons à faire semblant, Puisqu’il fait nuit, puisqu’il fait froid, Je serais fragile, Et j’aurais un peu peur. Courant dans vos bras les yeux baisés, Pour mieux vous cacher, La lueur criminelle et féline, L’impudeur et l’envie d’en jouir, Et toute ces choses que l’on sait ne pas devoir dire.

À ce moment-là, dans ma tête, je me demande pour quoi je suis en train de passer. Ok, il y avait un homme magnifique en face de moi, ça n’aide pas… Et puis l’instant suivant mon deuxième passage est terminé, et les applaudissements me font oublier ce petit moment d’exhibition.

À lire aussi : Quand les poétesses frétillent de la culotte

J’ai eu peur, j’ai été émue, j’ai eu froid et chaud, mais je l’ai fait : je suis montée sur scène et j’ai exhibé ce que mes tripes avaient pu produire de plus intime ces derniers mois. Le gagnant du soir était un poète qui m’a bouleversée par la fraîcheur et l’aspect novateur de son style : c’est ça aussi une soirée slam, ouvrir grand les oreilles et apprendre des autres !

Ce fut réellement une expérience formidable que je vous encourage toutes à tenter ! Aucune pression, aucun « niveau » requis, il suffit de prendre son texte et de se lancer. En plus, de ce que j’ai pu voir, les femmes sont sous-représentées sur scène alors venez faire entendre votre voix !

  • Les soirées scènes ouvertes et « slam de poésie » Culture Rapide c’est chaque mardi à 21h30 au 3 rue Julien Lacroix, 75020 Paris. Participation gratuite, il suffit de venir un peu avant pour s’inscrire. Et puis les consos sont pas chères — et ça, quand on est jeune à Paris, ça compte !
  • Si ça t’intéresse, les poèmes de cet article sont disponibles en entier ici : Moritura te salutat.

À lire aussi : « Les vrais conseils sur le sexe », un slam indispensable

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Les Commentaires

4
Avatar de duendecita
15 novembre 2014 à 16h11
duendecita
Je suis contente de tomber sur ce témoignage car je suis souvent tentée par le fait de lire mes textes en public.
J'ai moi-même été spectatrice et parfois jury à Culture Rapide, quand j'habitais Paris, j'aimais beaucoup l'endroit et on avait même hébergé avec ma coloc le champion d'Angleterre de slam à l'occasion de la Coupe du Monde de Poésie qui se déroulait là-bas cette année-là!
Depuis Lille je n'ai plus pris le temps de chercher des endroits de ce genre, scène ouverte, qui doivent sûrement exister, connaissant la ville...
Je trouve admirable d'arriver à partager ses écrits sur scène, car lorsque les textes parlent d'intimité, et surtout de blessures intimes, je pense qu'il doit être très dur de prendre du recul pour éviter de vivre la critique comme une attaque ou une remise en question de l'expérience en elle-même. Arriver à voir que la critique vise l'expression de l'expérience mais ne touche en aucun cas à la réalité vécue. C'est facile à dire rationnellement, mais je trouve ça bien plus difficile d'y arriver en réaction immédiate!

En tout cas bravo d'avoir osé, et courage dans la poursuite de l'écriture!
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