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Féminisme

Entre menace en l’air et risque réel, parlons de la plainte en diffamation envers les victimes de violences sexuelles

La plainte en diffamation constitue, dans l’imagine collectif, un outil puissant de silenciation des victimes de violences sexistes et sexuelles. Mais qu’en est-il réellement, et comment l’éviter ?

« Il faut libérer la parole, m’avait-on dit, mais ce qu’on ne m’avait pas expliqué, c’est ce qu’il se passe après, les conséquences, le poids de cette parole. »

En 2018, Clémentine, 23 ans, étudiante en lettres modernes, décide de parler sur les réseaux sociaux du viol qu’elle a subi plus jeune. C’était sans compter sur un internaute qui décide alors d’envoyer ses confessions aux parents de la jeune femme.

Entre menaces de procès en diffamation, cyberharcèlement et détresse psychologique, les victimes de violences sexistes et sexuelles restent désespérément seules après les mots.  

« Mes parents m’ont incendiée. Ils ne sont pas très réceptifs à la libération de la parole… »

Clémentine, 23 ans, victime de viol

Exposer sa parole : entre cyberharcèlement et solidarité

Après sa plainte, une fois rentrée chez elle, Clémentine empoigne son téléphone, et tweete ses péripéties jusqu’à son dépôt de plainte — sans pour autant nommer son agresseur.

« J’avais besoin d’en parler publiquement, de dire ce que j’avais subi, la douleur, crier l’injustice »

Quatre jours plus tard, alors que son tweet atteint un petit pic d’audience, Clémentine reçoit un appel de ses parents.

« Un mec leur avait envoyé mon thread, mes parents m’ont incendiée. Ils ne sont pas très réceptifs à la libération de la parole… »

C’est une profonde solitude qui envahit alors l’étudiante en lettres modernes.

« Je suis tombée de haut. Je savais que ça pouvait arriver, mais on ne m’avait pas dit à quel point ça pourrait me détruire, je ne comprends pas que l’on haïsse les femmes au point d’aller chercher ses proches pour l’humilier. Mon monde s’est effondré, et je n’ai eu aucun filet de sécurité. »

C’est la solidarité qui lui permettra de ne pas sombrer complètement. Émue, la jeune femme se souvient :

« J’ai reçu des dizaines de messages de soutien venant d’autres victimes, de followers, ou d’inconnus et inconnues. Ça m’a vraiment fait du bien d’être crue, entendue. En un sens, c’était mon îlot de survie, je crois. »

Le thread finit cependant par atterrir entre les mains de son agresseur, qui décide alors de porter plainte en diffamation.

« Quand j’ai reçu la notification de sa plainte, j’ai été terrorisée », se souvient Clémentine, qui vit cette plainte comme « une violence supplémentaire ». Son avocat lui conseille cependant de ne pas supprimer le thread : « Il m’a confié que cette suppression pourrait être considérée comme un aveu de culpabilité. »

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Kampus Productions / Pexels

De son côté, forte d’un caractère impressionnant qui se dessine tout au long de notre échange, Line choisit de porter la parole des victimes — et les droits des femmes — dans une perspective militante.

« J’ai intégré le milieu militant après mon agression, parce que je ne savais pas comment rebondir », se souvient-elle. Là, elle se transforme en véritable porte-parole en matière de violences sexistes et sexuelles — et aide d’autres victimes, de fait, à sortir de leur solitude.

« Prendre la parole et transformer son vécu en expertise est aussi un moyen de rebondir, de reprendre le pouvoir », explique Élodie M., psychiatre spécialisée dans l’accompagnement de victimes de violences sexistes et sexuelles, qui ajoute :

« On lance un message : on est ensemble, et on sait comment faire bloc contre nos agresseurs. C’est très fort et salvateur ».

« Les groupes de parole sont un véritable cocon de force construit par et pour les victimes. »

Elodie M., psychiatre spécialisée dans les violences sexistes et sexuelles

Le fait de regrouper les témoignages permet également de minimiser le risque de plainte en diffamation. La psychiatre soutient :

« D’où l’importance de ces groupes de parole, qui permettent aussi de se passer les noms des agresseurs sous la table, et de retrouver d’autres victimes. C’est un véritable cocon de force construit par et pour les victimes, une nouvelle arme d’auto-défense redoutée par les auteurs de violence, qui souhaitent par-dessus tout isoler leurs victimes. »

Toutefois, face aux violences d’ores et déjà subies par les victimes concernées, la menace de plainte en diffamation reste une arme efficace en matière de silenciation… 

La plainte pour diffamation, véritable menace ou simple effet de manche ? 

« Ça me met hors de moi de constater l’audace des mecs qui, tout en sachant pertinemment les horreurs qu’ils ont fait subir à leurs victimes, persévèrent et vont jusqu’à porter plainte en diffamation. Quel niveau de sentiment d’impunité faut-il avoir pour oser faire ça ? »

Comme Clémentine, qui s’exprime ici, bien des victimes de violences sexistes et sexuelles se voient menacées d’une plainte en diffamation.

Pour Elli Tessier, les menaces se muent également en action : lorsqu’il décide de dénoncer les violences subies, et de nommer son agresseur et ex-compagnon sur Twitter, c’est une plainte en diffamation qu’il reçoit en retour.

« C’est un mécanisme souvent utilisé par les auteurs de violences sexistes et sexuelles pour silencier leur victime », soutient Elodie M., qui déplore :

« C’est efficace ; je le vois chez les patients et patientes qui, après avoir reçu ce genre de plaintes, ont de grosses difficultés à se confier, à poursuivre toute démarche nécessitant de parler. Ils et elles ont peur, constamment, et se tétanisent ». 

Notez qu’entamer la démarche d’un dépôt de plainte peut être difficile, certes, mais également salvateur dans l’éventualité d’une plainte en diffamation en guise de réponse à une telle prise de parole. Eric Morain, avocat au barreau de Paris, explique :

« Un certain nombre de plaintes en diffamation déposées par des personnes accusées font ensuite l’objet d’un sursis à statuer, c’est à dire que le tribunal saisi sur la diffamation ne se prononce pas à partir du moment où il y a une plainte pénale si cela concerne un viol ou une agression sexuelle. On va ainsi sursoir à statuer dans l’attente de l’issue de la procédure pénale. »

« Très souvent, on entend des gens affirmer “J’ai demandé à mon avocat de déposer plainte”. Facilement une fois sur deux, ça n’est pas le cas. C’est destiné à faire taire. »

Eric Morain, avocat au barreau de Paris

Par ailleurs, si cette menace d’une plainte en diffamation est aisément brandie par les personnes visées dans les témoignages diffusés sur les réseaux sociaux ou ailleurs, rappelons qu’elle n’est pas toujours suivie d’action, comme l’affirme Me Morain.

« Très souvent, on entend des politiques ou des personnalités publiques affirmer “J’ai demandé à mon avocat de déposer plainte”. Facilement une fois sur deux, ça n’est pas le cas. C’est destiné à faire taire. »

Le délai de prescription en matière de diffamation, extrêmement court (trois mois), « permet de savoir assez vite si l’on est poursuivi ou non », affirme l’avocat, qui ajoute :

« Les personnes visées par cette menace ne savent pas qu’en matière de diffamation, elles sont assez protégées : ce n’est pas si facile que ça de condamner quelqu’un pour diffamation, et quand on l’est, on est condamnée à une peine d’amende avec sursis, à quelques centaines d’euros de dommages et intérêts. Le risque pénal est assez limité. »

Limité, certes, mais bien réel, et celui-ci ne doit pas être omis.

Qu’elle soit suivie d’une véritable procédure ou non, la menace semble efficace, et pousse au silence de nombreuses victimes tout en contribuant à l’impunité des auteurs de violences sexistes et sexuelles. « Objectivement, oui, ça fait peur ! », confirme Me Morain.

Toutefois, l’imaginaire collectif autour de cette procédure semble bien éloigné de son impact réel, finalement restreint. 

« Le moment où la victime s’exprime doit être préparé. “Balancer” un témoignage, c’est oublier qu’il peut y avoir une caisse de résonance importante. »

Eric Morain, avocat au barreau de Paris

Seules ou à plusieurs, avant de témoigner publiquement, plusieurs éléments sont à anticiper pour les victimes de violences sexistes et sexuelles, afin de minimiser les risques de répercussions juridiques.

Éviter la plainte en diffamation : les conseils de Me Morain, avocat au barreau de Paris

« Il y a une tendance jurisprudentielle qui consiste à considérer que la victime qui s’exprime en étant directement concernée par ce qu’elle évoque serait moins exposée à un risque de diffamation qu’un tiers. »

En somme, en cas de prise de parole, la victime reste l’interlocutrice la plus à même d’exposer les faits en minimisant le risque de condamnation en diffamation en retour. Me Morain soutient :

« Le moment où la victime s’exprime doit être préparé. Il y a des suites, après, il faut donc les anticiper. “Balancer” un témoignage, c’est oublier qu’il peut y avoir une caisse de résonance importante. »

L’avocat conseille donc de se faire accompagner en amont afin de « prévoir le coup d’après ». Et cela se prépare avant même de coucher ses premiers mots sur papier, ou sur clavier. 

En premier lieu, Eric Morain conseille aux personnes concernées de porter une attention particulière aux mots employés :

« Plus vous mettrez de conditionnel, moins vous donnerez de prise, mais il faut aussi dire les choses clairement. C’est un équilibre délicat. »

Ensuite, attention à ne pas trop en dévoiler concernant l’auteur des faits énoncés :

« Au-delà du nom, il suffit que la personne soit aisément reconnaissable pour susciter un risque de plainte en diffamation : un titre, une fonction, un lieu de travail… Cela peut parfois suffire ».

Me Morain rappelle :

« Ne jamais oublier — car c’est une force à ne pas négliger — que souvent, un procès en diffamation est une pièce supplémentaire dans la machine pour celui qui se sent diffamé. Pendant tout ce procès en diffamation, on va distinguer le vrai du faux. Il y a donc bien souvent un effet boomerang, sans compter que les procès en diffamation sont parfois audiencés de manière très longue. »

De nombreux collectifs féministes peuvent vous rediriger vers une aide juridique : #NousToutes, En avant toute(s), pour ne citer qu’eux.

Une fois votre témoignage préparé, veillez également à être entouré ou entourée — par vos proches, par un conseil juridique, par une association féministe… Face aux réponses violentes bien souvent reçues par les victimes choisissant de porter leur parole sur les réseaux sociaux, les répercussions psychologiques peuvent être violentes, et nécessitent parfois un accompagnement spécifique. 

Que vous soyez victimes, que vous en connaissiez, ou que vous souhaitiez simplement faire avancer le monde dans la bonne direction, vous voilà en tout cas mieux armée face aux violences sexistes et sexuelles. Car malheureusement, on ne l’est jamais trop.

À lire aussi : « Porte plainte » : OK, et après ? La solitude des victimes de viol une fois sorties du commissariat


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Les Commentaires

5
Avatar de Guerriere-75
6 avril 2022 à 17h04
Guerriere-75
Malheureusement ya beaucoup de d agression qui porte plainte pour diffamation contre la victime , ça m'a toujours choqué
Les parents qui soutiennent pas leur enfants victimes d'agression ça me dégoûte , les parents doit être toujours la pour soutenir leurs enfants dans les moments très difficiles
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Voir les 5 commentaires

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