J'ai beau être matinale j'ai mal
J’ai toujours trouvé drôles ces posters de salle d’attente chez le médecin, vous savez, ceux qui alimentent la psychose de l’internationale des ménagères : les affiches de prévention des accidents domestiques. L’obsession paranoïaque pour les bobos à la maison, je pensais que c’était une déformation professionnelle réservée aux jeunes mamans (je dis quand même « professionnelle » parce que je conçois bien qu’être mère est un métier à plein temps – c’est une des phrases préférées de ma Maman).
Bref : à en croire ces affiches, le risque de se couper / se brûler / être intoxiqué / se retourner un os se trouve à chaque pas que vous faites dans ce que vous croyez être ce nid douillet et cette antre de sécurité – votre maison. Et moi qui me disais qu’à moins de descendre 1 litre de bourbon et de jouer à colin-maillard entre son salon et sa cuisine, il n’y avait aucune chance de finir sur une table d’opération aux urgences ! Eh bien, j’ai testé pour vous la démonstration du contraire. Et pour bien corser l’affaire, je vous ai testé ça à l’étranger, histoire de bien rendre stressantes toutes les procédures (« comment on dit SANG et BLESSURE en allemand ? »).
Un certain plaisir à faire sa vaisselle…
Pour vous remettre les choses dans le contexte : à la base, j’aime plutôt faire la vaisselle. Je ne dis pas que je trépigne à chaque fois de joie à l’idée de laver 10 fourchettes et 20 assiettes, mais au moins, je ne fais pas partie de ces gens pour qui une montagne de trucs à laver donne des envies d’anti-dépresseurs.
Allons jusqu’à dire que j’éprouve une certaine satisfaction à remplir l’égouttoir de verres et de couverts propres : je trouve ça apaisant de voir directement le résultat concret (une vaisselle toute propre qui sent le Paic citron) d’un effort précis (15 minutes de savonnage et rinçage).
En fait, l’unique inconvénient que je trouvais à la besogne, c’est le vernis O.P.I. qui s’écaille, la peau sèche après, et la radio qu’on n’entend plus (c’est vrai, c’est quoi ce truc de n’écouter une émission littéraire à la radio que quand on lave ses bols et son plat à gratin ? Sainte hypocrisie ! En fait, on n’entend rien de ce que pense ce critique des romans surréalistes et de leur survie au XXIè siècle).
… jusqu’à l’épisode de la Mer Rouge
Ce samedi midi là, je venais de me réveiller. On avait fait une petite soirée à l’appart la veille, donc le salon et la cuisine était un peu sans dessus-dessous. Division des tâches pour plus d’organisation : mon copain saisit le seau et la serpillière pour le parquet, moi je m’avance vers l’évier rempli de la cuisine. J’empoigne machinalement un verre, le frotte de la façon la plus habituelle du monde, tout en continuant à debriefer la soirée de la veille (une activité de la plus haute importance, les lendemains de soirée).
Et là, HORREUR : le verre était légèrement fêlé, et en le frottant de l’intérieur, je le fais exploser dans ma main, la moitié du verre me rentre dans la peau, je me mets à saigner abondamment. Ma plaie est a) large, b) profonde et je mets quelques secondes à réaliser que je viens de salement me couper. Le temps d’expliquer la situation à mon copain, j’ai déjà de quoi remplir un verre sale au fond de l’évier avec mon sang.
Il aurait suffit d’y ajouter une feuille de basilic à côté, et n’importe qui aurait pu croire à un jus de tomates bien frais. MIAM !Stopper le sang le temps de se traîner jusqu’à la pharmacie
Ni une ni deux, mon copain s’empare de tous les tissus de la maison, se demandant à chaque fois si la compresse de fortune aura de quoi stopper l’hémorragie. Son tee-shirt blanc ? Non, trop large – et l’enrouler 80 fois autour de mon doigt en sang me tordra vraisemblablement de douleur. Une chaussette de sport ? A priori, très bonne idée – assez épais, pas trop long… mais peut-être pas assez hygiénique. Le set de table mexicain ? Il présente le très gros avantage d’être déjà rouge… mais pas question de le salir, on rend l’appart dans un mois et la proprio reste de tirer la gueule si on lui détruit son souvenir de Guadalajara 1993… Passé le moment où l’on se maudit tous les deux de ne pas avoir pensé à se faire une trousse premiers soins, voilà mon vaillant prince charmant qui arrive vers moi le rouleau de papier toilette à la main. Il m’enroule la main dedans, j’ai le temps une dernière demi-seconde de constater que ma blessure est effectivement bien profonde, et puis on file à la pharmacie.
Sur la route, garder son calme
On marche assez vite, sans pour autant se mettre à courir (feignons de gérer la situation avec maîtrise de soi et sérénité !). Mon copain me répète qu’il est fier de moi parce que j’arrive à rester calme, mais le sourire crispé avec lequel il le dit et la grimace que je n’arrive pas à quitter depuis le bain de sang me fait penser qu’on sait tous les deux que ce n’est pas vrai.
Je réalise que, dans la panique, j’ai quitté l’appartement sans mettre de soutien-gorge et sans me laver les dents. Le premier oubli ne me dérange pas (si on met de côté le fait que ma main est actuellement enroulée dans du PQ, la douce brise qui me chatouille la peau sous mon tee-shirt est agréable et il fait un magnifique temps), le second détail est un peu plus regrettable (mon délire bohème sexy et insolente les seins à l’air s’arrête là où l’odeur de l’alcool ingéré la veille commence).
À la pharmacie
Mon copain sort de sa poche le petit bout de papier où il a noté la traduction en allemand de « elle s’est coupée en faisant la vaisselle » et le lit à voix haute, de son air le plus serein possible. Ça a l’air de marcher, puisque la pharmacienne nous regarde en acquiesçant, puis va chercher des (vraies !) compresses. Je lui montre ensuite ma blessure – et là, elle fait machinalement 3 pas en arrière, secouant la tête, l’air de dire « ah ce n’est pas de mon ressort », avant de nous indiquer l’hôpital le plus proche.
Je regarde mon amoureux l’air désespéré : le mot « hôpital » fait mourir en moi tout espoir de ne m’en sortir qu’avec un petit pansement et rentrer à la maison en 5 minutes. Sur la route pour y aller, mon copain essaye de me calmer en me racontant cette fois où il s’est fait mordre par un rat dans un couloir. « On voyait même mon os ! » Je ne comprends pas bien en quoi cette anecdote est supposée m’apaiser, mais je hoche de la tête et essaye de ne pas me plaindre comme une chochotte (JE NE SUIS PAS UNE CHOCHOTTE, non non => je me le répète 10 fois).
Aux urgences
Une fois la paperasse terminée (ouf, ma carte européenne de sécurité sociale était bien restée dans mon porte-feuille), on se retrouve à attendre de longues heures dans la salle d’attente.
Un couple s’engueule, un mec qui ressemble à un shaman fait les 100 pas, une dame dort la bouche ouverte (ce qui renseigne pas mal sur le temps d’attente que l’on va subir…) et un jeune (le mec qui a l’air le plus normal de la salle d’attente) regarde, l’air blasé, l’équivalent allemand de la Star Academy.
Il est 18h, on n’a pas encore déjeuné, j’ai mal à la main, j’ai faim, j’ai soif. Heureusement que mon aimé se dévoue, parce que je n’en aurais pas eu la force moi-même : il se dirige vers le distributeur et nous sort 2 Balisto yaourt/fruits rouges, puis va à la cafèt et me ramène un grand jus d’orange frais. Trois longues heures après, une infirmière appelle mon nom. Elle demande à mon copain de m’attendre dehors, je m’avance vers le bloc opératoire seule, comme une grande, une femme prête à embrasser son destin l’air serein le regard apaisé et.. – blablabla, vous voyez le genre.
Dans le bloc
À la gueule que les infirmières (soit des femmes supposées être habituées à la vue du sang) tirent en voyant ma blessure, je comprend l’ampleur des dégâts. Un chirurgien plutôt aimable me fait m’allonger sur une table opératoire. Il me sourit, me demande de lui raconter comment je me suis fait ça.
À défaut de savoir le dire en allemand, je lui explique en anglais ma mésaventure, il me regarde, j’ai l’impression que ses cheveux poivre et sel et son sourire calme sont en train de me dire « meuf, tout va bien se passer ! » et je me dis que ce monsieur qui aurait pu jouer dans Grey’s Anatomy est plutôt gentil. Sa gentillesse s’arrête en fait pile au moment où, sans crier gare, le type enfonce son doigt ganté dans ma plaie et me dit de bouger le doigt (le mien).
Je lui hurle que j’ai super mal, il continue et me dit d’essayer, je lui dis que je sais que j’en serais capable mais que vu ce qu’il me fait, ça me fait juste beaucoup trop mal; il me répond, stoïque, que je dois absolument coopérer si on veut vérifier que je n’ai pas perdu mes réflexes. Je souffle un bon coup et m’imagine semblable aux femmes qui accouchent (dans les films, on les voit toutes décoiffées, suintantes, stressée, mais le regard vif => j’étais PAREIL), puis lève le doigt. Tadaaam, je n’ai pas perdu mes réflexes ! « Sehr schön », dit le chirurgien.
L’opération en elle-même
On me fait une anesthésie locale et me peinturlure la main de Bétadine. Puis, une interne s’avance vers moi, et pendant que le chirurgien fait son affaire, elle me pose des questions, l’air de vouloir me faire parler pour me faire penser à autre chose. Sans trop savoir comment, je me retrouve à lui parler de mon installation à Berlin avec mon mec, du prix trop élevé des logements à Paris et des cursus journalistiques en France.
J’ai visiblement besoin de parler, puisque je ne m’arrête plus : je parle, je fais des blagues, j’imite la voix de ma proprio, je m’offusque du prix de l’immobilier en France, essaye de retrouver la marque de ces yaourts que j’adore, et je me rends à peine compte que la jeune femme ne me répond qu’une fois sur deux, par un « hmmm OK… », avant de se pencher sur le travail du chirurgien pour observer et apprendre, puis me relancer par une autre question très psycho (« parlez moi un peu de.. », « racontez-moi donc comment… », « dites m’en plus sur… »).
À un moment, entre ma tirade sur les études de graphisme de mon copain et celle sur « le fait que d’ordinaire, je suis pas du genre à avoir peur à la vue du sang », j’entends le mot « SCALPEL » dans la bouche du chirurgien. Sans grande surprise, « scalpel » en allemand veut dire la même chose que « scalpel » en français, mais en plus effrayant – à cause de l’accent. Je reste calme et relativise (ce n’est qu’un doigt.. comment ils font, les mecs de la pègre dans les films, quand ils se font couper l’index entier ?)
Le manuel de la parfaite petite couturière
Quelque chose comme 30 minutes plus tard, on m’apprend que l’opération est terminée. J’ai encore le doigt un peu endolori, mais suis rassurée par ce deuxième chirurgien passé voir le résultat et s’écrier que c’est du bon travail. La grosse infirmière rousse me fait une petite caresse sur la jambe, l’espace d’une seconde je vois en elle ma Maman restée en France, soupire un peu, puis la laisse me faire un bandage. J’ai 7 points de suture.
Sortir de l’hôpital, VITE
En retrouvant mon copain dans la salle d’attente (le pauvre a eu le temps de faire une analyse sociologique de tous les cas sociaux de l’hôpital + relire tous ses textos sur son iPhone, soit 2 choses qu’il ne fait normalement jamais), je n’ai qu’une envie : rentrer à la maison, déjeuner (il est 21h, ça fait tard le brunch…) et être chouchoutée. Je fais vaguement la fière avec mes 7 points de suture l’air de dire que j’ai enfin une street cred, mais imagine déjà les discussions : « wooow 7 points de suture ? Tu t’es battue ? – euh bah en fait, je me suis coupé avec un verre en faisant la vaisselle, – AH. »
Morale de l’histoire
Considérer son propre domicile comme un nid à dangers, j’ai toujours trouvé ça hyper psychose de femmes au foyer stressées. Mais à partir de maintenant, 1. j’arrêterai de faire ma vaisselle comme un bourrin, 2. je me ferai une petite trousse de secours, à ranger dans un meuble de la salle de bain. Et je vous conseille de faire de même !
L’avantage
Pour les 14 jours à venir, c’est mon mec qui fait la vaisselle.
L’inconvénient
J’ai besoin de lui pour me laver.
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Les Commentaires
j'y ai pas eu le droit quand je me suis (fait) écrasé les doigts malgré mes demandes de distraction. (en même temps j'ai même pas eu le droit de ne pas avoir mal, alors bon....)
devoir se faire soigner à l'étranger, les boules quand même :s
question : c'est quoi ce réflexe "pharmacie" quand on se fait mal ? c'est les seuls en médecine qui ne font pas de soins !