Le moment est bientôt venu de mettre les collants au placard et de laisser le vent caresser ses mollets. Et rien de tel qu’une petite robe avec des sandales pour se rappeler que l’été est bien là !
Passé le mois de juin, j’ai du mal à mettre autre chose que des robes tant la seule vision d’un pantalon me fait suer à grosses gouttes par procuration… mais il n’en a pas toujours été ainsi. Je mets régulièrement des robes depuis environ cinq ans : avant cela, j’avais toujours tendance à dissimuler mes petites gambettes.
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La chirurgie gravée dans la peau
J’ai eu le privilège familial ultime de naître avec une pathologie qui touchait mes rotules, et de subir plusieurs interventions chirurgicales au niveau des genoux. Elles m’ont laissé des cicatrices sur chaque jambe, qui partent d’en dessous du genou et remontent jusqu’à mi-cuisse.
J’avais sept ans lors de ma première opération du genou, huit ans pour la seconde. Puis, quand j’ai eu seize ans, on m’a fait le plaisir de repasser deux fois sur l’un de mes genoux, à six mois d’intervalle.
J’en ai mangé des nouilles sans sel à l’hôpital, je vous le dis.
Une opération chirurgicale, ça traumatise ta peau : les premiers temps, la cicatrice est dans les tons rouge violacé en plus de te faire un hématome tout autour, alors fatalement, ça attire l’œil.
À sept ans, j’ai donc découvert ce qu’était le jugement dans le regard des autres et tout le malaise que cela peut procurer.
Quand tu es gosse, les adultes semblent avoir l’impression que tu ne te rends pas compte de ce qui est dit autour de toi (spoiler alert : les enfants sont dotés d’intelligence).
En vacances, à la mer ou à la piscine, je sentais leurs regards braqués sur mes petites jambes. J’entendais leurs murmures :
— T’as vu ? Qu’est-ce qu’elle a cette gamine ? — Outch, c’est violent…
Je ne vais pas vous lister toutes les réactions spontanées et très agréables des gens confrontés à la vision de cette grosse ligne rougeâtre qui barrait mes cuisses enfantines.
L’appropriation de mon corps par les autres
Je ressentais un profond sentiment d’intrusion.
J’avais l’impression que ces inconnu•es s’appropriaient mon corps pour le critiquer, montrer leur dégoût vis-à-vis de lui, leur surprise — ou même leur compassion, alors que je ne leur avais rien demandé.
En famille, je devais souvent exhiber aux yeux de tou•tes les tontons et tatas mes deux nouvelles copines, les cicatrices.
Mes jambes n’étaient plus miennes, elles appartenaient au regard des autres. Du coup, je devenais obsédée par elles et par leurs moindres imperfections.
Si les adultes ne cherchent pas vraiment à avoir du tact devant des enfants, une fois entre eux, ils ne font pas nécessairement dans la dentelle pour autant.
L’année dernière, un individu totalement inconnu m’a abordée dans la rue à la sortie d’un magasin, pensant manifestement me faire plaisir en me disant :
— Wow mais dis donc, c’est de sacrées cicatrices que tu as là, t’as dû avoir super mal.
Je n’ai toujours pas compris pourquoi il s’était senti obligé de me dire ça, et surtout à quel moment il a pu penser que j’allais être sympa avec lui après ça…
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Les complexes et la négligence de soi
Gamine puis adolescente pas forcément à l’aise dans mes baskets, j’étais plus sereine en pantacourt qu’en short.
Pour éviter d’attirer les regards ou de susciter un quelconque commentaire, je partais du principe qu’il valait mieux ne rien montrer : ça garantissait ma tranquillité.
Pourtant, avec le temps, les cicatrices étaient devenues blanches, bien moins visibles. Malgré ça, à la piscine, plus vite j’étais enroulée dans ma serviette de bain, mieux je me sentais.
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Au lycée, je n’étais pas vraiment habituée à m’habiller avec des robes ou des jupes, ni même à essayer de prendre soin de moi. Puis j’ai subi deux nouvelles interventions chirurgicales ; du coup, c’était reparti pour le petit dégradé de violet.
La bonne nouvelle, c’est que je n’avais pas de nouvelle cicatrice : ils étaient repassés sur l’ancienne. La mauvaise, c’est que l’intervention a légèrement déformé ma jambe. Tant qu’à faire, je n’étais plus à un complexe près !
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La période de transition et ses obstacles
C’est pourtant à cette époque que j’ai commencé à changer.
Par souci de confort avec mon attelle, je me suis mise à porter des robes. Par la suite, j’ai eu envie d’en mettre plus régulièrement, car je trouvais que ça m’allait pas mal.
Après le lycée, j’en suis doucement venue à assumer le fait de m’habiller en robe, en jupe, et j’ai eu envie de changer d’apparence.
Même si ça restait un peu compliqué à gérer, j’ai fini par devenir fataliste : mes jambes seront ce qu’elles sont à jamais, quelle raison est suffisamment valable pour me priver de l’envie de mettre une robe ?
Pourtant, ce processus d’acceptation a été ralenti par quelques obstacles, placés sur mon chemin par l’une de mes relations notamment. On croit que l’être aimé vous accepte telle que vous êtes, sans jugement, en s’en tamponnant de vos « défauts » : figurez-vous que ça peut être beaucoup plus vicieux que cela.
Je me rappelle d’une discussion où j’expliquais au garçon que je fréquentais mes déboires chirurgicaux. Il a fini par me demander, un peu dégoûté, d’arrêter d’en parler et de ne pas donner de détails. Quand je lui ai demandé si mes cicatrices le dérangeaient, il m’a dit que ce n’était « vraiment pas esthétique », qu’il « préférait ne pas y faire attention, ne pas regarder ».
Sur le coup, je ne l’ai pas très bien pris, j’ai fait la tête, mais rien de plus. J’ai accepté l’humiliation.
J’ai pris dans la face le fait ne pas lui plaire physiquement, de le rebuter — je me suis faite toute petite par rapport à ça.
Je ne me rendais pas compte qu’il était odieux, je l’ai compris bien plus tard, devant la perplexité d’autres garçons ne saisissant pas pourquoi j’étais gênée par l’aspect de mes jambes.
L’acceptation et la fierté
Ce sont à ces belles personnes, et à d’autres ami•es et connaissances, que je dois aujourd’hui mon absence totale de gêne à l’idée de faire la roue en maillot de bain, l’été, sur la plage.
C’est avec leur aide que j’ai compris que ce n’était que deux lignes sur mes jambes, qu’elles étaient ce qu’elles étaient — et que franchement, on s’en fiche.
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Plus encore, j’ai compris que ces cicatrices, un peu comme des tatouages, nous racontent. Elles évoquent des épreuves que l’on a pu traverser et sont les marqueurs d’une vie qui n’a pas toujours été un long fleuve tranquille.
Et puis, quand on prend un peu de recul, ces traces, que ce soient des cicatrices, des taches de naissance ou d’autres particularités cutanées, font l’authenticité d’une personne.
Elles font qu’elle ne ressemble à aucune autre, alors pourquoi ne pas en faire une fierté à revendiquer ?
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Le regard des autres sera toujours là, il vaut mieux apprendre à l’apprivoiser et à ne plus s’en formaliser — tout en envoyant promener bien loin les personnes qui se permettent de faire des commentaires.
Ces marques font partie de ce que nous sommes, alors de mon côté, j’ai appris à les regarder avec bienveillance, à accepter la curiosité lorsqu’elle ne dépasse pas certaines limites, à ne plus jamais douter du fait de mettre un short un peu court ou une robe qui tombe à mi-cuisse, et à ne plus jamais laisser qui que ce soit être humiliant à mon égard.
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