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« Dans le jeu vidéo, une photo d’une fille noire, c’est un motif de harcèlement »

Être une femme noire qui évolue dans l’univers du gaming, c’est un acte militant. Jennifer Lufau, créatrice d’Afrogameuses, raconte son vécu du sexisme et du racisme dans ce milieu et présente les objectifs de sa page fraichement créée.

Être une femme noire passionnée de jeux vidéo et de culture geek en 2020 ? Quel culot !

Oui, il semblerait que pour une partie de la communauté gaming, une femme, et de surcroît une femme noire, n’ait pas sa place dans l’industrie du jeu vidéo.

Jennifer Lufau, créatrice d’Afrogameuses et passionnée de jeux sur PC depuis sa tendre enfance, a pour autant décidé qu’elle continuerait à kiffer sa passion, tout en soutenant et incitant chaque femme noire qui le veut à faire de même.

Elle me raconte son vécu du racisme et du sexisme dans le milieu du gaming et les objectifs d’Afrogameuses.

Afrogameuses : une passion du jeu vidéo transformée en militantisme anti-raciste et anti-sexiste

Jennifer Lufau a 27 ans, elle est née au Togo, a vécu au Bénin jusqu’à l’âge de 7 ans puis a emménagé en France où elle vit depuis 20 ans et travaille aujourd’hui en tant que freelance en marketing digital.

Son attrait pour les jeux vidéo et notamment sur PC, il est né dans sa tendre enfance, au Bénin, lorsqu’elle jouait à Prince of Persia avec son frère.

En grandissant, elle se rend rapidement compte qu’en tant que femme noire elle n’est pas la bienvenue parmi les joueurs en majorité masculins, déjà largement réputés pour leur sexisme.

Femmes sous-représentées dans l’industrie du jeu vidéo et dans les personnages des jeux, racisme et sexisme décomplexés, joueuses qui cachent leur genre et leurs origines ethniques par crainte du harcèlement… le 14 juillet 2020, Jennifer est décidée à faire changer les choses et créé Afrogameuses.

Jennifer Lufau, créatrice d’Afrogameuses : « Les gens sont toujours choqués qu’il y ait des filles qui jouent à des jeux vidéo, c’est incroyable. »

Océane : C’est quoi ton histoire avec les jeux vidéo ?

Jennifer Lufau : Depuis que je suis très jeune, j’ai toujours adoré y jouer. J’ai découvert les jeux PC en jouant à Prince of Persia avec mon frère au Bénin, quand j’étais toute petite.

En grandissant, j’ai été embarquée dans des vrais jeux PC, des roles playing, des RPG. À l’adolescence, j’ai joué à des jeux auxquels tout le monde jouait à l’époque, comme League of Legends. J’ai toujours aimé les jeux de combat en particulier.

Quand j’étais à la fac, j’essayais de partager cet univers à plein de gens, je faisais des présentations sur le gaming, sur des jeux qui me plaisaient, sur les enjeux du serious game… J’ai même écrit un mémoire sur le sujet.

Ça faisait vraiment partie de moi. Pour la petite anecdote, je vis aujourd’hui avec mon conjoint que j’ai rencontré via les jeux vidéo !

Quels sont les objectifs et les enjeux d’Afrogameuses ?

Pour l’instant, je dirais que le premier objectif est vraiment de créer une communauté, même si je sais que le côté « communautaire » n’est pas forcément apprécié en France.

Le gaming est censé être un univers fun où tout devrait être rose, ça ne devrait être que du bonheur de jouer à des jeux quand tu es une femme noire, mais malheureusement ce n’est pas pas le cas.

L’objectif est donc aussi de dénoncer parce que, tu dois le savoir, l’univers du jeu vidéo est très masculin et peut être hyper sexiste et aussi très raciste.

Créer Afrogameuses, c’est aussi une manière de prendre en compte cette réalité-là que vivent les filles noires qui jouent au jeux vidéo.

C’est vraiment important de nous rassembler parce que le nombre fait la force pour nous donner de la visibilité. Je pense que c’est cette visibilité-là qui va nous permettre, après, d’essayer de changer les choses dans le monde du gaming.

Il y a plein de minorités qui sont silencieuses. Elles méritent qu’on fasse des jeux qui leur sont accessibles et qui les représentent. C’est bien connu, il y a des études qui ont prouvé que plus les jeux sont accessibles, plus les équipes sont diversifiées et plus les jeux ont du succès.

Il y a la question de la représentation des femmes noires dans les équipes de conception des jeux vidéo. Mais aussi directement dans les personnages des jeux, parmi lesquels elles sont rares ?

Oui, un autre point important est la question de la représentation des femmes noires directement dans les jeux vidéo qui au final est quasi inexistante actuellement.

J’avais fait toute une story sur le sujet sur le compte Instagram d’Afrogameuses, dans laquelle j’expliquais qu’un problème récurrent c’est la conception de ces personnages féminins noirs-là, qui, quand ils existent, sont stéréotypés et souvent ne servent pas à grand-chose.

Ils sont vraiment là pour le décor et quand je demandais à mes followers de me citer des personnages féminins noirs intéressants ou indépendants, ils n’y arrivaient pas.

En faisant des recherches, je me suis rendu compte que les personnages féminins noirs que je trouvais étaient vraiment inutiles ou alors très ambigus.

Dans le sens où si la représentation passe par la couleur de peau, c’est-à-dire que moi quand je vois un personnage qui est clairement une femme noire, je suis contente et j’arrive à m’identifier. Quand le personnage est juste mat de peau ou métissé sans indications claires de ses origines, c’est très difficile de s’identifier.

Ces personnages-là, on ne sait pas s’ils sont noirs, latinos, métissés d’autres ethnies… On n’en sait rien et pourtant c’est quelque chose qui est important pour la représentation.

As-tu un exemple de personnage féminin noir dans un jeu connu qui illustre ton propos ?

Si on prend l’exemple du jeu hyper connu League of Legends, il n’y avait pas de personnage féminin noir. Jusqu’à il y a deux ans, quand ils ont sorti le personnage de Senna.

Et comme dans plein de jeux, on dirait qu’il a fallu qu’ils trouvent une raison pour créer ce personnage.

Senna est une femme noire, très clairement : peau foncée, cheveux locksés, il n’y a pas d’ambiguïté. Mais elle n’existe que parce que c’est la femme d’un autre personnage qui lui est le premier personnage noir du jeu et est arrivé un peu plus tôt.

Elle n’est pas arrivée comme ça, du jour au lendemain, juste pour créer un personnage fort et puissant.

Senna est un exemple que j’aime bien citer parce que c’est aussi le premier personnage noir auquel j’ai personnellement réussi à m’identifier.

Quand il est sorti j’étais hyper joyeuse, hyper contente : c’était dans mon jeu préféré auquel je jouais depuis des années et enfin ils ont créé un personnage qui me ressemble.

A titre personnel, as-tu déjà été victime de racisme ou de sexisme en tant que joueuse ?

Complètement. C’est pour ça que j’ai créé Afrogameuses. Parce qu’à la base je ne pouvais parler que de mon expérience à moi, mais en discutant avec d’autres filles noires qui ont rejoint le réseau, j’ai bien vu que mon vécu était récurrent.

Oui, moi j’ai vécu, reçu, entendu et lu des remarques sexistes et racistes, c’est un combiné des deux.

Il existe plein de communautés et organisations qui veulent promouvoir l’insertion de la femme en général dans le milieu du gaming, il y a par exemple Women In Games que je suis depuis très longtemps qui est un modèle. Ils font vraiment beaucoup de boulot, je les admire beaucoup et j’en suis membre depuis quelques années.

Mais ce que moi je vivais, je ne le voyais pas dans Women in Games, je pouvais le voir en tant que femme, mais pas en tant que personne noire, parce que je pense que le groupe est majoritairement composé de personnes blanches.

Il y a aussi Persos Cachés au service des personnes racisées dans le milieu du gaming, pour les minorités de manière générale.

Concrètement, comment se manifeste le racisme ou le sexisme que tu as vécu dans les sphères du jeu vidéo ?

Ce que je préfère dans le milieu du gaming, c’est la sociabilisation.

Quand tu arrives sur un jeu où tu dois parler dans le chat, ou que tu as tout simplement un nom de gamer qui fasse un peu féminin, ça suffit déjà aux gens pour se rendre compte que tu es une fille, et à partir de là ça peut déclencher des remarques comme « Tu es une fille, qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne devrais pas être là ! ».

Les gens sont toujours choqués qu’il y ait des filles qui jouent à des jeux vidéo, c’est incroyable. On est en 2020 !

En plus de ça, si ces personnes-là se rendent compte à un moment donné que tu es noire… Ça m’est arrivé surtout quand j’ai fait du streaming, j’ai reçu des remarques racistes.

On a pu me dire des choses pas très subtiles comme « Tuez les noirs ». Ça ne me choque même plus aujourd’hui. Pour autant, il faut quand même lutter contre.

J’ai vu que certaines femmes pouvaient se faire passer pour des hommes quand elles jouent, est-ce une réalité, l’as-tu déjà fait ?

Oui, complètement. C’est dommage parce que tu t’empêches d’être toi-même, alors que tu es juste censée être là pour passer un bon moment.

Ça m’est déjà arrivé de choisir un pseudo qui soit complètement neutre ou alors de ne pas mettre de photo de moi, même si j’en ai envie. Une photo d’une fille, et en plus de fille noire, c’est un motif de harcèlement pour beaucoup.

Il y a beaucoup de filles qui préfèrent ne rien laisser paraître juste pour être tranquilles. Ça va loin.

Y a-t-il quelque chose que tu veux rajouter, un point que tu tiens à aborder ?

Quelque part, je n’en veux pas personnellement à l’industrie pour ce manque de représentation parce que les gens, à mon humble avis, ne peuvent pas forcément créer ce qu’ils ne connaissent pas ou ne voient pas.

C’est pour ça que le fait d’avoir ce groupe et d’inciter des femmes noires à venir, de leur parler, de leur faire comprendre qu’elles aussi peuvent se lancer dans le domaine, dans le streaming, en tant que gamer pro ou dans les études des métiers du jeu vidéo, c’est important.

Parce qu’au final, qui sont les personnes les mieux placées pour créer des personnages féminins noirs ? Ce sont les femmes noires !

C’est pour ça qu’à mon avis, il faut vraiment vulgariser toutes ces choses-là pour que l’information arrive aux oreilles de toutes et surtout qu’on fasse comprendre aux jeunes filles noires que ce sont des métiers qui sont accessibles pour elles, qui sont viables, et qu’elles ne sont pas des anomalies.

Se mobiliser pour rendre l’industrie du jeu vidéo plus inclusive avec Afrogameuses

Dans les mois à venir, Jennifer aimerait qu’Afrogameuses devienne une véritable association pour pouvoir agir concrètement.

Créer un site web, former des femmes, rencontrer les jeunes femmes noires pour leur montrer qu’elles ont leur place dans le milieu du gaming, contacter directement les studios pour les mettre face à la réalité actuelle et les encourager à changer les choses.

Pour l’aider dans ce sens et rejoindre la communauté, rendez-vous sur Twitter et Instagram et sur sa page uTip. Je te laisse avec les derniers mots de Jennifer sur l’importance qu’elle accorde à l’inclusivité sur Afrogameuses :

« Pour moi, Afrogameuses devrait malgré tout être un groupe inclusif, c’est-à-dire qu’il est dédié à la valorisation de la femme noire, mais je ne veux pas qu’il n’y ait que les femmes noires qui viennent dedans.

Il faut que ce soit aussi large que possible et accessible aux autres personnes qui travaillent dans le milieu pour qu’ils se rendent compte des besoins qu’il y a et des réalités que nous vivons.

Il n’y a que comme ça qu’on va pouvoir changer les choses, à mon avis. »

À lire aussi : Que se passe-t-il chez Ubisoft ?


Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.

Les Commentaires

2
Avatar de Marie
20 août 2020 à 15h08
Marie
Bravo Jennifer et longue vie à Afrogameuses
2
Voir les 2 commentaires

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