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Moi, moi et moi

La jungle du quotidien : rapports réciproques entre individus et espace

Cette semaine les gazelles, nous allons causer de quelque chose d’un peu différent, d’un sujet qui me tient à cœur et qui a hanté ma scolarité (et par la même occas’ défini ma branche actuelle) : les rapports réciproques entre individus et espace.

Comment interagissons-nous avec l’espace qui nous entoure ? Comment vivons-nous nos interactions quotidiennes au sein de celui-ci ? Bref : comment pratique-t-on l’espace ? Le précurseur en la matière fut E.T. Hall, qui suggérait dans La Dimension cachée que notre façon d’occuper un espace serait marqueur de notre identité et pourrait bien tenir de nos habitudes culturelles. Notre monde est rempli de conventions tacites, de règles qui régissent la vie sociale et nos interactions quotidiennes sans même que l’on y réfléchisse… L’espace est à la fois sociofuge et sociopète – les règles qui le régissent favorisent le contact tout en délimitant les distances entre individus.

Pour Goffman (autant que vous le sachiez : je voue un amour inconsidéré à ce sociologue-là) (certaines c’est Tim Riggins ou Yann Barthès, moi c’est Erving, et puis quoi ?)*, la territorialité, c’est-à-dire la façon dont nous pratiquons l’espace, s’organise autour d’un concept de droit (au sens juridique du terme) : disons qu’il y a un « bien » (ce que l’on veut), le « droit » (le titre de possession, d’usage, de disposition), « l’ayant-droit » (celui qui a le « droit »), « l’empêchement » (ce qui empêche l’ayant-droit d’exercer son droit), « l’appelant » (l’ennemi, celui qui menace le droit) et les « agents » (les représentants de l’ayant-droit et l’appelant).

En envisageant les choses sous cet angle, Erving Goffman identifie 8 « territoires du moi », 8 espaces différents que notre corps s’approprie et qui viendront moduler nos interactions…

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L’espace personnel

La portion d’espace qui nous entoure constitue une bulle personnelle, à l’intérieur de laquelle toute pénétration sans préavis peut enclencher un sentiment d’empiètement – ou du moins de déplaisir. Vous avez plus besoin de cet espace à l’avant du corps qu’à l’arrière, et généralement, si vous étendez les bras vers l’avant, ça constitue à peu près notre espace personnel. Celui-ci est largement influencé par nos cultures, nos habitudes locales : les espaces personnels ne seront par exemple pas les mêmes pour un français que pour un italien. Vous allez aussi vous acclimater en fonction des endroits où vous vous trouverez, des manifestations auxquelles vous participerez : vous râlerez beaucoup moins si quelqu’un se colle à vous pendant un concert que si un pecnot se plante à quelques centimètres de votre corps dans une rue déserte.

La place

La place représente un espace délimité auquel nous avons temporairement droit. Ça peut être une chaise, une cabine téléphonique, une table de pique-nique… A la plage, une serviette devient une place transportable. Dans un train, un accoudoir commun est une place à partager. En général, les places sont fixées par le cadre dans lequel nous nous trouvons, mais tu penses bien que les choses peuvent très vite se corser… Ainsi, en petits fourbes, nous pourrons chercher à empêcher les gens de s’approprier une place. Dans le tramways/train/bus, nous poserons innocemment nos sacs sur les places d’à côté, signalant aux personnes que ce siège-là, c’est un peu chez nous aussi. Ou nous détournerons les yeux lorsque quelqu’un cherche une place – ce qui ne sera qu’une manière de refuser de leur donner la « permission » de venir s’asseoir à côté.

L’espace utile

L’espace utile est le territoire situé autour et devant vous, auquel vous avez droit en raisons de besoins évidents… Par exemple, lorsque vous visitez un musée, il y a plutôt intérêt à ce que personne ne se mette entre vous et le tableau. Lorsque l’on aperçoit quelqu’un prendre une photo, on évite de passer dans le champ (sauf photobombing, EVIDEMMENT), ou alors on le fait le plus vite possible, la plupart du temps en s’excusant. Lorsque deux personnes discutent, nous aurons plutôt tendance à les contourner qu’à passer entre eux.

Le tour

Mes amis, c’est là qu’on tombe dans le truc qui cristallise toutes les tensions de notre culture française, le truc pour lequel tu peux aisément casser des dents à une personne âgée (qui fait semblant de ne pas avoir vu la queue)(BEN TIENS). Le tour, c’est l’ordre dans lequel l’ayant droit reçoit un bien, par rapport aux autres ayants droit. Vous me suivez ? En schématisant, c’est simplement ce qui fonde le droit à venir juste après la personne « de devant » et avant celle « de derrière ». Chez nous, ça fonctionne généralement avec le principe du premier arrivé, premier servi (excepté nanas enceintes, vieux & consorts – mais nous sommes vils et faisons semblant de ne pas les voir).

L’enveloppe

Autrement dit, la peau qui recouvre votre corps et par extensions, vos vêtements. Nos « territoires » de peau seront toutefois traités différemment selon les parties du corps… Globalement, tout le monde se fiche éperdument de se protéger les coudes, ce qui n’est pas le cas avec nos orifices, you know what Afida means.

Les territoires de la possession

Ce sont en fait tout l’ensemble d’objets identifiables à nous et disposés autour de notre corps, ce qui comprend nos effets personnels, nos vestes, nos sacs à main, le contenu de sacs, nos paquets… Nos enfants (huhu). Ces territoires nous appartiennent et selon des conventions tacites, si dans le train vous faites un tour aux WC, personne ne devrait venir titiller votre Ipod, quoi.

Les réserves d’informations

Ces réserves englobent l’ensemble de faits qui nous concernent et que nous ne souhaitons pas divulguer sans contrôle. On y trouve aussi le contenu de nos poches/sacs, en ce sens qu’ils peuvent contenir des faits qui concernent notre vie et dont on veut contrôler l’accès… Si jamais un jour ton petit frère a lu un bout de ton journal intime et su que tu ne vibrais que pour les cheveux blonds bébés de Barthélémy de la 5ème C, TU COMPRENDS.

Les domaines réservés de la conversation

Nous avons le droit d’exercer un contrôle sur qui peut nous adresser la parole et quand, comme nous avons le droit, lorsque nous sommes à plusieurs, de protéger notre groupe contre l’indiscrétion d’autrui… Les oreilles qui traînent peuvent être vécues comme des offenses, et la plupart du temps, lorsque notre voisine de train met la misère à son mec au téléphone, nous faisons consciencieusement semblant de ne pas écouter (semblant). Ces huit territoires, qui ont ceci de commun qu’ils varient tous en fonction de notre « contexte » social, viennent donc traduire des règles d’interaction, des conventions tacites de comportement… Ils pourront parfois être revendiqués par les individus à l’aide de « marqueurs », qui peuvent être qualifiés de « centraux » (lorsqu’on pose un objet au centre d’un territoire pour montrer qu’il nous appartient), « frontières » (une ligne séparant deux territoires adjacents, par exemple une barre sur la casse d’un supermarché), « signets » (signatures incrustées dans l’objet). En marquant un territoire, nous nous exposons aussi à l’offense potentielle : à la plage, si vous laissez un vêtement sur votre serviette lorsque vous partez nager, un adversaire pourrait venir « violer » votre territoire.

Les modes de violation (intrusion, empiètement, souillure, transgression…) peuvent s’effectuer de façons différentes, qui nous seront plus ou moins (in)supportables :

  • il pourra s’agir simplement de la position écologique d’un corps par rapport au territoire que vous désirez (quelqu’un qui vous barre le passage)
  • ou encore d’un corps lui-même, qui peut toucher et donc potentiellement souiller nos possessions
  • d’un coup d’oeil, d’un regard qui s’insinue, qui vient déranger votre intimité
  • d’interférences sonores, de bruits qui envahissent l’espace et s’imposent à nous (les gens qui parlent trop fort, les suppôts de Satan qui font profiter tout un wagon de la musique grésillante sortant de leur portable)
  • d’adresses verbales, que quelqu’un vous alpague ou s’invite dans votre conversation
  • d’excréments corporels (sentiment de souillure +++++), comme les crachats, les odeurs, la chaleur du corps (QUI apprécie de s’asseoir sur une chaise en sentant bien la chaleur du cul précédent, QUI ?)…

Ces violations constituent pour partie des offenses dites territoriales : quelqu’un/quelque chose va venir empiéter sur une réserve que vous revendiquez, et de ce fait faire obstacle à votre droit. Somme toute, alors même que les approches traditionnelles se centrent d’ordinaire sur les ayants droit et offenseurs potentiels, Goffman y ajoute le rôle de la situation, du contexte, en prenant le parti que tout participant à une interaction sociale cherche à éviter une violation des règles… Qui elles-mêmes sont amenées par les cadres dans lesquels le participant évolue.

* Ceci dit, Tim Riggins ne dormirait pas dans la baignoire, comme qui dirait.

Pour aller plus loin

? Aménagements matériels et symbolique de la marche urbaine, une réflexion sur les « territoires du moi » ? Un article retraçant et interprétant l’oeuvre de Goffman


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Les Commentaires

18
Avatar de Caliode
11 octobre 2011 à 20h10
Caliode
Haha J'ai fait une licence de psycho, avec un master de psychologie sociale... Un pêle-mêle !
Alors... Banco pour la motivation ? Tu en es où dans ce cursus toi ?

Ca doit être trop cool... Je ne suis qu'en L1, mais j'ai vraiment hâte d'en apprendre plus, là j'ai l'impression que ça fait un mois qu'on ne fait que des introductions...
Mais bon, je sais que les trucs chiants d'aujourd'hui sont utiles pour les trucs cools de demain (comme ce que toi tu fais par exemple) donc ouais, motivée ^^
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Voir les 18 commentaires

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