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Culture

Zone Interdite et les « nouvelles séductrices »

Zone Interdite avait pour thème hier soir « Amour, Sexe, Séduction : les codes ont changé ». Un reportage qui parle des « nouvelles séductrices » de notre génération. Ah bon ?

– Un article rédigé à deux cerveaux avec Mady.

Hier, Zone Interdite comportait un long reportage intitulé Amour, Sexe, Séduction : les codes ont changé, une émission qui nous explique que les femmes décident aujourd’hui de qui elles veulent dans leur vie, et pour combien de temps. Des « célibataires d’aujourd’hui », qu’ils disent.

Pour bon nombre d’entre nous, c’est une situation tout à fait logique. Mais rappelle-toi que devant la télé, il n’y a pas que des gens comme nous, qui évoluent en même temps que la société qu’ils font d’ailleurs eux-même changer. Devant la télé, y a aussi des gens un peu âgés ou moins informés, dont certains qui n’ont même pas pu choisir la personne avec qui ils/elles se sont marié-e-s. Effectivement, eux ont probablement appris quelque chose devant cette émission.

Enfin… Ça reste à prouver.

Il faut bien avouer que les personnes qui ont accepté de figurer dans le reportage étaient des clichés ambulants. Peut-être que cette « nouvelle séduction » nous paraît, à nous, si naturelle qu’on ne va pas juger intéressant d’aller dire à la télé « Bah euh, c’est même pas que je couche au premier rendez-vous, moi je couche parfois AVANT le premier rendez-vous. Quand j’ai envie, quoi, pas systématiquement, je suis pas un robot. C’est ça votre question ? Oui ? Ah bon bah alors d’accord. Voilà. ».

Wendy Bouchard a présenté le reportage de la façon suivante :

« L’une des vocations de cette émission c’est d’accompagner l’évolution de la société. Et ce soir vous allez découvrir combien les codes de la séduction ont changé. L’homme qui invite la femme à danser par exemple, ça semble dépassé. Aujourd’hui c’est la femme qui prend le pouvoir. Et parmi les cinq millions de célibataires, ce sont les trentenaires qui sont les plus entreprenantes. Elles vont quasiment à la chasse pour trouver un mâle. L’homme qu’elles recherchent répond à des critères très précis, un peu comme quand on choisit une voiture. »

En gros, les femmes hétéros cherchent à être en couple avec un mec qui leur correspond, et pratiquent le coït sans s’attacher si elles en ont envie. Pour décrypter ce phénomène, l’équipe de Zone Interdite est allée à la rencontre de femmes qui ont donc « pris le pouvoir » sur les petites choses de l’amour. « Filles ou garçons ce soir, vous allez probablement vous retrouver dans cette enquête », m’a promis Wendy Bouchard avant de lancer le reportage.

Je suis désolée Wendy, mais c’était pas trop le cas.

De la Parisienne autoritaire…

On commence le reportage avec Séverine. Séverine a 33 ans, elle déclare ne plus être impressionnée par les hommes et elle aime parler d’eux au hammam avec sa BFF. Elle trouve que les mecs dégagent une image de loser auprès des femmes, qu’ils ne savent pas ce qu’ils veulent et qu’ils ne savent pas non plus séduire.

La voix off explique que la trentenaire n’hésite pas à jouer au Don Juan au féminin. Moi je dis c’est cool, moi je dis banco : les femmes comme les hommes ont droit d’être à égalité dans la séduction, d’utiliser la méthode qui leur ressemble le plus pour choper. Elle explique qu’elle n’est plus intimidée par les hommes et c’est à mes yeux une très bonne chose : pourquoi être intimidée par un genre, après tout ? Nous aussi, on a le droit d’y aller cash comme elle, à base de « droit au but » (qui n’est plus une expression réservée à la sodomie).

Le truc c’est que le reportage nous montre du quotidien de Séverine est bien loin du don juanisme : c’est du control freakism snob. Elle ne va pas à des rendez-vous, elle fait passer des entretiens (même si elle appelle les mecs pour leur proposer d’aller boire un verre « tranquille à la cool »). Elle dit qu’elle aime les hommes virils, que les mecs sont là pour nous protéger, se renseigne sur la taille de leur appartement pour voir si ça vaut le coup de s’intéresser à eux et se montre déçue quand ils ne paient pas l’addition.

severineSéverine, déçue.

On nous présente les célibataires comme tout à fait différentes des clichés d’antan, comme un truc totalement renversant, des habitudes qui ont changé du tout au tout, mais au final on en revient toujours au même stéréotype : les filles rechercheraient un mec qui gagne bien sa vie et se montre galant.

Ça a quelque chose de très ambivalent, c’est un discours que je ne comprends pas.

Plus tard, on voit même Séverine participer à une sorte de séminaire pour célibataires à Montpellier, organisé pour un site de rencontres. Elle et les autres adhérentes font passer un entretien d’embauche aux membres masculins, qui doivent fournir au préalable CV et lettres de motivation. On parle là de « fusion-acquisition » pour décrire la mise en couple, de SARL pour Sexe Audace à Responsabilité Limitée et on se gausse entre filles d’une malheureuse faute d’orthographe.

L’idée derrière ce site de rencontres était de montrer aux femmes que les hommes inscrits étaient sérieux en amour, qu’ils avaient déjà eu des expériences et qu’ils n’étaient pas nés de la dernière pluie. Je sais pas toi, mais je trouve surtout ça profondément cynique.

…à la provinciale paumée

L’autre héroïne de cette soirée, c’était Cathy. Cathy est traumatisée par son divorce ; depuis, elle fréquente des mecs avec qui elle ne s’engagera pas. Elle est très claire sur le sujet avec Sébastien, son plan cul du moment (celui qu’on voit en slip en train de lui faire un massage pré-coïtal)… qui avoue en « off » qu’il attend qu’elle change d’avis et qu’ils puissent se mettre en couple.

C’est quand même pas de chance de tomber sur des témoins comme eux, où même si les règles sont établies à la base, l’un s’attache et attend l’autre ! Seb attend Cathy, qui drague ouvertement d’autres mecs devant lui et dit face caméra, pendant qu’il lui masse le dos, qu’elle le considère comme un objet sexuel. On peut difficilement faire plus direct.

L’expérience de Cathy a au moins le mérite de montrer la pression pesant sur les épaules des filles qui aiment le sexe et qui le pratiquent quand elles sont célibataires : une de ses clientes, dans la même tranche d’âge qu’elle et également célibataire, la jugeait sans fard, à coups de « Je suis pas de ce genre-là » ou « Ça fait fille facile ». Cathy ne s’est pas décomposée pour autant, et elle a totalement raison : elle n’a pas honte de ses désirs. C’est aussi simple que ça, et le fait que M6 montre une jeune femme qui revendique sa liberté à disposer de son corps, ça m’a fait vachement plaisir.

Oui mais… il y a toujours un mais.

Quelques minutes après, Cathy explique à une amie qu’elle a décidé de considérer tous les hommes comme des proies, puisque ceux qu’elle a côtoyés la considéraient comme telle. La démarche devient plus revancharde qu’assumée et appréciée, et m’a laissée un peu suspicieuse. Cela dit, c’est possible de combiner les trois, j’imagine, mais son discours n’a pas été suffisamment approfondi pour que je puisse en comprendre toute la nuance.

En prenant ces exemples-là, sans personne pour nuancer le propos, le reportage a été transformé en constat alarmiste. Il nous a emmené-e-s dans un monde où un genre veut absolument avoir l’ascendant sur l’autre, où les mecs hétérosexuels deviennent mous et soumis à la volonté des femmes. J’ai pas arrêté d’entendre que les femmes prenaient le pouvoir sur les hommes dans le reportage, mais y a une nuance énorme entre prendre le pouvoir sur l’autre sexe et s’affirmer dans ses relations !

Prendre le pouvoir sur sa vie, son corps, son (absence de) couple, ce n’est pas pareil que de prendre le pouvoir sur les autres.

« Femmes exigeantes contre hommes désorientés », nous dit la voix-off à la fin du reportage. Pourquoi cette opposition ? Montrer que les femmes d’aujourd’hui sont de plus en plus nombreuses à assumer leur sexualité, c’est tout à fait louable. Présenter le fait que les femmes aient de plus en plus d’exigences (qui, au final, peuvent souvent être résumées par « j’ai envie d’être heureuse avec cette personne ») et que c’est ce qui pose problème aux hommes, là ça m’ennuie beaucoup plus.

Parce qu’avoir des exigences ne signifie pas qu’on empêche le sexe désiré d’en avoir aussi ! Ça veut simplement dire que de nos jours, c’est devenu normal de composer avec celles de l’autre. De ne pas imposer ses choix.

À un moment, dans l’émission, on nous présentait Nicolas, un célibataire paumé qui payait 800€ un « professionnel de la séduction » pour qu’il lui refasse son profil Adopte un mec (personnellement ça fait des années que j’aide les gens avec leurs profils et textos : la prochaine fois, je fais un devis). Le jeune homme ne savait tellement pas ce qu’il voulait qu’il a emménagé au bout de trois semaines avec sa nouvelle copine, pour laquelle il ne ressentait pourtant pas grand-chose.

Pourquoi prendre une décision qui sent à ce point la mauvaise idée ? Parce que la jeune femme le voulait, et qu’elle a su l’en convaincre. Alors bon, je ne veux pas juger, mais c’est pas être déboussolé face aux exigences de l’autre, là : c’est carrément oublier son propre statut d’être humain.

sebastienL’angoisse dans les yeux de Sébastien quand Cathy dit « Par respect je vais pas rentrer avec quelqu’un d’autre mais il suffirait qu’il me dise que je ne PEUX pas le faire pour que justement, je le fasse. » 

Peut-être que je vis dans une bulle, mais mon entourage est différent de ces gens-là : il est fait de communication, de respect de l’autre, de sexe consommé comme on le souhaite, quand on le souhaite, et surtout comme et quand l’autre est d’accord. Je conçois qu’il y ait des gens comme Séverine, comme Cathy, comme Nicolas et Sébastien, mais nous les présenter comme des symboles de la génération de trentenaires, c’est un peu fort de café !

Il y a des gens qui assument mieux leurs choix, qui s’assument eux-mêmes davantage, et qui sont vachement heureux dans leur vie.

Alors oui, il y a des histoires d’amour qui se terminent, mais c’est parce qu’on ne s’impose plus de rester avec des gens qu’on n’aime pas. Heureusement ! À un moment, Cathy ou Séverine disait « J’ai pris en maturité, je veux donc pas souffrir ». Mais en vrai, je suis pas sûre que ça soit ça, gagner en maturité.

Bien sûr, c’est triste de ne plus aimer ou de ne plus être aimé-e, mais ça vaut le coup de prendre le risque — et c’est pas parce qu’on trouve une personne absolument parfaite, après lui avoir fait passer mille tests, entretiens et sélections, qu’on a moins de chances de morfler à un moment ou à un autre. Ça n’a rien à voir avec une histoire de magie qui s’éteint, ou avec la façon dont le sexe est consommé. C’est mille fois plus simple que ça.

Le sexe et/ou l’amour, au fond, rappelons-le, ce n’est qu’une affaire de choix, de complicité et un peu de hasard. Mais surtout, surtout pas une histoire de consommation, comme on a pu l’entendre tellement de fois dans l’émission.

Quoiqu’il en soit, si tu souhaites voir ou revoir l’émission en replay pour te faire ton propre avis, c’est sur 6play.


Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.

Les Commentaires

22
Avatar de super-flue
3 juin 2014 à 22h06
super-flue
Avec toute cette discussion je suis en train de regarder le replay, dès le début on voit une nana sur adopteunmec et la voix off commente qu'elle a une méthode pour choisir qui évincer et tout ça, ils présentent ça comme quelque chose de problématique, qu'elle sache ce qu'elle ne veut pas.

Du coup je vous mets le Ted Talk de Amy Webb "how i hacked online dating" qui m'avait fait beaucoup rire et qui montre tout ça d'un point de vue totalement différent
amy webb - ted talk
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Voir les 22 commentaires

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