Quand l’Homme ne subvient pas à ses besoins primaires et qu’il ne rend pas service à la société en trimant longuement dans un emploi aliénant, il se retrouve seul, nu et désoeuvré. C’est un fait avéré, nombreux sont ceux qui ne savent pas s’occuper, qui n’ont aucune passion ou qui ne supportent tout simplement pas le silence et la solitude.
[rightquote]Nous devons nous fourvoyer avec le voisin, pratiquer cet exercice terriblement bas qu’est la conversation.[/rightquote]Soyons honnêtes, ces gens-là sont des plaies pour autrui, de la vermine sociale contre laquelle il faut se cuirasser absolument sous peine d’être infecté et de se voir entrainé dans une palabre ennuyeuse.
C’est une maladie contagieuse à l’éminente puissance, sévissant depuis des millénaires et dont le remède reste introuvable; Aristote ayant enterré la chose : la sociabilité de l’homme est incurable. Nous devons nous fourvoyer avec le voisin, pratiquer cet exercice terriblement bas qu’est la conversation; même si ces causeries insipides mortifient notre amour sacré des causes justes, des débats emportés et nous donnent cette impression de temps gâché à ne survoler que le cuir de notre cerveau exalté.
Parfois il me vient l’envie de compter le nombre de truismes qu’une journée ordinaire m’oblige à énoncer : des commentaires fadasses sur la condition du ciel en passant par les confessions sociales que l’on avoue à voix basse, comme si notre avis, pourtant rebattu à l’envi, risquait véritablement d’ébranler quelques certitudes.
Appelez moi donc La Palisse, j’excelle désormais dans le rôle d’interlocutrice-qui-pourtant-ne-dit-rien, je pourrais converser longuement avec une chaise et il est probable que le résultat de cette entrevue serait plus audacieuse et de meilleur goût que les interviews entendues au JT de 20h. La chaise ayant au moins le mérite d’assumer sa nature profonde qui la destine à n’être qu’une chaise; elle n’a pas envie de se faire passer pour un fauteuil.
Ceci étant dit j’ai beau prétendre au titre de misanthrope je ne suis pas sociopathe au point d’éprouver davantage d’empathie envers une chaise que pour un homme. Bien que cela soit encore discutable (si c’est une très belle chaise et un homme très laid…) J’ai tout simplement un problème de type relationnel avec les individus, je ne sais jamais quoi leur dire où plus précisément, quoi apporter à une conversation, comment me positionner face à un groupe.
Au contact des autres tout me semble fade et décoloré, noyé dans l’impossibilité d’un échange réel nous nous cantonnons à échanger des idées de petites envergures, alors que, soyons honnêtes : dans le creux de nos têtes, nous sommes tous des penseurs extraordinaires, ou au moins, des gens intéressants.
Fiodor <3 les gens
Un peu de culture élèvera le niveau de cette Chronique, citons un passage de Dostoïevski qui résume à merveille ma problématique intime :
« J’aime l’humanité, mais, à ma grande surprise, plus j’aime l’humanité en général, moins j’aime les gens en particulier, comme individus. J’ai plus d’une fois rêvé passionnément de servir l’humanité, et peut être fussé-je vraiment monté au calvaire pour mes semblables, s’il l’avait fallu, alors que je ne puis vivre avec personne deux jours de suite dans la même chambre, je le sais par expérience.
Dès que je sens quelqu’un près de moi, sa personnalité opprime mon amour propre et gêne ma liberté. En vingt quatre heures je puis même prendre en grippe les meilleures gens : L’un parce qu’il reste trop longtemps à table, un autre parce qu’il est enrhumé et ne fait qu’éternuer.
Je deviens l’ennemi des hommes dès que je suis en contact avec eux. En revanche, invariablement, plus je déteste les gens en particulier, plus je brûle d’amour pour l’humanité en général. »
Dostoïevski, Les Frères Karamazov. (Vous n’avez pas lu la citation ? Vous avez eu la flemme ? Je le sais et je vous déteste.)
Je suis donc un poil misanthrope et pourtant assez gentille, dans le réel je pense qu’on me trouve même plutôt sympathique et ceci n’est bien évidemment du qu’à ma grâce sans pareille ainsi qu’aux astuces que tout bon quidam devrait connaître afin de mener son parcours social à terme (je ne parle pas encore de suicide, simplement de vie en communauté – même si, avouons le, une logique de mort coexiste dans les deux situations.)
Comment assurer en société lorsqu’on est un handicapé social ?
Sourire :
Un rictus difforme et des rides en plus, certes, mais l’assurance d’une caution sympathie à toute épreuve. On ne peut réagir qu’en positif à un sourire, et l’expression « un imbécile heureux » fait foi; qui serait désagréable avec un handicapé ? Si vous avez peur de ne pas être à la hauteur d’une conversation de convenance, commencez par sourire (même et surtout, si vous pensez que vous avez envie de mourir.)
Adhérer : En langage corporel vous pouvez simplement hocher la tête, et si vous hochez la tête en souriant ce petit côté autiste vous donnera un air tout à fait charmant qui ne manquera pas de séduire votre interlocuteur; alors il se taira, car le charme précède le verbe. Quoi qu’il en soit il faut adhérer à l’Autre, être d’accord et ne pas hésiter à user et abuser des tautologies les plus éhontées (les synonymes sont acceptés s’ils font moins de sept lettres)
Philosopher : Personne n’y entend rien et tout le monde peut y comprendre ce qu’il veut. Toutefois il ne faut pas abuser des abstractions sous peine de passer pour un mystique et de révéler sa vraie nature sociopathe. Philosopher, c’est se détacher de soi pour parler à l’Autre, un bon moyen pour les inhibés que nous sommes de prendre la parole (en faisant passer l’avis de Jean Pierre Pernaut pour le nôtre nous multiplierons nos points de sympathies et nous pourrons tenir et alimenter une conversation totalement banale pendant des heures)
Ces trois grands principes sont la clef qui verrouillera votre sentiment d’inadaptation sociale et qui résoudra cette question que l’on se pose tous, tôt ou tard : « qu’est ce que je peux répondre à ça ? » Il ne faut pas avoir honte de la vacuité de votre discours, de la brèche profonde dans ce néant intellectuel qu’est le «small talk» (oui cela porte un nom et c’est un nom bien laid.) Nous « small talkons » bien davantage que nous discourrons sur Kant et peut être est-ce pour le mieux car Kant est souvent très ennuyeux.
[rightquote]C’est avec les vieux que nous tenons le plus souvent ces petites conversations barbantes, la météo, l’augmentation de l’euro, le régime de François Hollande, l’impolitesse des jeunes.[/rightquote]A titre personnel je n’ai jamais trouvé les rapports sociaux très enrichissants, peut être est-ce parce que je m’auto-suffis entièrement ou parce que je ne suis entourée que de cons (oh hé, je rigole c’est bon), mais hélas la vie n’est pas un film d’Eric Rohmer, faite de rhétorique et de métaphysique autour d’une tasse de café (oui, hélas, je confirme et j’affirme, j’aime bien Eric Rohmer).
Nous parlons, très souvent, pour ne rien dire et seulement pour écarter un peu cette solitude qui gangrène tout; comment expliquer autrement la réalité suivante : c’est avec les vieux que nous tenons le plus souvent ces petites conversations barbantes, la météo, l’augmentation de l’euro, le régime de François Hollande, l’impolitesse des jeunes. Simplement parce que les vieux sont les êtres les plus seuls au monde et que ces discussions fédèrent, par leur impossible prise de risque où l’énonciation d’une opinion et d’une critique personnelle est inexistence. Bien sur on peut nier que le vent est froid et que le ciel est noir en ce petit matin pluvieux d’automne, mais pour cela il faudrait être dadaïste et être dadaïste permet rarement d’être épanoui en société.
Je crois que ma misanthropie (somme toute relative, je l’ai déjà dis, je suis éminemment sympathique) est davantage liée à une forme obscure de trisomie sociale qu’a une véritable haine du genre humain. Peut être un jour serais-je aussi à l’aise qu’un intervenant du journal de Jean Pierre Pernaut, un de ces Hommes qui parviennent à ne rien dire et à le dire bien. Puisqu’il est fort inutile de savoir parler si personne ne nous écoute, apprenons tout de même les mondanités usuelles du langage, si elles ne nous permettent pas de partager une idée peut être pourront-elles nous offrir l’inestimable plaisir de ne pas nous sentir trop triquard en société.
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