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J’ai passé quinze heures dans une cabane dans les bois : récit d’un ennui salvateur

Imaginez une femme complètement seule au milieu des bois, avec pour nid douillet une tiny house en bois aux grandes fenêtres. On dirait le début d’un film d’horreur, mais c’est celui de mon aventure, pas si rocambolesque.

Il y a un mois, je partais dormir dans une cabane perchée à onze mètres de hauteur. Aujourd’hui, me voilà partie pour une nuit solo dans une tiny house au milieu de la forêt.

Payer pour dormir dans des lieux insolites, une grande passion qui a vidé mon compte en banque déjà peu fourni à maintes reprises depuis ma majorité, sans jamais que je me pose sincèrement la question :

Qu’est-ce que je tire de ces expériences, au point d’y devenir accro ?

Créer un nid douillet dans la nature avec un amant choisi spécialement pour l’occasion, ok. Trouver un coin caché pour passer une nuit en camping sauvage entre amis, oui.

Me barrer solo avec ma voiture dans le fin fond du département de l’Yonne pour dormir dans une micromaison en bois au milieu d’une forêt ? Pourquoi, déjà ?

L’objectif : me déconnecter et me couper du monde l’espace d’une après-midi et d’une nuit.

Mes questionnements : qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? Comment vais-je réagir quand mon cerveau va me faire penser à un tueur en série m’observant à travers les grandes baies vitrées une fois la nuit tombée ?

Un trésor dans la forêt : la tiny house de l’expérience Bucoli

C’est munie d’un point GPS et d’une vague impression d’aller en free party dans un champ de Seine-et-Marne que j’ai pris la route.

Pour une fois dans mon existence, ma vie de banlieusarde de région parisienne est à mon avantage et réduit mon temps de trajet d’une trentaine de minute.

Ces deux heures de route, seule dans ma voiture, sont déjà pour moi un premier sas de décompression. Mon programme : écouter toutes les musiques coupables que je n’inflige jamais à mes passagers, tout en m’égosillant sur leurs paroles que je connais par cœur depuis l’enfance.

Dans ma besace — mes deux gros sacs à dos et mon sac de courses — le livre Fragilité blanche, ce racisme que les blancs ne voient pas de Robin DiAngelo, le dernier numéro de Society, mon enceinte, mon appareil photo, des feuilles, des stylos, des crayons de couleurs, des feutres, mon journal intime, une pince à épiler, un briquet, un couteau, un paquet de chips et une légère gueule de bois.

Sur le trajet, la pluie et les nuages gris me font regretter de ne pas être restée dans mon lit à somnoler et chouiner devant This Is Us, mais plus j’avance et plus les éclaircies percent la grisaille.

Au bout d’une heure, sortie d’autoroute pour sillonner des petites départementales au milieu de champs vallonnés. Qu’elle est belle, cette France. Je me le dis sincèrement.

Au détour d’un panneau, je me rends compte que j’approche le lieu d’habituation du nouveau copain de ma tante, un campagnard prof de maths qui nous fournit des cargaisons de pommes et d’amandes qu’il fait pousser sur son terrain.

Je n’ai jamais vu autant de champs de tournesol au kilomètre carré, je roule sur le cadavre d’un animal déchiqueté, puis arrivée au point GPS, une petite pancarte « Bucoli » m’indique de m’engager sur un chemin entouré d’arbres.

Plus j’avance, plus le chemin se fait étroit et plus je m’éloigne de la civilisation. Au bout, je débouche non pas sur un gros mur de son, mais sur une pure merveille de maison en bois, comme un petit trésor que j’aurais découvert par hasard en me perdant dans la forêt.

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L’expérience Bucoli : se déconnecter de la ville dans la nature, avec écologie et responsabilité

Louis et Marc sont les deux potes de 25 ans à l’origine de l’expérience Bucoli. Ils ont construit de leurs quatre mains la tiny house qui va être mon nid pour la nuit.

Ils m’accueillent avec une pointe de stress derrière leur sourire chaleureux : je fais partie des toutes premières clientes à visiter leur bébé.

Originaires de Paris et de Corrèze, ils ont eu l’idée de permettre aux Parisiens et Parisiennes de s’échapper non loin de chez eux pour se déconnecter complètement de leur quotidien en prenant un bol d’air frais.

Le format et le mouvement né autour des tiny houses semblaient totalement correspondre à leur objectif : une maison petite, écologique, montée sur une remorque, minimaliste, qui permet une expérience chaleureuse, verte et sans abîmer l’écrin de nature qui l’entoure.

« Si on part demain, on part sans laisser de trace. »

À côté de la table en bois et des chaises disposées autour du feu — que je vais devoir allumer sans démarrer un feu de forêt — je vois de grands panneaux solaires pour fournir la maison en électricité. Pour l’eau, un récupérateur et surtout, pas de béton ni de matériau invasif et polluant.

Dans un silence, le calme absolu me saute aux yeux malgré notre proximité avec la civilisation. Au moins, si un psychopathe approche cette nuit, je l’entendrai venir de loin.

À l’intérieur de cette petite maison, un énorme lit king size avec un matelas, des oreillers et une couette fournis par des marques écologiques utilisant des matières naturelles.

Une enceinte, des jeux, des livres, une cuisine équipée, une douche et des toilettes sèches.

Louis et Marc sont fiers et passionnés : en imaginant cette escapade, ils ont voulu s’adresser à leur génération, celle qui veut du confort et de l’insolite, mais qui a une conscience accrue des questions écologiques.

Celle qui allait au camping dans l’enfance et qui l’associe aujourd’hui aux beaufs. Celle qui court tous les jours au boulot et qui a besoin de ralentir régulièrement.

Seule au monde dans la forêt

Il est 17h04 quand Louis et Marc me quittent. Je me retrouve dans ce grand silence et je m’affale sur cet immense lit devant la fenêtre. Pendant près d’une heure, je ne fais strictement rien.

Je regarde dehors à travers cette grande baie vitrée qui me rappelle la maison de mes rêves que j’ai toujours construite dans Les Sims.

Une maison carrée, plein-pied, avec des baies vitrées à tous les murs et aucune séparation entre les différentes pièces. Seulement des meubles et de la déco pour créer plusieurs univers.

Une maison peu habitable, sauf si on aime déféquer, se laver et copuler avec les invités.

Quand je sens que je pique du nez, je décide d’aller me perdre dans les plusieurs dizaines d’hectares de forêt qui m’entourent, équipée de mouchoirs et d’un petit sac plastique.

L’idée d’aller faire mes besoins dans ces toilettes sèches me fait remonter au nez les relents de fosses à excréments de Dour ou du Modem festival, dans lesquelles des milliers de personnes bourrées et droguées se vident pendant des jours.

Les toilettes sont pourtant parfaitement propres, un peu de lavande est même disposée à côté des copeaux, au cas où, mais je dois admettre que je prends un intense plaisir à faire mes besoins dans la nature.

Si en lisant ces lignes vous doutez que se soulager dans la nature est un art et un retour plaisant aux sources, la lecture du livre Comment chier dans les bois : pour une approche environnementale d’un art perdu  de Kathleen Meyer vous est recommandée.

Bien décidée à croiser un chevreuil dans cette zone privée préservée où il n’y a pas de chasse, je marche lentement et m’arrête au moindre bruit que j’entends.

Je respire, me perds, retrouve mon chemin, pour finir une heure plus tard par déboucher sur un champ de tournesols, ces plantes qui m’angoissent au plus haut point tant elles sont grosses, hautes, vivantes et bourrées d’insectes (dans mon esprit).

Après un peu plus d’une heure de marche, je me rends compte que les chevreuils me fuient et que je n’ai pas entendu une seule présence humaine depuis que j’ai quitté la départementale dans l’après-midi.

J’ai l’impression d’être seule au monde, et je décide de faire comme si c’était vrai.

Me donner la possibilité de ne rien faire, seule dans les bois

Vers 19h30, Louis et Marc viennent nourrir la bête avec un panier repas de produits locaux avant de repartir pour de bon. Je mange, bouquine, pense à mon mec, lui écris quelques messages, j’aimerais qu’il soit avec moi pour cette petite pause dans le quotidien.

Je me dis que je devrais être active, rentabiliser cette soirée et cette nuit atypiques. Preuve que le capitalisme ne m’a pas quittée à l’entrée du chemin boisé.

Je décide de ne rien faire, et je ne fais RIEN. Pas de série, pas de musique, pas de téléphone, plus de bouquin. Juste moi, assise, à regarder les arbres et écouter les pas d’animaux dans les feuilles non loin de moi.

Moi qui ai toujours défendu mon besoin de trouver du temps pour ne rien faire dans une société où peu de personnes savent vraiment ce que veut dire être complètement inactif, je me rends compte que je ne m’en donne plus la possibilité.

Il y a toujours une série, une musique, un message, du bruit, quelqu’un, quelque chose à faire.

Vers 20h30, il commence à faire froid et la nuit tombe, et tout à coup la mignonne petite maison en bois prend des allures du décor du film d’horreur Pas un bruit.

Je décide de faire un feu à grandes flammes pour me réchauffer et m’enlever de la tête l’idée qu’un mec puisse débarquer de nulle part et m’agresser, et passe une heure de plus à cramer des bouts de bois et des chamallows laissés sur place par Marc et Louis.

Ce feu me rappelle des souvenirs, celui d’un feu de camp au camping Les Granges près de Rocamadour quand j’avais 18 ans.

Celui de ma période pyromane aux multiples sculptures en cire et aux nombreuses brûlures, dont celle du lino du salon de mon père.

Celui de l’été 2019 à l’Ozora festival où, trempée jusqu’à l’os après avoir dansé des heures sous un orage et une pluie battante, je me suis réfugiée près du grand feu entourée d’inconnus remplis de substances chimiques et de bonheur.

Sortie de mes pensées par un bruit non identifié dans les arbres, je me rends compte qu’il fait nuit noire et que je tombe de fatigue.

Je débarrasse, arrête d’alimenter le feu et attends qu’il s’éteigne, puis m’endors quelques minutes plus tard dans ce lit bien trop grand pour une seule personne.

Ne rien faire : une aventure pour se retrouver

Au réveil, je trouve le panier du petit déjeuner devant ma porte.

Je passe encore une fois de longues minutes à regarder par la fenêtre et je me trouve stupide d’avoir embarqué autant de divertissement avec moi par peur de m’ennuyer.

J’observe les mésanges à tête noire et les rouges-gorges qui font leur vie devant moi, comme si je n’étais pas là. Je me rends compte qu’il va falloir que je reprenne le volant et que je retourne travailler dans quelques heures.

J’avais prévu de faire de cette escapade une aventure rocambolesque pleine de suspense, d’écrire un récit qui vend du rêve, qui tient en haleine, qui fait rire et sourire.

L’aventure fait vendre, ne rien faire ennuie. Pourtant, ce que j’ai trouvé de plus précieux dans cette aventure, c’est bien le rappel que j’avais le droit de dire stop, de faire pause.

Si l’expérience du rien vous paraît fade, sans saveur et sans utilité, je vous mets au défi de ne rien faire pendant plusieurs heures et de le faire sincèrement. De continuer quand ça deviendra difficile, de continuer quand votre mental s’emballera et votre main cherchera votre téléphone frénétiquement.

Je mets ma main à couper que vous seriez surprises de ce que vous y trouverez.

Avant de partir, je repense à mon mec, à la maison de mes rêves sans murs et je comprends ce que m’apportent ces nuits insolites loin des humains et au cœur des arbres : l’opportunité de me souvenir de la vie dont j’ai besoin, à contre-courant et loin de la productivité.

À lire aussi : Passe tes vacances dans un colon, et autres Airbnb WTF


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Les Commentaires

11
Avatar de Screen
4 février 2022 à 09h02
Screen
Super article qui m’a vraiment donné envie de faire des expériences similaires. Ponctuellement l’été dernier j’ai aussi tout laissé tombé (le soir après le boulot ou bien le week-end) pour aller dans un parc lire pendant une heure ou deux ou juste marcher. On peut pas dire que j’étais vraiment isolée je vis dans une trop grande ville pour ça, mais avec de la musique dans les oreilles et en prenant les petits chemins j’arrivais à passer des moments un peu seule. J’aimerais vraiment poursuivre ça quand les beaux jours reviendront et pourquoi pas partir un week-end seule quelque part. Il faut juste lutter contre la flemme quoi
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Voir les 11 commentaires

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