Ceci est une retranscription de la lettre d’Edouard. Pour retrouver la version qu’elle a lue et commentée, écoutez l’épisode sur toutes les plateformes d’écoute (Spotify, Deezer, Apple Podcasts…)
Attention ! Dans cet épisode, il est question de tentative de suicide, d’agression sexuelle et de viol. Si ces sujets sont sensibles pour vous, lisez et écoutez avec prudence. Des ressources seront proposées dans la description.
Cher ex,
Je ne compte plus le nombre de lettres que je t’ai écrites sans jamais te les envoyer, car j’ai toujours été incapable de te dire tout ce que je pensais de toi en te regardant dans tes yeux si rieurs, irrésistibles. Du bleu céruléen piqué de nervures d’or.
Même cinq ans après notre rupture, je ne sais toujours pas leur résister. C’est une question qui m’a toujours taraudé d’ailleurs : comment peut-on cesser de désirer quelqu’un qu’on a tant aimé ?
Même cinq ans après notre rupture, quand je recroise tes yeux, c’est toute notre vie commune qui défile.
De notre première rencontre au musée, jusqu’à ce que les vigiles nous chassent. On s’est réfugié dans un bar, où j’ai tenté de noyer ma timidité dans quelques centilitres de Chardonnay. C’est dès ce premier date que tu m’as dit texto être séropositif au VIH, avec une charge virale indétectable. Sereinement, je t’ai répondu d’emblée : « donc tu es intransmissible : ton traitement nous protège tous les deux ». J’étais calé sur le sujet, et toi rassuré de constater que je n’avais même pas sourcillé.
À peine quelques jours plus tard, je t’ai invité à un vernissage d’étudiants pédants, avant de t’embrasser dans une cage d’escalier. De là, on ne s’est plus quitté, toi, toujours à faire le zouave, qui prenait tout mon champ de vision. On s’est bécotés dans les moindres recoins arty de Paris, pendant quelques semaines, jusqu’à ce qu’on couche ensemble en plein après-midi, profitant de l’absence de ton coloc aigri. C’est la première fois que je fais l’amour. Avant, ce n’était que du sexe par politesse. Avec toi, c’était violent de tendresse. À fleur de nerf. Dans tes yeux bleu velours, je ne savais jamais si c’était toi ou moi qui frissonnais.
Alors que je n’avais su répondre qu’un timide « merci » à ton premier « je t’aime », il aura fallu que tu te trouves à Saint Denis le soir des attentats du 13 novembre 2015 pour que je réalise ô combien moi aussi.
Après ce vendredi noir de sang, on a passé un week-end passé enfermé au seuil de l’horreur, dans une capitale en deuil, le cœur au bord des lèvres.
Les semaines s’enchaînent ensuite, et je reste inquiet, toujours plus émotif, et tu me répètes régulièrement d’arrêter de pleurer pour rien. Mais c’est un tout autre spectre que celui des attentats qui me taraude alors, je commence à ouvrir les yeux sur ta consommation d’alcool et de drogues.
À force de te croire indétectable, tu devenais de moins en moins discret, mais aussi de plus en plus violent. Verbalement d’abord, et puis quelques rares fois où tu insistais un peu trop pour avoir des relations sexuelles, et que m’entendre dire non ne suffisait pas à te calmer, que j’avais peur de ne pas savoir gérer tes colères. Alors, je faisais tout pour que ça se termine vite, puis je ne fermais pas l’œil de la nuit.
J’ai cessé de pleurer, arrêté de te trouver des excuses, et me suis contenté d’insister pour que tu consultes un psy, te fasse aider, car je n’avais pas signé pour être ton infirmier. Une distance a commencé à grandir entre nous, je me suis réfugié dans le travail, seule chose que je pouvais alors contrôler, pendant que tu commençais à disparaître de plus en plus régulièrement, 1 ou 2 jours sans donner aucune nouvelle.
Alors que je pars voir ma meilleure amie à Manchester pour tenter de me réconcilier avec elle qui trouve que je la néglige depuis notre mise en couple, tu ne réponds plus au téléphone pendant 2 jours, aucun de tes amis ne sait où tu es, pas même ton coloc.
Le 3e jour, tu finis par répondre, en prenant ton adorable voix d’enfant pris en faute, alors que j’ai passé tout mon week-end à me ronger les sangs. Même au bout du fil, j’ai l’impression de sentir la douceur annihilante de tes yeux azur.
En réalité, quand je te retrouve à Paris, tu as le regard brumeux, et t’adonnes désormais à ta nouvelle lubie : des tripes au LSD qui durent parfois plusieurs jours, quand tu ne te shootes pas par des gorgées de DXM, un sirop contre la toux détourné en dissociatif. Au bout de 2 ans de relation, je commençais à connaître la chanson : fouiller tes poches, jeter aux chiottes les sirops pour la toux, la tequila et les cartons de LSD.
Le comble, c’est que c’est toi qui m’as plaqué, par téléphone, parce que tu ne supportais pas l’idée de ne pas être à la hauteur. En 3 ans de relation, j’avais essayé 3 fois auparavant, et les 3 fois, tu m’avais rattrapé, dont une où l’on en était presque venu aux mains. Comme tu m’empêchais de partir de l’appartement, je t’ai repoussé un peu trop fort, et tu es tombé sur l’une des photos que tu devais prochainement exposer. Le verre s’est brisé. Aucun sang n’a giclé, mais c’était le début d’une hémorragie incurable pour notre relation. Alors quand cette fois, tu m’as largué par téléphone, j’ai juste dit « d’accord » en pleurant, sachant pertinemment que c’était la chose la plus constructive à faire.
Toute l’ironie de notre histoire, c’est que suite à notre rupture, tu t’es recasé tout de suite avec une meuf qui état une espèce de sosie de moi, puis t’es cassé à l’autre bout de la planète, t’amouracher d’une star locale avec qui tu es revenu à Paris poster sur Instagram tous nos lieux préférés avec lui. J’aurais bien voulu croire que c’était pour me narguer, mais tu m’avais bloqué de tous tes réseaux, sauf que je m’étais créé un compte pour te stalker exprès, évidemment.
Malgré la pandémie, tu as continué à revenir régulièrement en France. Et tout en étant avec ce mec hypermédiatisé, tu as recommencé à coucher avec moi. Je n’en parlais à aucun de mes amis car j’avais l’impression que cela reviendrait à admettre que j’étais encore amoureux de mon bourreau. Mais, avec du recul, je ne regrette absolument rien de cette relation, ni même sa fin. Car notre rupture a contribué à te donner envie de consulter des spécialistes de la santé mentale et des addictions.
Toi qui ne me trouvais jamais crédible quand je te parlais de l’importance de l’amour-propre, tu l’as enfin compris une fois que j’ai cessé de jouer à être ton infirmier. Sauf que j’étais moi-même malade aussi, j’étais accro au soin de toi, et j’ai eu énormément de mal à couper le cordon. Tu avais beau avoir 8 ans de plus que moi et me donner parfois l’impression de m’infantiliser, en réalité, je venais souvent à ta rescousse, physiquement, et même financièrement.
J’aimais tellement te cajoler que, parmi les moments préférés de notre relation, ce qui me manque le plus, c’est de t’étaler du vicks vapo rub sur le torse quand tu es enrhumé, ou quand tu acceptais de me servir de cobaye pour tester de nouveaux produits dans la salle de bain.
Au fond, ton comportement auto-destructeur m’a tellement fait de mal, que tu m’as appris malgré toi l’importance de l’amour-propre. Toi comme moi en avions longtemps été dépourvus, mais ça ne t’empêchait pas de rayonner à mes yeux, et ça me crevait le cœur de te savoir si plein d’auto-détestation, alors que j’aurais pu donner tous mes organes pour que tu t’aimes. C’était tellement puissant et viscéral, qu’à notre rupture, je me suis dit que je devrais me vouer à moi-même cet amour qui me donnait envie de me saigner pour toi.
Malgré toi, cher premier amour, tu m’as aidé à cesser de chercher une estime dans le reflet d’un miroir teinté de honte et dans les validations extérieures, même de l’être aimé, pour plutôt la puiser et la cultiver en moi.
Ne plus me voir dans ton regard céruléen m’a tellement bouleversé que ça m’a appris à m’aimer d’une façon plus constructive que tu n’aies jamais su le faire. Je t’admirais tellement en tant qu’homme et en tant qu’artiste que je voulais être à la fois ta muse et ton Pygmalion. Mais peut-être que la plus belle de tes œuvres aura été de me quitter pour me permettre de comprendre ce qu’est l’amour-propre, après tant de tendres violences. Je n’aurais jamais pu le prédire. C’était indétectable.
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Dans Ce que j’aurais dû dire à mon ex, des auditrices expriment au micro de Madmoizelle tout ce qu’elles rêvent de dire à leur ex-moitié.
À travers chaque histoire se dessine en creux la violence du patriarcat dans l’intime et ses paradoxes.Pour participer au podcast, contactez-nous à l’adresse [email protected]
Ce que j’aurais dû dire à mon ex est un podcast de Madmoizelle écrit et présenté par Aïda Djoupa. Réalisation, générique et édition : Mathis Grosos.
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires
Il n'y a pas encore de commentaire sur cet article.