Ray Bradbury est mort. Je sais, c’est pas nouveau, mais ça me fait toujours une petite déchirure dans la partie « rat de bibliothèque » de mon être. Il y a quinze jours – j’avais raté ça – le Huffington Post publiait un de ses textes, l’introduction au recueil The Best American Nonrequired Reading 2012, et précisait que selon un tweet de Sam Weller, le biographe officielle de Ray Bradbury, il s’agit là du dernier écrit sorti de ce cerveau génial.
Et comme chez madmoiZelle on est des gens vraiment cools, je vous l’ai traduit.
Quand j’avais sept ans, j’ai commencé à aller à la bibliothèque, et j’ai pris dix livres pour la semaine. La bibliothécaire m’a regardé et m’a demandé : « Qu’est-ce que tu fais ? ».
« Comment ça ? », ai-je demandé.
Et elle répondit : « C’est impossible, tu ne pourras jamais lire tout ça avant de devoir les rendre. »
« Si, je peux. », lui ai-je dit.
Et je suis revenu la semaine suivante pour dix nouveaux livres.
En agissant ainsi, j’ai dit à cette bibliothécaire, poliment, de ne pas se mettre en travers de mon chemin et de me laisser « devenir ». C’est ce que les livres font. Ils sont les briques, ou l’ADN, si vous voulez, de ce que vous êtes.
Pensez à tout ce que vous avez lu, tout ce que vous avez appris d’un bouquin entre vos mains, et à la façon dont ces connaissances vont ont façonné, et ont fait de vous la personne que vous êtes aujourd’hui.
En remontant maintenant le temps jusqu’à ce jour où j’ai découvert les livres à la bibliothèque, je vois bien que j’étais, tout simplement, en train de tomber amoureux. Chaque jour, chaque merveilleux jour, je tombais amoureux des livres.
La bibliothèque de Waukegan, dans l’Illinois, la ville où j’ai grandi, était un temple pour l’imagination. Elle fut construite par Andrew Carnegie, le philanthrope qui bâtit des bibliothèques à travers tout ce grand pays. J’ai appris à lire en me penchant sur les bandes dessinées dans le Chicago Tribune, mais je suis tombé amoureux de la lecture dans cette bonne vieille bibliothèque de Carnegie. C’est celle qui a inspiré la bibliothèque dans mon roman de 1962, La Foire des ténèbres (Something Wicked This Way Comes).
Je n’oublierai jamais ces magnifiques nuits d’automnes, quand je rentrais en courant à la maison avec des livres en main et le vent d’octobre me poussant chez moi, vers la découverte. J’ai trouvé des livres sur l’Égypte et les dinosaures, des livres sur les pirates, et des livres qui m’ont fait toucher les étoiles.
Je me rappelle très clairement avoir emprunté des livres sur l’anatomie, qui décrivaient à quoi ressemblaient les êtres humains, à quoi ressemblaient leurs corps, à quoi ressemblaient les veines, à quoi ressemblaient les pieds, à quoi ressemblait la tête, à quoi ressemblait le coeur. J’ai donc appris l’anatomie humaine grâce à des livres, quand j’étais encore petit. Et j’étais également curieux au sujet des animaux du monde entier. Je ne pouvais pas croire que Dieu avait créé tant d’espèces. Bien sûr, une des créatures les plus miraculeuses de toutes est, sur bien des plans, le papillon. Ils me fascinaient quand j’étais enfant. En lisant au sujet des papillons, je me suis rendu compte qu’ils étaient une métaphore qui résume l’univers tout entier. Comment une telle chose est-elle seulement possible ? Comment est-ce que c’est arrivé ? De la formation d’une galaxie aux ailes d’un monarque ! Personne n’a vraiment de réponse. C’est un mystère tellement génial.
Pensez au papillon pour un moment. Une chenille rampe tranquillement, se nourrissant de feuilles, puis s’attache à un arbre, et un impossible miracle a lieu : soudainement, elle se protège, puis après un certain temps, cette chenille émerge de sa chrysalide, de magnifiques ailes lui poussent, et elle se change en papillon. Quelle pulsion dicte au papillon la moindre de ces actions ? Quelle pulsion a causé la formation des étoiles ?
Les livres que j’ai ramenés de la bibliothèque m’ont fait réfléchir aux origines de la vie et de l’univers. Comment tout a commencé ? Où cela va-t-il finir ? Je me rappelle des nuits d’été du Midwest, pendant lesquelles je me tenais debout sur la pelouse de mes grands-parents, les yeux levés vers le ciel et son champ d’étoiles éparpillées comme des confettis. Il y a des millions de soleils là-haut, et des millions de planètes tournant autour de ces soleils. Et je savais qu’il y a de la vie là-haut, dans cette immense étendue. Nous sommes simplement trop éloignés, séparés par une distance bien trop grande pour pouvoir communiquer.
J’ai réfléchi à toutes ces choses à cause des livres. J’ai posé de grandes questions à cause des livres. J’ai rêvé à cause des livres. J’ai commencé à écrire à cause des livres. J’ai tout lu, des comic strips aux livres d’histoire en passant par les contes fantastiques de L. Frank Baum, Edgar Allen Poe, H. G. Wells et bien d’autres. Aucune de ces lectures n’était imposée, comprenez-moi bien. Je l’ai fait, tout simplement, de façon impulsive. The Best American Nonrequired Reading reflète en grande partie ce que j’ai adoré dans la lecture, la première fois que j’ai découvert son côté magique. Vous y trouverez des dessins côtoyant de grandes histoires vraies issues de magazines côtoyant des nouvelles de fiction côtoyant des listes de curieux grimoires. Chaque page est une nouvelle découverte, un oeuf de Pâques tout décoré dans le jardin.
On me dit que le processus éditorial de ce recueil prend racine dans l’implication de plusieurs lycéens, qui choisissent les histoires et les assemblent chaque année. J’ai publié mon propre fanzine, Futuria Fantasia, quand j’étais adolescent, à la fin des années 30. J’aurais adoré travailler sur cette série de recueils. J’imagine que chaque jeune ayant mis tout son coeur dans cette édition a été changé en retour.
Il pousse des ailes à la chenille.
Et je sais que, comme à chaque nouveau livre, toi, cher lecteur, tu changeras aussi.
Maintenant, envole-toi.
Voilà, la bibliophile dans mon coeur est toute retournée et frissonnante. Je rappelle que cette traduction est amateur (de moi-même, donc) et je ne peux que conseiller aux anglophones de se pencher sur le texte original !
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Les Commentaires
Tout pareil pour moi. Son dernier texte est sublime, poignant, presque déchirant.
Je n'arrive toujours pas à réaliser. Non, toujours pas.