– Article du 7 mai 2015
Je suis un accident entre ma mère et mon père. Ils se voyaient seulement de temps à autres. Quand ma mère est tombée enceinte, mon père n’a pas accepté. Je n’avais donc pas de père, et pour être honnête ça ne m’a jamais vraiment perturbée étant petite. J’avais ma mère et ma sœur (je nous prenais pour les trois sœurs Halliwell avec des pouvoirs magiques), et ça me suffisait même si j’avais bien compris le décalage que j’avais avec les autres.
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Savoir d’où l’on vient…
Puis un jour ma mère rencontra un homme et décida de partir vivre à la campagne tandis que ma sœur, plus vieille de onze ans, restait vivre à Paris. Je suis entrée dans l’adolescence, et les choses se sont mal passées. J’ai décidé de partir en internat. Là, loin de ma sœur, en froid avec ma mère, j’ai commencé à penser à mon père.
Vous savez comment se déroule souvent l’adolescence, c’est une période de notre vie où l’on se cherche, où l’on veut découvrir qui on est… C’est ce que je voulais : je voulais savoir d’où je venais, qui j’étais, ce qui me plaisait… Et pour cela, il fallait que je rencontre mon père.
À cette époque je ne connaissais pas encore Facebook. J’avais 15 ans, j’étais donc à l’internat et j’allais passer mon brevet. Je me souviens que j’étais tout excitée parce que ma mère m’avait offert un portable à Noël. Ce portable m’a permis de me rapprocher de ma sœur L, qui me manquait énormément. On s’est mises à discuter par sms, et je lui ai parlé de mon envie de rencontrer mon père.
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Un début difficile
Ma mère, à qui j’en ai également parlé, était totalement fermée à cette idée. Pour elle, j’étais « trop jeune » et « trop fragile ». Elle répondait toujours vaguement à mes questions, sans jamais me donner de détails.
Et puis un jour ma sœur m’a posé cette question qui allait bouleverser toute ma vie :
« Ça te plairait d’avoir une deuxième sœur ? »
Elle m’a expliqué qu’après les conversations qu’on avait eues, elle avait fait des recherches sur mon père, et avait trouvé que j’avais une deuxième grande sœur. Pour moi, c’était génial. J’étais toute excitée à l’idée du changement que ça impliquait.
Je ne le savais pas encore mais L. avait déjà tout préparé. En effet, grâce aux nouvelles technologies, elle avait seulement eu besoin de taper le nom et le prénom de ma sœur pour que Google lui affiche son compte Facebook. Elle est ainsi entrée en contact avec elle pour s’assurer que c’était la bonne personne sans passer pour une folle. Et ça a marché : c’était bien elle. Facebook m’a permis de retrouver ma famille.
Il s’est avéré que mon autre sœur M. n’avait aucune idée de mon existence non plus. Mon père ne lui avait jamais parlé de moi. L. a organisé une première rencontre entre elle, M. et mon père. Elle voulait s’assurer qu’ils étaient des gens bien avant que je les rencontre.
La rencontre
C’est le 28 mai 2009 que j’ai finalement rencontré mon père et ma sœur M. J’étais extrêmement stressée. Je n’arrivais pas à réaliser que ça allait enfin arriver, et tout ça dans le dos de ma mère. J’étais à un tournant décisif de ma vie et je flippais complètement. J’avais vu une tonne de films ou de séries où des jeunes filles comme moi rencontraient leurs pères. Ça se passait toujours très bien, mais j’ai vite compris que ça n’était pas la réalité. Parce qu’en réalité, c’est beaucoup, BEAUCOUP plus compliqué que ça !
Mon père a été adorable et ma sœur aussi. Mais c’est moi qui me suis bloquée, surtout avec mon père. C’était comme si mon cerveau n’arrivait pas à faire la mise à jour. Il a fallu des années pour que je lui fasse confiance. On ne peut pas avoir un père comme ça du jour au lendemain, c’est impossible. Il faut une période d’adaptation ! Ma sœur M. m’a beaucoup aidée pour l’accepter.
Elle avait donc appris mon existence sur Facebook quand L. lui avait écrit. Elle a bien réagi, je pense parce qu’à cette époque elle avait 21 ans et qu’elle était déjà mature. Sa mère ne se préoccupait pas d’elle, elle n’avait donc eu que notre père comme parent. Et quand on est petit•e et qu’on a un seul parent, on lui est doublement attaché•e et donc aussi très possessif•ve – pas question que le parent restant se détache de nous. Je pense que si j’avais rencontré mon père plus tôt, ça ne serait pas passé de la même manière, il y aurait eu beaucoup de jalousie.
Mais à 21 ans, elle avait déjà plus de recul, et on s’est tout de suite bien entendues. On avait presque les mêmes goûts en matière de séries, films, vêtements… Cela nous a permis de vite créer des liens.
Mon père a quant à lui accepté de me rencontrer parce que malgré ses mauvais choix, c’est quelqu’un de bien. Il a élevé ma sœur du mieux qu’il a pu. L. avait envoyé des photos de moi via Facebook, et ça l’a énormément touché de voir son autre fille grandir sans lui. Il m’a raconté que quelques années après ma naissance il avait eu des remords, mais il avait peur que ma mère n’accepte pas qu’il revienne. Puis il a appris que nous avions déménagé, alors il a perdu espoir de me retrouver.
Mais le connaître a été compliqué. Il m’a expliqué qu’il était parti avant ma naissance car à ce moment-là, il passait au tribunal pour obtenir la garde de M. Il avait beaucoup de stress et de pression dans cette période de sa vie ; comme il n’y avait rien de sérieux entre ma mère et lui, il est parti.
Avec le recul, je peux comprendre qu’il ait pris cette décision. Il ne prévoyait pas d’avoir d’autre enfant, il ne voulait pas rester avec ma mère, et c’était pour lui une période très délicate – la situation avec la mère de M. était très compliquée. Cependant j’ai eu beaucoup de mal à accepter cet abandon, surtout que par la suite j’ai appris que M. et moi avions été dans la même école primaire. Ça m’a vraiment mis un coup : je me suis dit que j’avais pu croiser mon père et ma sœur tous les jours sans le savoir.
Et puis j’ai eu d’autres problèmes familiaux du côté de ma mère, et mon père m’a beaucoup aidée. Il a su me donner de bons conseils sur la façon de gérer la situation, et ça nous a permis d’avancer tous les deux dans notre relation. J’ai réussi à lui faire confiance.
Quand ma mère l’a appris, elle n’a d’abord rien dit. Je pense qu’en réalité elle avait très peur. Peur que je me détache d’elle qui avait tout donné pour moi quand j’étais petite. On a beaucoup discuté, je lui ai expliqué que j’en avais besoin et que je l’aimerais toujours autant. Elle a accepté, et si ça n’a pas toujours été facile, elle a su pardonner à mon père. On est même allés manger au restaurant un jour tous les trois, et ça s’est bien passé même si c’était une situation vraiment particulière.
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Et maintenant ?
J’ai 21 ans, et ma sœur M. 26. Cela fait maintenant un an et demi que notre père est décédé d’un cancer. C’est très difficile, je suis en colère après les médecins qui ne l’ont pas sauvé, après ce foutu cancer, et après moi-même (et surtout moi-même). Je m’en veux d’avoir mis tant de temps à m’ouvrir à lui…
Je n’ai parfois vraiment pas été sympa avec lui. Je le regrette vraiment, et je dois vivre avec le fait que j’aurais pu profiter plus de mon père mais que je ne l’ai pas fait. Je ne me suis pas rendue compte de la chance que j’avais. Certains pères ne veulent jamais rencontrer leurs enfants, et le mien m’avait acceptée.
Mais j’ai pu avoir un père pendant presque cinq ans de ma vie et rencontrer toute une partie de ma famille grâce à Facebook. Ça n’aurait jamais été aussi rapide d’une autre manière, et dans ma situation le temps était précieux. Alors merci à mes sœurs et à Facebook.
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– Mise à jour du 6 novembre 2016
Cela fait trois ans que mon père est mort. Ça n’a pas été facile, le pire étant de devoir reprendre ma vie, de retourner en cours, passer mes partiels. J’étais éloignée de ma famille mais ça m’allait : j’en avais besoin pour faire mon deuil. Rien ne me rappelait mon père là où j’étais, aucun souvenir ; personne ne l’avait jamais vu, rien ne pouvait me le rappeler sans que je ne le veuille.
J’étais à l’abri et ça m’a aidée. Ça me donnait l’impression d’avoir un minimum de contrôle sur la douleur que je ressentais.
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Quand tout est bouleversé
J’ai songé à arrêter mes études : ça ne me convenait plus, je ne m’y retrouvais plus. Mais j’ai rapidement abandonné cette idée, parce que malgré tout elles étaient ma bouée de sauvetage pour éviter de couler. Ça me donnait des choses à faire, des gens à voir, ça meublait mes journées ; en gros ce qu’il me fallait pour survivre à cette « étape de la vie ».
Mes ami•es m’ont beaucoup aidée, nous n’en parlions pas mais ils/elles étaient présent•es et c’était l’essentiel à ce moment-là.
Je ne voulais pas en parler, parce qu’il n’y avait pour moi rien à dire. Personne ne sait d’ailleurs quoi dire face à ce type de nouvelle, ça met juste un gros malaise et on te regarde avec ce regard désolé mêlé à la gêne d’avoir l’impression de mettre les pieds dans le plat. Mais il n’y avait rien à dire, c’était comme ça, il n’y avait pas de retour en arrière possible. Il est mort, c’est cru et c’est dur, mais c’est la réalité. Qu’est-ce qu’on peut rajouter à ça ?
Regrets et colère
Parfois, j’avais envie de hurler, j’étais tellement énervée après moi et après la vie, je ne comprenais pas pourquoi les choses avaient virées au cauchemar de cette manière. Et comment j’avais pu ainsi gâcher les quatre années où j’avais un père, mon père. D’avoir mis autant de temps à avoir confiance en lui et surtout à lui pardonner.
Certaines personnes m’ont dit qu’au contraire je devais me réjouir d’avoir pu le connaître pendant quatre ans, que c’était mieux que rien du tout, que j’aurais pu ne jamais le rencontrer. Et c’est vrai, mais la douleur était encore trop forte pour que je l’entende.
Gérer sa douleur
J’ai réussi à obtenir mon diplôme et je suis partie en Erasmus pendant un an : j’avais encore besoin de temps pour moi, seule, afin de guérir, et pour ça d’aller encore plus loin dans un autre pays. Juste avant de partir, deux solutions s’offraient à moi : soit je laissais la douleur m’enfoncer ou soit je m’en servais pour m’en sortir.
J’ai choisi la seconde option et ce fut la meilleure de mes années d’études : j’en ai profité et je me suis amusée autant que je pouvais. Ça m’a fait du bien. C’est nous-mêmes qui décidons comment gérer notre douleur, si on la laisse nous empoisonner l’existence ou si on s’en sert pour être plus fort•e. Ma douleur n’a pas disparue, elle est toujours là, mais j’essaye de la contrôler au mieux.
Ne pas en parler ne fut cependant pas ma meilleure idée : j’aurais dû le faire pour évacuer toute la colère que j’ai refoulée en moi et qui me gâche parfois la vie. J’ai essayé de parler à des psychologues de tout ça, mais je n’ai pas réellement accroché avec eux.
Je ne me considère donc pas comme quelqu’un de particulièrement courageux, j’ai fait ce que j’avais besoin pour survivre. Peut-être pas de la meilleure manière, mais comme j’ai pu.
Les rapports compliqués avec la famille de mon père
J’aimerais vous dire que j’ai surmonté cette épreuve et que tout va mieux maintenant, mais ce n’est pas le cas. La famille de mon père — que je connaissais peu, voire pas du tout en dehors de ma sœur — n’a pas compris cette prise de distance. Ils ont pris cela comme si je n’en n’avais « rien à faire ». On ne se connaissait pas vraiment et je peux comprendre que l’absence de contact ait pu leur faire penser une telle chose.
La succession (l’héritage, la répartition de ses biens) n’aidant pas, elle me place dans une position compliquée, opposée à ma sœur — position que je n’ai pas choisie mais qui m’est imposée. Je ne rentrerai pas dans le détail, mais croyez-moi, la situation n’est facile pour personne.
Autant vous dire qu’avec toutes ces charmantes histoires, la relation avec ma sœur en a pris un sacré coup, au point qu’on ne se parle presque plus. J’aurais voulu que les choses soient différentes pour elle et moi, qu’on puisse s’en sortir ensemble, mais ça été tout le contraire.
Je suis cependant en contact régulier avec un de mes oncles : on apprend à se connaître, ça se passe bien et c’est exactement ce que je souhaite.
J’espère par la suite reprendre contact avec d’autres membres de ma famille et m’intégrer maintenant que je suis prête.
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Les Commentaires
J'ai retrouvé mon père à 16 ans, mais ma mère était avec moi. J'ai aussi rencontré une grande soeur qui ne connaissait pas mon existence et je sais que j'ai un grand frère (qui lui ne sait pas que j'existe!) Je l'ai rencontré et eu au téléphone peut-être 7 fois mais ça fait 2 ans et demi, 3 ans peut-être que je n'ai pas de nouvelles! Merci à sa nouvelle femme, qui n'accepte toujours pas ma présence...
Alors oui, j'étais aussi un accident et mon père ne voulait pas d'enfants, certes. J'ai compris et pardonné (parce que choix libre ou pas, pour la progéniture c'est difficile) mais je ne comprend ni ne pardonne le nouvel abandon. Oui, le mot "abandon" est employé sciemment. On peut se poser la question du choix de la mère seule qui n'inclut pas le père mais déjà, toute femme fait ce qu'elle veut de son corps, ensuite, comment, dans l'imaginaire d'un.e enfant, d'un.e adolescent.e même de la jeune adulte que je suis aujourd'hui, comment accepter que l'homme qui vous a donné la vie ne soit pas à vos côtés? Comment réussir à rendre clair dans notre esprit ce que l'on est pour cette personne si elle ne vous donne pas de réponse en se cachant derrière sa femme et en affirmant vous aimer? On doit penser quoi d'autre que "il m'a abandonné"?
Alors on fait avec, enfin, chacun gère ça à sa manière plutôt, mais on vit quand même. J'ai la chance d'avoir une mère et une grand-mère qui m'ont élevé avec une éducation respectueuse de tous et toutes et d'avoir une grande soeur du côté de ma maman (12 ans de différence, cette histoire est pleine de similitude!), qui a toujours été là!
C'est un roman, j'en suis désolée mais en fait, ça fait tellement du bien de voir des histoires comme la sienne même si je ne souhaite rien de tel à personne (mais nan, ce n'est pas une fatalité non plus