Je dois vous annoncer quelque chose de dramatique : mon dentiste a pris sa retraite.
Il me l’a annoncé comme ça, en plein détartrage, alors que je concentrais toute mon énergie pour ne pas déglutir (comme toute personne saine d’esprit, j’ai une peur panique d’avaler un outil par inadvertance).
Je me suis dit qu’il avait intérêt à vachement bien me détartrer ce jour-là, parce que je ne retournerai JAMAIS chez le dentiste.
Je l’aimais beaucoup, ce dentiste-là : il était doux, gentil et décontracté, je n’avais plus mal — un seul être vous manque et tous les cabinets dentaires sont dépeuplés.
Pourquoi a-t-on parfois si peur des actes médicaux et de la douleur qu’ils provoquent ? Qu’est-ce qui influence cette douleur ?
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Des chercheurs questionnent la douleur
Une nouvelle recherche, menée par trois chercheurs et chercheuses en psychologie (Elizabeth A. Reynolds Losin, Steven R. Anderson et Tor D. Wager), suggère que la perception que le patient a de son médecin pourrait réduire la douleur ressentie pendant un acte médical.
Elizabeth Losin souligne que la douleur a à la fois des composantes psychologiques et physiologiques — la chercheuse s’intéresse tout spécialement à l’interaction entre ces deux aspects.
Souvent, nos interactions avec le corps médical sont rapides et concentrent l’attention sur notre « mal » ; nous ne faisons pas forcément connaissance avec notre soignant•e, nous ne savons pas si nous avons des choses en commun avec lui ou elle.
Et si cette relation pouvait changer la douleur que nous ressentons ?
Et si vous saviez que votre médecin adorait les pâtes à la sauce tomate, le parmesan et avait été ébloui par Master of None, est-ce que ce savoir pourrait modifier la douleur ressentie pendant une piqûre ou un détartrage ?
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Les interactions sociales ont-elles un impact sur la douleur ?
Les trois scientifiques ont voulu simuler des interactions entre des médecins et leurs patient•es afin d’observer si des facteurs « sociaux » pouvaient impacter la douleur ressentie durant les actes médicaux.
Pour étudier cela, l’équipe a préparé une simulation en laboratoire, en essayant de coller au maximum aux conditions du monde réel.
Dans un premier temps, les chercheurs et chercheuses ont proposé aux participant•es de répondre à un questionnaire interrogeant leurs penchants politiques, leurs croyances religieuses, leurs perceptions et attitudes à l’égard des rôles de genre…
Ensuite, les expérimentateurs annoncent aux volontaires qu’ils vont être séparés en deux groupes distincts, en fonction des réponses qu’ils ont données aux questionnaires.
Ce n’est pas tout à fait vrai : le but, c’est simplement de faire penser aux participant•es que les personnes de leur groupe ont quelque chose en commun avec eux (en l’occurrence, des réponses communes au questionnaire). On imagine que cette croyance peut créer des sentiments positifs à l’égard des membres du groupe.
Les participant•es rentrent alors dans le vif de l’expérience : certain•es doivent jouer le rôle de patient•es, et d’autres endossent la blouse d’un•e médecin.
Les faux patients vont interagir avec deux faux médecins :
- Le médecin de leur propre groupe,
- Et le médecin du second groupe.
Au cours de cette interaction, les faux médecins appliquent de la chaleur sur l’avant-bras de leur patient•e, afin de simuler la douleur d’un acte médical (comme une piqûre).
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La confiance en l’autre, un facteur dans la diminution de la douleur
Après l’interaction, les scientifiques interrogent les docteur•es et les patient•es : ont-ils la sensation d’avoir quelque chose en commun ? Se sentent-ils similaires ? À quel point se font-ils confiance ?
Aux patient•es, les chercheurs et chercheuses demandent également d’évaluer le niveau de la douleur ressentie pendant l’acte.
Losin, Anderson et Wager font deux hypothèses :
- les patient•es déclareront avoir eu « moins mal » lors de l’interaction avec le médecin de leur propre groupe qu’avec le médecin du second groupe,
- les patient•es auront ressenti une douleur moins importante lorsqu’ils font confiance au médecin et qu’ils ont l’impression d’avoir des choses en commun avec lui.
Bingo : c’est bien ce qu’il se passe.
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La perception des médecins, un placebo social
Selon les résultats de la recherche, publiés dans le Journal of Pain, plus les patient•es déclarent avoir confiance en leur médecin, et se sentent proches de lui/elle, moins ils ressentent la douleur de la chaleur sur leurs avant-bras.
L’étude a même un twist : les personnes les plus anxieuses bénéficieraient le plus de cet effet !
En fin de compte, pour Elizabeth Losin et ses compères, notre perception des médecins pourrait agir comme un placebo social : elle pourrait contribuer à diminuer notre douleur et à soulager nos maux…
En allant plus loin, ce type d’expérience peut aider à trouver des pistes pour « manager », ou en tout cas diminuer, la douleur ressentie par les patient•es et les appréhensions que nous avons parfois vis-à-vis des actes médicaux — c’est d’autant plus précieux en cas de maladies graves, de douleurs importantes…
Pour aller plus loin :
- La recherche menée par Elizabeth A. Reynolds Losin, Steven R. Anderson, Tor D. Wager
- Un article de Science Daily
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