Nous sommes en 2021, et en France, la liste des interdits, quand on est une femme qui porte le voile, ne s’arrête pas. Menacées d’être empêchées d’accompagner des sorties scolaires, les femmes qui portent le voile sont aussi interdites de compétition officielle sur les terrains de foot, malgré l’autorisation de la FIFA.
Une « exception culturelle » portée par la Fédération française de football.
En compétition officielle de foot, le port du voile est interdit en France
Founé est passionnée de foot depuis son plus jeune âge. En 2015, motivée par la coupe du monde féminine de football, elle décide de passer des matchs amicaux à des entraînements plus poussés. Quand elle s’inscrit dans un club de football en Île-de-France, elle garde son voile pendant les entraînements sans que cela ne pose problème ou n’interroge : elle n’est pas au courant de l’interdit règlementaire en compétition.
Puis vient le jour de son premier match officiel. Avant le premier coup de sifflet, l’arbitre vient voir la jeune femme, et lui impose une fin de partie avant même de l’avoir commencée : il lui explique qu’il est interdit en France de jouer en portant un voile, et qu’elle n’a que deux choix — l’ôter, et pouvoir jouer, ou le garder et rejoindre le banc.
Pour les joueuses de foot voilées, des situations humiliantes
Au-delà de la frustration de ne pas pouvoir jouer un match pour lequel on s’est entraînée et préparée, l’évènement a tout de l’humiliation pour Founé, qui raconte :
« L’arbitre est venu me voir et m’a dit “il faut que tu l’enlèves”. J’ai refusé, mais mon coach a insisté… Je crois qu’il ne comprenait pas : il avait l’impression que c’était logique que je fasse ce “sacrifice” pour l’équipe, ou peut-être que je ne saisissais pas ma chance de jouer ? Ensuite, il s’est mis en colère.
Je leur ai tenu tête, et suis allée prendre place sur le banc. Après le match, mon entraîneur a continué à m’en parler, à insister devant toute l’équipe, et l’humiliation a continué… J’étais la seule qui portait le voile, mon entraîneur ne comprenait pas ma position, et personne ne pouvait vraiment prendre ma défense. »
Un souvenir de discrimination qui reste vif dans l’esprit de la jeune femme.
« Porter le voile en France, et vivre ce genre de discrimination, ça crée des divisions et un mal-être profond pour beaucoup de femmes. Après m’être vu refuser le droit de taper dans un ballon, la question m’est restée en tête. À chaque envie, on se demande “Est-ce que j’ai le droit ?” »
Les Hijabeuses, une campagne pour lutter contre cette injustice
Pour lutter contre cette injustice, la campagne Les Hijabeuses a été créée par l’association Alliance Citoyenne. Karthoum, membre du comité directeur et responsable de la communication des Hijabeuses, explique :
« Les Hijabeuses réunit des joueuses concernées, et celles et ceux qui souhaitent s’unir et lutter contre cette discrimination.
Nous sommes une cinquantaine, et beaucoup de membres du comité directeur ont vécu cet interdit : venir le jour du match, s’échauffer, s’entraîner, portent un voile sportif spécifique… Et au moment du match, l’arbitre vient les voir et veut les contraindre à ôter leur voile alors qu’elles paient leur licence et ont le droit de jouer, comme tout le monde. »
Pourtant, la FIFA (Fédération internationale de football association) autorise le port du voile sur les terrains depuis 2014. Lors de cette annonce, la fédération française avait réagi en réaffirmant cet interdit dans l’Hexagone, sous couvert de « laïcité ». Le communiqué avait à l’époque été repris dans Le Monde :
« En ce qui concerne la participation des sélections nationales françaises dans des compétitions internationales d’une part, ainsi que l’organisation des compétitions nationales d’autre part, la Fédération française de football rappelle son souci de respecter les principes constitutionnels et législatifs de laïcité qui prévalent dans notre pays et qui figurent dans ses statuts. »
Malgré l’avertissement de la FIFA qui avait suivi cette déclaration, 6 ans plus tard, la situation ne semble pas avoir évolué… au détriment des joueuses : « Si demain j’ai envie de jouer à un plus haut niveau, je n’ai pas envie d’avoir peur, et de me dire “Je vais devoir choisir entre mon voile et jouer” », déplore l’une d’entre elles.
Les talents doivent s’épanouir en dehors des circuits officiels
Après cette interdiction, Founé a cessé de jouer en compétition officielle. Pas tant à cause de l’évènement, mais parce que son parcours scolaire l’a menée ailleurs, et sa passion pour le football l’a suivie. Elle a continué à
s’épanouir en tant que joueuse, en dehors des compétitions officielles.
« Quand je suis arrivée à Science Po, je suis sortie des circuits officiels. Le contexte international de l’école faisait que le voile n’était même pas une question. J’ai pu développer mes compétences, je suis devenue capitaine, c’était hyper agréable.
Après ça, je suis allée en Afrique du Sud et je me suis entraînée avec une équipe universitaire. Il n’y a jamais eu de remarques sur mon voile. »
À son retour en France, elle rejoint les Hijabeuses dès les débuts de la campagne et en devient co-présidente. C’est à ce moment qu’elle réalise que ce qu’elle a vécu n’est pas un acte isolé, mais un interdit qui pèse sur de nombreuses femmes.
« Je ne savais pas que ce phénomène avait autant d’ampleur. Moi, j’avais vécu ma discrimination et j’étais presque passée à autre chose. Mais en rencontrant toutes les femmes qui ont rejoint la campagne, j’ai réalisé qu’il était temps de faire évoluer les choses, et ne pas se laisser faire.
Nous sommes des femmes françaises, nous avons des droits, et nous sommes légitimes à vouloir les faire respecter. »
La campagne associative agit désormais sur de nombreux plans : en organisant des matchs et des tournois avec d’autres associations de football, pour permettre aux joueuses de s’épanouir tout en donnant de la visibilité à leur cause, mais aussi en constituant un dossier à amener aux yeux de la Fédération française de Football, pour espérer faire changer la donne.
En parallèle, elles créent des vidéos et des supports de communication pour attirer l’attention sur cette injustice.
Les femmes, le hijab et le football : une stigmatisation complexe
Être une femme footballeuse porte son lot de stigmatisations en France. De la part de certains spectateurs, qui « rationalisent » leur désintérêt sexiste pour le football féminin, mais aussi par un biais social qui lie l’image de ce sport à la masculinité. Founé l’explique en ces termes :
« En France, une femme qui joue au foot, est forcément un “garçon manqué”, ce n’est pas féminin. C’est comme si ce sport appartenait aux hommes, et qu’en tant que femme, il fallait justifier le fait qu’il puisse nous passionner aussi. C’était très différent en Afrique du Sud, où les footballeuses sont beaucoup moins stigmatisées. »
À cette forme de sexisme s’ajoutent les préjugés auxquels on est exposée quand on est une femme, musulmane, qui porte le hijab. Elle poursuit :
« En France, il y a une vision très étroite et limitée de ce qu’une femme qui porte le voile peut faire. Qu’elles sortent de chez elle et aillent jouer au foot, pour certains, c’est déjà quelque chose d’étonnant. Ils s’imaginent que la religion, le fait de porter un voile nous enferment, et ne nous permettent pas de nous émanciper, alors notre situation leur semble paradoxale.
Or, cette règle, en plus de nous empêcher de jouer, a aussi pour conséquence de perpétuer cette représentation : nous ne correspondons pas à ce stéréotype de femme qui porte le voile et qui est soumise, et nous sommes passées sous silence. »
De nombreux soutiens aux Hijabeuses, et un public réceptif
En un an, la campagne a rapidement gagné en visibilité et en échos dans la presse. Founé et Karthoum l’affirment, les Hijabeuses reçoivent beaucoup de soutiens et de retours positifs ! La sensibilisation qu’elles opèrent fonctionne, et le grand public prend connaissance de la situation. Pour Founé, le tableau est encourageant :
« Depuis que j’ai rejoint les Hijabeuses, j’ai vu les choses évoluer. J’ai vu des gens qui n’étaient pas du tout au courant de cet interdit en prendre conscience, et qui étaient complètement scandalisés. Il y a eu un véritable intérêt médiatique pour la question, et ça montre que c’est un problème de société, qui cristallise des questions importantes aujourd’hui en France. »
Au prix, parfois, de devoir subir des déferlements de commentaires racistes et d’islamophobes, comme sous ce reportage vidéo du Bondy Blog partagé sur Twitter…
Mais pour Karthoum comme pour Founé, il est nécessaire de s’exposer au public pour pouvoir de créer un dialogue. Founé l’affirme :
« Quand je vois ces commentaires sous cette vidéo, je m’interroge : comment est-ce qu’on peut parler avec ces personnes, et leur expliquer que porter le voile et être une femme émancipée n’est pas contradictoire ? Je pense que c’est grâce au dialogue que l’on pourra leur montrer qu’elles ont tort. »
Du côté de la Fédération française de Football, il n’y a pas encore eu de réponse. Mais grâce à leurs soutiens, les Hijabeuses espèrent très bientôt ne plus avoir à lutter pour leur droit à vivre pleinement leur passion pour le football, et à jouer à tous les niveaux.
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