De la fourrure, à la Une sur madmoiZelle : quelle est cette incohérence ?!
Comment peut-on être LE premier média mainstream à avoir parlé de véganisme, à déconstruire les idées reçues autour du végétalisme dès 2012…
Et accepter à sa Une, en 2018, une vidéo montrant une chanteuse arborant un manteau d’hiver avec de la fourrure ?
Éthique et fourrure côté, pile
Pourquoi la fourrure choque ? Qui, en 2018, défend encore l’idée qu’il est OK de dépecer des animaux pour en faire des articles de mode ?
Merci Brigitte Bardot, qui a utilisé son aura médiatique au sommet de sa gloire pour faire la lumière sur le massacre des bébés phoques, les blanchons, chassés et tués pour récupérer leur sublime fourrure blanche.
Un blanchon, un bébé phoque avec sa fourrure
C’était les années 70, Bardot partait au Canada pour attirer l’attention du monde entier sur le commerce des peaux de phoques.
Et grâce à sa mobilisation, la France interdit la même année l’importation de ces peaux.
Cinquante ans plus tard, la Fashion Week de Londres bannit la fourrure de ses podiums pour son édition 2018. Splendide.
Éthique et fourrure, côté face
Bardot sur la banquise dans les années 70, c’était avant Internet, avant les réseaux sociaux, avant que chacun et chacune n’ait droit à une tribune du haut de ses retweets et de ses partages.
Je me demande comment nous commenterions aujourd’hui une mobilisation semblable à celle que mena Brigitte Bardot…
Au départ, elle s’insurge contre la pratique de la chasse aux phoques par les populations inuits, qui ont toujours chassé cet animal pour leur propre survie.
Certes, les Inuits chassent le phoque, mais ce n’est pas pour s’en faire des manchons fashion. Ils récupèrent tout sur l’animal, la peau, les os, la graisse, les huiles, et bien sûr la fourrure.
Depuis les années 60, les défenseurs des droits des animaux sont dans un bras de fer permanent avec les représentants Inuits, qui défendent leur mode de vie et leurs traditions.
Et d’un point de vue purement écologique, le débat est ouvert : les Inuits n’ont pas intérêt à ce que les phoques disparaissent, donc ils sont les premiers attentifs à la préservation de l’espèce. Leur prélèvement doit être raisonnable.
Si on leur interdit la chasse de ces animaux, on leur demande donc de changer leurs modes de vie.
Compte tenu du climat local, si on leur demande d’arrêter de chasser le phoque pour se nourrir et se vêtir, ça veut dire importer.
L’importation d’autres produits de consommation, dont de nombreux d’origine animale également, avec un bilan carbone sans doute beaucoup plus élevé qu’un phoque égorgé à quelques pas de chez toi.
Pas de cynisme ici, juste des questions posées en toute objectivité : l’éthique n’est pas une évidence.
Éthique et fourrure, en perspective
Revenons à la fourrure : tant mieux si l’Histoire nous a permis d’avancer plus vite sur ce sujet que sur d’autres, c’est toujours une victoire.
Je comprends qu’on dépèce une bête pour survivre à l’hiver, je ne comprends pas qu’on le fasse pour avoir l’air plus stylée sous les terrasses chauffées — une autre aberration écologique contemporaine !
Mais pourquoi seule la fourrure choque à ce point, alors qu’on peut en récolter certaines sans tuer l’animal ?
Ce qui n’est pas le cas du cuir, par exemple, beaucoup plus répandu que la fourrure, et qui pour le coup, ne peut pas être récupéré sans tuer le propriétaire de la peau.
Car le cuir, c’est la peau d’un animal, dois-je le rappeler ?
L’association PETA voulait montrer les conditions dans lesquelles la laine angora est récupérée sur les lapins. C’est évidemment cruel et douloureux, mais on peut voir que l’animal est vivant.
Je m’interroge : pourquoi c’est plus grave de porter de la fourrure que de porter du cuir ? Quelle est cette hiérarchie dans la souffrance que nos pratiques de consommation infligent au règne animal ?
Pourquoi le Street Style d’Aya Nakamura déclenche-t-il autant de commentaires choqués, dont certains particulièrement virulents, alors que de mémoire, aucun Street Style n’est cruelty free ?
Les sacs, les chaussures, les ceintures, tant d’accessoires et de vêtements contiennent du cuir, et personne ne s’en émeut.
Et la cohérence alors, madmoiZelle ?
Plusieurs commentaires dénoncent le manque de cohérence de madmoiZelle au sujet de la cruauté animale, mais justement, interrogeons notre cohérence collective.
Alors que des recettes de poulet frit ont leur place dans la ligne édito, que peu de monde s’interroge sur la composition et les méthodes de test des encres utilisées dans les Street Tattoo, qu’aucun Street Style ne peut se prétendre cruelty free…
Pourquoi devrait-on bannir la fourrure ?
Pourquoi « venez comme vous êtes », la devise des Street Style, devrait préciser « mais sans fourrure parce que c’est cruel » ? Alors que les fringues de fast fashion produites au prix du sang de milliers d’ouvrières bangladaises, ça c’est OK ?
C’est moins cruel quand ce sont des êtres humains qui souffrent et qui meurent ?
The True Cost, documentaire sur les coulisses de l’industrie de la mode, #DispoSurNetflix
Moi aussi, je suis en colère face à la fourrure (entre autres)
Je partage la colère viscérale exprimée par certains commentaires, qui dénoncent le manque de cohérence de la ligne édito de madmoiZelle sur ce point.
Rien ne me met plus en colère dans la vie que d’être face à des gens qui savent très bien à quel point l’industrie agro-alimentaire est destructrice pour la planète, cruelle pour les animaux, dramatique pour les populations locales directement touchées par cette exploitation de masse…
Mais qui ne changent pas leurs habitudes, parce que vous comprenez, « je peux pas me passer de fromage », ou « mais la viande c’est trop bon » et puis « c’est pas pratique de se passer de produits animaux ».
Vous savez, et vous n’agissez pas. Mais ça me met dans une rage folle. Et quand parmi ces gens, certains ont l’audace de me reprocher de manquer d’empathie ou de cohérence, je pète un câble.
Un lion tué, la planète s’émeut, mais 35 000 animaux tués CHAQUE SECONDE pour l’industrie agro-alimentaire, ça laisse indifférent ?
Comment se saper de façon éthique ?
Haro sur la fourrure, et mort à ceux et celles qui osent encore en porter en 2018, c’est ça le mot d’ordre ?
Pourquoi un tel déchaînement de colère contre un manteau, et tant de silence envers d’autres actes de consommation pourtant bien plus lourds de conséquences pour les animaux, les humaines, la planète ?
Vaut-il mieux porter un manteau de cuir et de fourrure produit localement, dans des conditions de travail décentes, avec un bilan carbone minimal, et qui va durer longtemps (car on reconnaîtra que le cuir a une très bonne durée de vie) ?
Ou vaut-il mieux porter un vêtement 100% végétal, quitte à ce qu’il ait été produit dans des conditions douteuses, qu’il ait fait trois fois le tour de la planète en avion ?
Où placer le curseur de l’éthique ?
Le curseur de l’éthique ne peut pas être celui de l’indignation populaire : notre émotivité collective n’est pas cohérente, justement.
Pire, céder à cette émotivité serait précisément trahir la cohérence de la ligne éditoriale de madmoiZelle, qui vise à faire réfléchir, ce qui veut parfois dire déranger, démanger, piquer.
Tant mieux si vous voyez la fourrure là où il n’y a pas si longtemps, on voyait un vêtement. Tant que vous voyez encore de la fourrure autour de vous, c’est que tout le monde n’a pas encore fait ce chemin.
Êtes-vous sûres que s’en prendre au messager est une bonne façon de contribuer à diffuser le message ?
Qu’arriverait-il à une Brigitte Bardot, aujourd’hui ?
Comment serait reçue aujourd’hui une star internationale, une blonde blanche bien française, qui irait au fin fond de l’Arctique ou de l’Amazonie, exiger d’une tribu locale qu’elle cesse ses us et coutumes parce que ça nous heurte, nous, Européens ?
Je pense qu’on lui demanderait de renoncer déjà à tous les éléments de son confort matériel qui polluent et contribuent à la destruction d’écosystèmes et donc d’espèces animales, avant d’aller faire la morale à une population qui vit dans son coin et respecte bien mieux l’équilibre naturel que cette star et ses bons sentiments.
Un peu comme ce qui arrive à madmoiZelle, bien souvent : on n’aurait pas le droit de choisir nos combats, et surtout, on n’aurait pas le droit de ne pas les mener.
Soit on parle de véganisme et on devient Véganie Mag, soit on peut avoir un Street Style avec un manteau de fourrure, c’est ça ?
Mais est-ce que nos détracteurs s’appliquent la même doctrine, je me demande ?
Pourquoi la fourrure choque plus que la viande ?
Il est temps de répondre à la question posée par le titre : pourquoi est-ce que la fourrure choque plus que la viande ?
Parce que la fourrure, c’est le vice de l’autre. J’ai pas les moyens de me payer un manteau de fourrure, donc il est d’autant plus facile pour moi d’en dénoncer les conditions de production.
Ben oui, moi aussi j’ai commencé mon militantisme écolo par lutter contre la fourrure sur les podiums : c’est une évidence, et c’est facile !
La viande, elle, était dans mon quotidien, dans mon frigo, dans mon assiette, au menu de mes resto.
La viande était dans ma vie, dans la palette de mes choix : c’était difficile de me dire que je prenais ma part de responsabilité dans ce massacre tant que je continuais de faire ce choix.
Alors j’apaisais ma conscience en me persuadant que je n’avais pas le choix, justement, parce que manger sans produits animaux, c’est cher… alors que non. C’est compliqué : oui, c’est plus compliqué.
Et c’est juste ça la différence entre la fourrure et la viande : il est plus compliqué de changer ses propres habitudes que de dénoncer celles des autres.
La meuf qui porte un manteau de fourrure, c’est OK de lui rentrer dans le lard parce que si elle a les moyens de se payer ça, alors c’est qu’elle a des moyens que je n’ai pas.
Et ça me met en colère de voir des gens qui ont plus de moyens que moi ne pas les mettre au service d’un monde meilleur. Pire, les voir contribuer à un système qui devrait changer, parce qu’il est en train de tous nous tuer.
La fourrure choque plus que la viande parce que la viande nous renvoie à notre propre impuissance, celle qu’on se crée pour mieux cacher notre lâcheté à nous-mêmes.
Je mange des animaux morts mais je ne les porte pas, alors je critique librement
De la cohérence éditoriale de madmoiZelle
madmoiZelle n’est pas une personne, elle n’a pas à montrer l’exemple, et surtout pas à se poser en exemple irréaliste.
madmoiZelle est un site d’information et de divertissement, fait par des êtres humains, perclus de défauts, d’imperfections, de paradoxes et de contradictions.
madmoiZelle a pour but de donner à réfléchir, de nourrir les questionnements de celles et ceux qui la lisent, pas de leur servir une pensée pré-mâchée, prête à digérer.
On y parle de véganisme et de végétarisme depuis des années, non pas pour vous dire « faites ça », mais pour vous suggérer d’y réfléchir.
À lire aussi : Cowspiracy, le docu qui m’a fait devenir végé du jour au lendemain
Il n’y a pas d’absolu dans ces articles, parce que personne ne détient de vérité.
Est-ce qu’il vaut mieux manger les œufs des poules de ton jardin, ou un tofu fumé produit en Allemagne, expédié par camion frigorifié jusqu’à ta campagne du sud-ouest de la France ? Emballé dans du plastique, je précise ?
Que celui ou celle qui détient le guide de l’éthique irréprochable s’empresse de le partager dans les commentaires ! Mais en précisant dans quelles conditions ont été produits et assemblés les composants de l’ordinateur qui lui sert à les poster…
L’éthique n’est pas un diplôme que l’on accroche fièrement au mur de sa chambre, et la cohérence n’est pas un acquis figé.
C’est un processus, un questionnement permanent, un curseur qui se déplace à mesure que l’on a accès à l’information, que l’on accepte ce que l’on apprend, et qu’on l’intègre à ses gestes de consommation.
Ceux qui agissent ont toujours tort
Les valeurs de madmoiZelle, c’est de ne pas juger les gens, de donner à réfléchir et pas de dire quoi penser. Ça n’est pas de faire la morale aux autres parce qu’on est persuadé de détenir soi-même la vérité.
La cohérence ce n’est pas de dire un jour « venez comme vous êtes », lutter contre toutes les formes d’injonction, mais faire des exceptions au gré des sensibilités de la rédac ou de ses lectrices.
La cohérence dicte de ne pas tomber dans l’hypocrisie.
Et laisser toutes les meufs présenter des accessoires ou vêtements à base de cuir dans tous les Street Styles, entre deux recettes de poulet frit, mais pas la fourrure parce que ça choque, c’est hypocrite.
Yes, traiter une meuf de « vieille tchoin » : cohérence éthique irréprochable (non).
Tremblez carnistes de tous pays, c’est à vous que ce message s’adresse… (J’espère pour son auteure qu’elle est turbo-végane, du coup, sinon c’est un peu maso.)
En toute impunité, oui : madmoiZelle n’est ni la fashion police, ni la vegan police.
Je ne sais pas de quelle autorité je disposerais pour sanctionner un port de fourrure dans un Street Style !
Oui, il y a déjà des articles sur la fourrure sur madmoiZelle. La « politique éditoriale » n’a pas 2 visages, elle a tous les visages de toutes les contributrices au magazine.
Certaines sont véganes d’autres non, certaines portent des cosmétiques cruelty free d’autres non, certaines sont minimalistes d’autres non, certaines sont engagées au service de plusieurs causes et d’autres non.
Et toutes respectent ça chez les autres : mes choix ne sont pas une critique des tiens. Tant mieux si mes choix t’amènent à t’interroger sur la cohérence des tiens, tant pis si c’est pas le cas.
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