Vincent a 25 ans, il est vierge, n’a jamais flirté avec une fille et n’a jamais vécu d’histoire d’amour. Il n’est pas un cas à part : bon nombre de jeunes Français sont dans cette situation, pour des raisons différentes. Il a voulu nous parler de ce qu’il vit et nous a envoyé un témoignage qui m’a suffisamment interpellée pour que je lui demande s’il ne voulait pas répondre aux multiples interrogations qui me sont venues à l’esprit.
En 2006, selon une étude Ined/Inserm, l’âge médian du premier rapport sexuel était de 17,6 ans pour les filles et de 17,2 pour les garçons ; ce chiffre n’a au final aucun intérêt, tant nos parcours sexuels nous sont propres et qu’il n’y a pas d’âge parfait pour avoir son premier rapport sexuel. C’est bien trop subjectif, bien trop relatif et cela répond à des critères aussi nombreux que variés (personnalité, confiance en soi, rencontres, religion, différences vis-à-vis de ce que l’on peut attendre du sexe, de l’éducation qu’on a reçue…).
La virginité dite « tardive » (rajoutons ensemble mentalement 45 guillemets de chaque côté) est auréolée de moult fantasmes et idées reçues. Il y a quelques semaines, nous vous proposions de lire le témoignage d’une lectrice qui a connu les plaisirs en couple à l’âge de 22 ans. Aujourd’hui, c’est au tour d’un homme de nous parler sans détours de son expérience, de son vécu et de la façon dont il vit au quotidien le fait de n’avoir pas encore eu de relations sexuelles.
Est-ce que tu t’expliques ta situation et si oui, comment ?
Je pense que ça provient d’une très grande timidité, d’un manque de confiance en moi. C’est peut-être un peu bateau comme raison invoquée, mais je vois que ça.
De manière générale, je sors très peu quand je n’y suis pas obligé, et je ne vais jamais vers les gens, j’attends toujours que quelqu’un initie le premier contact. Je ne suis pas très beau, mais en général ça n’empêche pas les gens d’avoir de relation. Mais je suis peu expansif (les gens ne savent même pas à quoi je passe mon temps libre !) et ça, ça pardonne beaucoup moins.
Comment vis-tu ta situation au quotidien ?
Mal.
Est-ce que ta virginité t’affecte personnellement, ou est-ce que c’est à cause d’une pression que tu ressentirais ?
Un peu des deux. En fait je côtoie pas énormément de monde, donc je ne peux pas dire que mes proches me mettent inconsciemment la pression, au travers de blagues ou autres.
Par contre, la société globalement met la pression : « puceau » est une insulte que se lancent les gens bourrés lors des soirées étudiantes (c’est du vécu). À coté de ça, la plupart des pubs abusent de ressorts « sexuels » qui rappellent toujours un peu que je suis pas dans la « norme ». Je serais toujours étonné du besoin de mettre une fille en bikini dans une pub pour vendre … des fenêtres (!) (celle avec Julien Courbet).
Dans ton témoignage initial, tu écrivais : « Si la virginité, quand elle concerne une fille, a dans l’inconscient collectif quelque chose d’attendrissant, voire de romantique, pour un mec, c’est souvent source de railleries et autres joyeusetés« . Pourrais-tu développer un peu cette idée ?
Je pense qu’en matière de séduction, les rôles sont très formatés. La jeune fille doit être séduisante (rôle passif), le jeune homme doit séduire (rôle actif). Du coup, un échec sentimental côté féminin, c’est imputable à un « manque de chance » : on n’a pas rencontré la personne à qui on pourrait plaire dans la vie, ou alors cette dernière n’a pas osé/pu faire la bonne approche. En revanche, le jeune homme qui ne parvient pas à séduire, c’est parce qu’il a échoué, qu’il est incompétent, ou alors il n’a pas cherché à s’améliorer (argument souvent vu sur les sites de séduction), bref : c’est de sa faute.
À cela s’ajoute le fait que la virginité, c’est un peu le « Graal » pour l’image d’une fille. En général la société considère que la « valeur » d’une fille décroît avec le nombre de ses partenaires sexuels ; en revanche, pour un mec, c’est le contraire. Ça se voit au travers des concours de taille de verges, la pression que se mettent les mecs lors de leur première fois, le fait qu’il est considéré insultant qu’un mari ne « donne pas assez de plaisir à sa femme »… Même le vocabulaire n’est pas neutre : après tout, on parle d’ « impuissance », d’en « avoir dans le pantalon », etc.
Tu penses donc que dans la société, plus les filles ont de partenaires et plus elles sont mal vues, tandis qu’on glorifierait les hommes pour le nombre de leurs conquêtes : au fond, n’as-tu pas l’impression que c’est toi qui te met la pression parce que tu es un homme quand tu analyses la société de cette façon ? Parce qu’aujourd’hui, le rapport hommes/femmes au lit m’apparaît comme étant beaucoup plus équilibré, beaucoup moins codifié…
Je pense que les mentalités évoluent moins vite que les moeurs en matière de sexualité ; en fait, si les hommes et les femmes ont un rapport similaire au sexe (en tout cas à nos âges), la société fait preuve d’un traitement encore très différent pour les deux
.
Il y a un article qui m’a interpellé, celui sur l’homme qui trompe sa femme. Le mec en couple trompe sa copine ; néanmoins il dit quelque chose d’intéressant : « Disons qu’il y a des choses que je n’aimerais pas faire à ma copine mais que ça ne me gêne pas de faire à d’autres filles. Si je lui faisais, je ne la verrais pas comme je la vois« . En gros les filles qui ont une sexualité sans tabou, c’est bien, mais tant que ça reste « pas sérieux ».
Tu me diras que ça ça concerne le côté fille et pas le côté homme de l’histoire. Mais je pourrais dire que l’ « idéal masculin » propagé en Occident, c’est souvent une variation du yacht privé avec plein de filles dedans. C’est le type qui se met du Axe et qui se retrouve avec une meute de femmes à ses pieds.
Est-ce que je me mets la pression à cause de ça… je ne pense pas, du moins pas directement. Seulement, je lis ici ou là des propos où « puceau » est une insulte. Du coup, quelque part, ça me conforte dans l’idée que l’expérience sexuelle masculine est très valorisée.
En fait, qu’est-ce qui te manque le plus ? L’amour, les sentiments, le toucher, la présence d’autrui au réveil, le sexe…?
Tout ça. Ca serait malhonnête de dire que je n’éprouve pas une forme de curiosité vis à vis du sexe, mais ça serait faux de dire que je n’ai pas envie de tout ce qui tourne autour : le toucher, la présence d’autrui, la tendresse dans les échanges, la complicité (pouvoir partager des choses intimes avec une seule personne, ça doit être le pied).
Comment réagissent les gens qui apprennent que tu es vierge ? Et comment agissent ceux qui le savent déjà ? Penses-tu qu’ils seraient différents avec toi si tu « avais une vie sexuelle » ?
Ils n’ont pas de réaction particulière. Ils ne sont pas trop surpris, même s’ils s’en doutaient pas forcément a priori. Je pense pas qu’ils agiraient différemment si je n’étais plus vierge, mais je pense surtout que moi j’agirais différemment. En particulier, je me sentirais moins « humilié » lorsque j’apprendrais qu’un de mes proches se met en couple/habite avec quelqu’un/se marie/a un bébé…
À travers tes réponses, je me rends compte d’une chose : tu ne me sembles pas dans le cliché de celui qui attend « la bonne personne » comme les vierges sont représentés dans les téléfilms. Je me trompe ?
Je pense pas être dans le cliché du vierge qui attend la bonne ; je suis plutôt dans le cliché du vierge tellement frustré qu’il en devient aigri. En même temps, je pense pas qu’au-delà de 25 ans, les vierges le sont par choix, vu qu’ils ont probablement eu beaucoup d’occasion de rencontrer « la bonne » (et je pense que trouver « la bonne » c’est aussi choisir quelqu’un, ça n’est pas qu’une question de hasard, on choisit aussi le moment où on la trouve). C’est plutôt des virginités subies.
Tu dis te sentir humilié quand tes proches se marient, ont des enfants… Ça sonne presque comme un échec pour toi de ne pas être comme eux. Tu le penses vraiment ?
Oui, je pense que c’est un échec de pas suivre le même chemin que mes proches. Quelque part, le passage à la vie adulte est « jalonné » d’étapes : première relation, première fois, emménagement ensemble, fiançailles, éventuellement des enfants… C’est très probablement irrationnel, mais chacune de ces étapes sonne comme un renvoi à une espèce d’ « immaturité » puisque je n’ai pas passé ne serait-ce que les premières étapes. Un des enjeux de la virginité tardive, c’est aussi une espèce d’acceptation par ton entourage : une fille qui sortirait avec moi, c’est une fille qui me considèrerait « digne », « assez grand » pour partager quelque chose avec moi. Et puis, y a un très très léger soupçon de jalousie aussi.
Un dernier message à faire passer à nos lectrices ?
« Pour toutes propositions indécentes, prière de commencer par faire la queue ».
Encore merci à Vincent pour son témoignage et sa disponibilité !
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
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Les Commentaires
Je sais que le dernier post remonte à très longtemps, donc désolée pour le up tardif, mais c'est juste pour dire qu'on peut se sentir les deux à la fois.
Bien sûr qu'on est heureuse pour des proches quand un bonheur arrive. Seulement en même temps, ça nous renvoie à notre propre situation, comme un miroir, et ça nous rend triste.
C'est ce que j'appelle la souffrance-miroir. Et c'est très humain et très compréhensible d'être à la fois heureuse pour quelqu'un qui a réussi quelque chose et qu'en même temps ça nous fasse mal par souffrance-miroir en regardant notre propre situation.
Et pourtant, il existe de nombreux cas où des personnes ne s'aimant pas ont quand-même eu des relations et ont remonté la pente, notamment grâce à des gens qui les ont aimé/e/s et aidé/e/s à se persuader qu'elles pouvaient être aimées, et que grâce à ça, c'était plus facile pour elleux de s'aimer soi-même ensuite.
Et l'amour d'une personne, ça booste énormément, même (surtout?) quand on s'aime pas! Et je vous jure que la personne qui s'aime pas, avec la bonne personne qui l'aime et lui montre qu'elle peut être aimée, et bien elle va s'aimer; pas forcément à fond, mais elle se retrouvera dans une meilleure situation qu'auparavant, et surtout, très important, elle ne pourra plus dire "personne ne m'aime" car quelqu'un lui aura prouvé par A+B que c'est faux. Et ça peut changer beaucoup de choses chez quelqu'un.
Je pense notamment dans certaines situations où certaines personnes ont impérativement besoin d'aide extérieure pour leur prouver qu'elles ont plus de valeur que ce qu'elles pensent, car elles n'ont pas assez de forces pour juste aller mieux par elles-mêmes. Quand une personne ne pense que du négatif à son propos (par exemple quand tant de gens - parents parfois y compris - auront traité la personne comme de la m***, ou bien à cause de traumatismes), comment voulez-vous que la personne aille mieux, si personne d'autre n'est là pour lui dire/prouver autre chose? Je pense notamment aux enfants maltraités qui n'auront pas eu l'amour de leurs parents et qui s'ils veulent s'en sortir, sont bien obligés de trouver une source d'amour depuis l'extérieur pour enfin s'auto-alimenter un peu soi-même.
Je pense qu'en se qui concerne l'estime de soi, certaines personnes oublient très vite la chance d'avoir eu des parents aimants et trouvent ça tellement "normal" qu'ils en oublient que c'est une chance et que c'est bien de là entre autres que vient leur bonne estime de soi. Car je reste persuadée que l'estime de soi, au tout départ, vient toujours de l'extérieur, que ce soit des parents ou de quelqu'un d'autre, et que c'est ça qui nous alimente et nous permet de tourner en autonomie affective ensuite. Et que si cet amour n'est pas donné par les parents, il faut bien qu'il soit donné par une autre source extérieure, car de toute façon, une personne qui ne connaît que du négatif sur elle/lui n'aura jamais l'idée de puiser en elle/lui ce qu'elle/il ne connaît pas - d'où l'absolue nécessité dans certains cas que la source d'amour soit extérieure afin justement de lui montrer que non, elle n'est pas que négativité mais aussi autre chose de bien plus positif, ce qui va permettre à la personne de devenir davantage indépendante affectivement en intégrant cette nouvelle idée positive.
Comme pour une voiture : on peut pas demander à une voiture de rouler et d'être autonome si au tout début elle n'a pas d'essence : et d'où vient l'essence? de l'extérieur.
Alors ça ne veut évidemment pas dire que la personne concernée ne doit fournir aucun effort : bien entendu que si; mais les proches, ainsi que le psy, ont énormément à apporter à l'intéressé/e également de leur côté.
J'entends souvent aussi "comment voulez vous qu'une personne donne à quelqu'un une chose qu'elle ne peut pas se donner à elle-même"?
Le truc c'est qu'aimer quelqu’un et s'aimer soi-même, ce sont deux choses certes liées, mais différentes.
Et ne pas s'aimer n'empêchera en aucun cas d'aimer quelqu'un d'autre (et des cas comme ça, il y en a beaucoup). Donc je pense qu'il faut se méfier des phrases toutes faites. Être à l'aise avec soi-même rend les choses plus faciles, c'est un fait. Par contre, pour l'avoir vécu moi-même et pour l'avoir également vu autour de moi, ce n'est en rien une condition obligatoire pour avoir une relation saine. Il faut juste éviter de tomber dans certains pièges (mais ça c'est pareil que les couples "standards".
Oui, c'est plus difficile d'avoir une relation avec quelqu'un qui ne s'aime pas qu'avec quelqu'un qui s'aime, car ça demande plus de temps, de communication et de patience. Et tout le monde n'a pas forcément les épaules pour gérer ce genre de relation. Et puis quelqu'un qui sourit pas attire moins que quelqu’un qui sourit.
Mais dire que quelqu'un qui ne s'aime pas ne peut pas aimer les autres ou envisager une relation saine avec un/e autre, c'est pour moi inexact, comme le montrent tous ces cas où justement des gens qui ne s'aimaient pas ont remonté la pente grâce à l'amour d'un/e autre. Et l'amour d'une autre personne peut être un moteur extrêmement puissant (je sais de quoi je parle). Et heureusement, car si quelqu'un ne s'aime pas, l'amour de soi ne va pas naître non plus de rien, il faudra bien qu'il vienne de quelque part. Et heureusement qu'il y aura des personnes pour le leur prouver et qui leur tendent la main. Je pense par exemple aux victimes de viol qui ont un amour de soi en-dessous de zéro et qui pourtant, grâce à certaines personnes, peuvent remonter la pente grâce à leur amour (et leur patience, au vu des nombreuses barrières à franchir à cause de leurs traumatismes).
En général, ne pas s'aimer soi-même crée deux gros problèmes :
1) la dépendance affective, et conséquences : le fait d'avoir l'impression que le monde s'écroule en cas de rupture, ou encore que le fait de ne pas s'occuper de nous-mêmes et de ne vivre uniquement qu'à travers l'autre amène (parfois - pas toujours) sans même qu'on s'en rende compte à un désamour progressif de l'autre parce que le fait de ne pas s'être occupée de nous-mêmes nous aura rattrapée et qu'on aura ce besoin à combler et qui attend depuis le début sans qu'on s'en soit aperçue, caché par le besoin d'amour et de reconnaissance que nous apporte l'autre, qui même s'il est très important, n'est pas suffisant si on ne s'en sert pas correctement, c'est à dire si on ne se sert pas de ce que l'autre nous apporte pour apprendre à prendre du temps pour soi-même et exister au moins un peu pour soi-même et non exclusivement à travers l'autre.
2) le fait qu'être trop centrée sur ses propres problèmes puisse nous empêcher d'exprimer des marques d'amour envers l'autre, et si l'un nous montre son amour et qu'on est incapable de lui rendre la pareille car on est trop centrée sur nos problèmes, l'autre va s'épuiser. Dans cet état, en effet, on ne sera pas forcément prêt/e à accueillir l'amour de l'autre, et ça nécessitera un travail sur soi, de la part d'un psy, mais les autres, amoureux ou proches, peuvent très bien aider à leur manière également, leur apport est tout aussi important et il ne faut pas se dire "je suis pas psy donc je m'en fous". Non, toute relation humaine est thérapeutique à sa manière; alors c'est sûr qu'un proche ne pourra pas agir comme un psy, par contre il pourra agir sur des points sur lesquels un psy ne pourra pas agir (ne serait-ce que parce qu'un proche aura une relation plus intime qu'avec un psy et que les apports de la relation seront par conséquent différents). Un psy n'est pas un magicien, et par conséquent ça ne doit pas dédouaner les proches d'apporter à la personne ces choses que justement un psy ne pourra pas lui apporter.
Mais si on a conscience que ces problèmes peuvent survenir et qu'on s'y prépare, qu'on se vire de la tête les contes de fées stéréotypés ou les étapes stéréotypées (parents/mariage/maison...) et qu'on réalise que la relation doit se faire petit à petit sans se presser forcément, si on fait des efforts pour prendre du temps juste pour soi, même un petit peu, même si on trouve ça inutile et qu'on a trop envie de vivre juste pour et à travers l'autre, si on fait des efforts pour pas être trop collant/e et en demande (même si dans certaines situations on peut comprendre que quelqu'un ait une très grande soif de tendresse si iel en a beaucoup trop peu reçu dans sa vie - et dans ce cas on peut essayer de trouver un compromis), qu'on est dans la communication permanente et dans le compromis, alors oui, on peut tout à fait vivre une relation saine même avec quelqu'un qui ne s'aime pas.
Ca prend (beaucoup) plus de temps et d'énergie, ça sera pas toujours facile (mais même dans un couple "normal"/"paisible" c'est pas toujours facile), mais c'est tout à fait possible. Et heureusement.
Et puis au fond, qui s'aime vraiment totalement? On a toutes/tous nos complexes et je pense que c'est plus une histoire de degré qu'un système binaire "je m'aime (sous-entendu 100%) / je m'aime pas (sous-entendu 0%)".
Et je pense que même celleux qui disent ne pas s'aimer s'aiment forcément un minimum au moins sur certains aspects mais qu'ils ne peuvent pas (ou ne veulent pas) le voir. Donc ce genre d'assertion, "s'aimer d'abord soi-même pour aimer les autres", je m'en méfie vraiment comme la peste, car c'est à la fois très culpabilisateur, et inexact (car la nature humaine est à mes yeux plus complexe que cette simple phrase).