Cette semaine, le podcast hebdomadaire Le seul avis qui compte, dans lequel Kalindi chronique sa mauvaise humeur ciné, parle du film The Batman. L’article ci-dessous est une retranscription du podcast.
Aujourd’hui, j’ai envie de démarrer cette chronique par une devinette de qualité au moins aussi médiocre que le grand méchant pas beau de The Batman. Alors, quelle est la ville où :
- Il fait un temps dégueulasse ?
- Ça sent la pisse de rat ?
- La population a l’air sous prozac ?
- Littéralement tout le monde est corrompu ?
Mais non c’est pas Paris ! C’est Gotham City bien sûr !
Dans cette nouvelle mouture, on retrouve Bruce Wayne qui, on ne va pas se mentir, n’est pas au top de sa forme — à mon avis il a pas mangé un légume vert depuis 1910 — et tourne en rond dans sa cave, le regard vide et la mèche grasse, dans des tenues de tiktokeur emo. En gros Bruce Wayne, c’est moi quand j’ai mes règles.
La ville créée par Bob Kane et Bill Finger qui accueille tous les comics et les films Batman, de ceux réalisés par Burton à celui qui est sorti mercredi, réalisé par Matt Reeves.
« Les 35h ça fait chier tout le monde Bruce, c’est pas une raison d’arrêter de se laver les cheveux ! »
Alors, The Batman, dont on nous rebat les oreilles depuis des mois, qu’est-ce que ça vaut ? Est-ce que vous allez autant vous y faire chier que devant Euphoria saison 2 ou le dernier clip de Juliette Armanet ? Eh bien non, parce que The Batman, ça défonce tout !
The Batman, de quoi ça parle ?
« Dans une ville où tout le monde a une mâchoire carrée et une voix de baryton, Robert Pattinson a les cheveux gras. »
Alors, j’aurais vraiment aimé m’en tenir à ce résumé, ne serait-ce que pour m’épargner la lecture des notes que j’ai prises devant le film et qui ressemblent à des dessins d’enfants sous LSD, mais ça serait insulter celui qui est sans doute, et en dépit de l’insurrection que causera cette assertion auprès des fans des Batman de Burton (les plus relous), le meilleur jamais réalisé.
Il convient donc de le pitcher dignement :
Bruce Wayne est en dep totale. Genre grosse chouineuse dans sa tour d’Ivoire. Il faut dire qu’il est sappé comme un membre Tokyo Hotel et que sa dernière conversation avec un être humain remonte à Gergovie.
Alors, il erre dans les rues humides de Gotham sous sa cagoule, pour matraquer quelques jeunes racistes et faire planer l’ombre de la vengeance sur une ville où tout le monde se défonce à coups de gouttes pour les yeux (ce qui a l’air un peu fun en vrai, même si la drogue c’est mal, comme on l’a appris, au péril de notre patience, dans Euphoria).
Ermite célèbre, il fuit toute sortie publique et n’envisage l’humanité qu’en compagnie d’Alfred, son ami et majordome loyal, qui est beaucoup trop sexy d’après moi pour passer sa vie à s’occuper du courrier de Bruce (mais apparemment Brucie, il est trop malheureux pour gérer lui-même l’administratif).
Les quelques mèches grasses qui fouettent les pommettes de Bruce indiquent qu’il a tendance à négliger son hygiène, mais s’il ressemble à un gueux, Bruce Wayne est le plus riche des animaux nocturnes de la ville.
Ses parents, tués lorsqu’il était enfant, lui ont laissé une fortune et un nom en héritage, ce qui lui permet d’investir tout son temps dans sa carrière de justicier anonyme, mais lui vaut par la même d’être la cible éventuelle des maniaques qui pullulent à Gotham.
Falcone, Le Pingouin, et surtout The Riddler, le nouvel ennemi publique numéro un, qui enlève des politiques véreux, des flics ripoux et autres puissants corrompus avant de les assassiner sauvagement, l’ont dans leur viseur. Et vous observerez qu’ils ont en commun un amour tout relatif du pseudonyme.
Bruce le jour, Batman la nuit, l’orphelin, muré dans son costume de plomb, projette de mettre un terme à la vague de meurtres qui saccagent la ville. Pour ce faire, il doit mettre la main sur Le Rat, dont personne ne veut révéler l’identité, puis sur The Riddler.
Avec son fidèle compagnon, le policier James Gordon, qui se taille la plus belle moustache du tieks, et sa nouvelle alliée, Catwoman, il doit résoudre des énigmes pour enfant de 4 ans et demi pour lever le mystère de l’identité de The Riddler.
Ça a l’air un poil ridicule ? En réalité, ça ne l’est pas. Du tout. The Batman est tout le contraire, il est une forme d’essai politique, anti-flics, qui remet les pendules à l’heure du privilège de classes.
Grandiloquence et brutalité
Si les énigmes que doit résoudre Batman feraient passer celles du père Fourras pour un examen de maths sup, les difficultés qu’éprouvent Bruce se trouvent ailleurs.
Dans cette mouture de Batman signée Matt Reeves, à qui l’on doit notamment La Planète des singes : Suprématie, ça n’est pas la difficulté de l’enquête qui prime, mais les tempêtes intérieurs de l’enquêteur.
Ainsi, pour progresser dans ses recherches, Batman doit fouiller dans l’histoire de sa propre famille, et réaliser qu’il a trop longtemps idéalisé son père, quand celui-ci trempait pourtant, lui aussi, dans le cloaque meurtrier de Gotham.
Et c’est sans doute pour ça qu’il est si bien, The Batman. Parce que sa grandiloquence est au service de son intimité, parce qu’il fouille l’âme de son héros et la tord jusqu’aux escarres.
À une heure où l’on humanise les « villains », comme dans Joker de Todd Philipps, il convenait d’assombrir les héros indéfectibles de la culture populaire. Adieu Bruce Toussaint, Bonjour Bruce La Menace.
Ce que sont parvenus à faire Matt Reeves et Peter Craig, son coscénariste, en enfonçant le couteau dans les plaies coronariennes du trouble Batman.
Dommage toutefois d’avoir sacrifié l’écriture de l’enquête principale sur l’autel de la mythologie du héros, d’autant qu’un film qui se loue sombre et barré ne peut se contenter d’un fil rouge sous forme d’empilement de clichés.
Dommage également de n’avoir offert à cette pauvre Catwoman (Zoë Kravitz) qu’une backstory digne d’un Star Wars au rabais.
Une Catwoman affublée d’une sexualisation ostentatoire, rappelant qu’en dépit des velléités de Matt Reeves à écrire un film de super-héros progressiste estampillé « auteur », on demeure bien dans un blockbuster qui doit faire baver tout le monde.
Catwoman, pourtant, est sans doute le personnage le plus prometteur de cette nouvelle saga, dont la violence émane d’abominables drames intimes. C’est par elle qu’on évoque notamment la perversité des hommes, les violences faites aux femmes, et le sempiternel patriarcat qui décidément officie aussi bien à Gotham que partout ailleurs.
Malheureusement, si on la découvre d’abord lesbienne, elle se retrouve vite à rouler des pelles à Batman, qui dans cette version, et à l’inverse de son héritage cinématographique, a tourné prude.
Attention, on ne dit pas que la bisexualité de Catwoman n’a pas lieu d’être, mais simplement que pour une fois, il eut été intéressant d’avoir un personnage féminin entièrement lesbien, et une absence d’histoire d’amour hétérosexuelle entre le protagoniste masculin et le protagoniste féminin du film.
The Batman et sa réalisation époustouflante
Mais si l’on oublie les pudeurs du film à vraiment embrasser son côté obscur, The Batman demeure un spectacle punk comme on en avait pas vu depuis The Dark Knight.
La caméra de Matt Reeves reste collée à la langue visqueuse et adhésive du bitume chauffé par les roues de la moto ou de la bagnole de Batman, comme un rappel que c’est sur le sol que rampe la vermine.
Dans un décor urbain qui n’a rien à envier aux volets signés Nolan, The Batman étourdit par la pluralité de ses plans, ses bastons époustouflantes — mention spéciale à la scène entièrement dans le noir où les visages ne s’éclairent qu’à la lumière des balles tirées et à la course poursuite en voiture où la Batmobile surgit des feux —, et sa mise en scène tantôt visuellement bruyante, tantôt visuellement épurée.
On évolue rapidement de 1 à 1 milliard sur l’échelle de grandeur de The Batman, et ce sont ces déroutes qui permettent un abandon total à une intrigue pourtant banale.
Évidemment, les héros et la vermine de The Batman ne seraient rien sans ceux qui les campent. À merveille.
Un casting irrésistible
Robert Pattinson, dont je trouve d’habitude qu’il a le charisme d’un maki concombre, éblouit par la mesure dont il se sert pour jouer un personnage au bord du gouffre, même si les accessoires de beau gosse emo dont on l’affuble (comme cette paire de lunettes noires digne de Billie Eilish dans ses mauvais jours) le rend profondément ringard avant l’heure.
Zoë Kravitz, à ses côtés, est une Catwoman parfaite, qui saute d’une violence à l’autre avec l’agilité d’un bengal.
Mais ce sont les seconds rôles qui achèvent de parfaire ce tableau punk du mythe de Bob Kane et Bill Finger, parmi lesquels John Turturro, EXTRAORDINAIRE John Turturro, dans le costume du libidineux Falcone et Colin Farrell, méconnaissable, dans celui du Pingouin.
Ces visages, enfermés à jamais dans la fresque bétonnée de Reeves, sont même parvenus à me faire oublier que, quand même, le thème musical de The Batman ressemble à s’y méprendre à la Marche impériale de Star Wars, mais bref on va faire comme si on avait rien entendu hein.
Et puis on fermera les yeux aussi sur la morale du film, digne des Miss France les moins inspirées, en mode : « en fait la vengeance ça sert à rien, c’est plutôt être gentil qui est gentil ».
Quoi qu’il en soit, je n’oublierai pas de sitôt l’image de Batman, comme un berger noir au flambeau sanguinaire, qui guide le peuple vers la lumière.
The Batman, c’est beau, et malgré tout, c’est bien. C’est même très bien.
Même si c’est clair que Robert Pattinson peut désormais, et pour toujours, oublier sa carrière d’influenceur shampoing.
Le seul avis qui compte est un podcast de Madmoizelle écrit et présenté par Kalindi Ramphul. Réalisation, musique et édition : Mathis Grosos. Rédaction en chef : Mymy Haegel. Direction de la rédaction : Mélanie Wanga. Direction générale : Marine Normand.
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