Vous ne vous rappelez peut-être pas de son nom, ni même de sa silhouette toute en bonhomie, ponctuée de lunettes rectangulaires et d’un nœud papillon, mais Alber Elbaz a pourtant marqué l’histoire de la mode avant de mourir des suites du Covid-19 le 24 avril 2021 à l’âge de 59 ans.
Alber Elbaz, c’était beaucoup des tenues de Blair Waldorf dans Gossip Girl, de ses robes à froufrous à ses escarpins open-toe, mais pas seulement. Vous vous souvenez peut-être de la collection Lanvin x H&M en 2010 ? Ou de la campagne Lanvin 2011, devenue virale par sa pub mémorable où des mannequins couture se trémoussaient sur le tube de l’été de l’époque, I Know You Want Me (Calle Ocho) de Pitbull ? C’était avant TikTok, et pourtant déjà dans cet esprit de mini-chorégraphie fun qui ne se prend pas au sérieux !
De Casablanca à Paris, en passant par Tel-Aviv et New York
En fait, Alber Elbaz était à la fois omniprésent par sa mode adorée par beaucoup de femmes, et d’une immense humilité qui le rendait discret. Né en 1961 à Casablanca au Maroc, il grandit à Tel-Aviv et dessine tellement de robes qu’il entre sans surprise au Shenkar College, l’école de mode locale. Après son service militaire, il part à New York faire ses armes auprès du couturier Geoffrey Beene.
C’est en 1996 que sa carrière prend un tournant à Paris, où il est recruté par Ralph Toledano (aujourd’hui président de la Fédération française de la haute couture et de la mode) pour devenir le directeur artistique de la maison Guy Laroche.
Le dépoussiérage de Guy Laroche, puis le premier coup dur chez Saint Laurent
Ensuite, c’est Pierre Bergé (compagnon du grand couturier Yves Saint Laurent dont il gérait toutes les affaires) qui recrute Alber Elbaz pour s’occuper du prêt-à-porter, Saint Laurent Rive Gauche, en 1998.
Mais au bout de seulement 3 saisons réussies, la maison est rachetée par le Gucci Group qui éjecte sans ménagement Alber Elbaz pour le remplacer par Tom Ford (alors détesté par Pierre Bergé et Yves Saint Laurent, qui s’occupe seulement de la haute couture jusqu’à son départ à la retraite en 2002).
La résurrection de Lanvin, puis le départ brutal qui crève le coeur de l’industrie
Alber Elbaz a à peine le temps de se remettre de ce premier coup dur par une année sabbatique qu’il est recruté par la femme d’affaire taïwanaise Shaw-Lang Wang, qui veut relancer Lanvin — soit la plus ancienne maison de couture encore en activité (fondée en 1889).
Viennent quatorze années d’amour tendre entre lui, les critiques de mode, les acheteurs de grands magasins du monde entier, et surtout les clientes qui l’adorent tellement que l’entreprise devient une anomalie dans l’industrie : elle vend plus de prêt-à-porter que d’accessoires
. Eh oui, d’habitude, la maroquinerie sert de vache-à-lait aux marques, mais pas chez Lanvin où toutes les robes se vendent comme des petits pains !
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Mais à l’heure où les réseaux sociaux se démocratisent, faire de beaux vêtements confortables et bien coupés ne suffit plus, il faut aussi fournir des chocs visuels marquants et des it-bags identifiables — c’est pourquoi les ventes commencent à ralentir… Si bien qu’en 2015, à la stupeur générale, Alber Elbaz est brutalement viré.
S’ensuivent pour Lanvin, des années d’errance entre divers directeurs artistiques incapables de combler le vide abyssal laissé par le départ du chouchou de l’industrie, tandis que celui-ci se met en jachère créative face à ce coup dur de trop.
Alber Elbaz, créateur inclusif par essence
Il signe quelques collaborations au compte-goutte : un parfum pour les Éditions Frédéric Malle en 2016, des baskets pour Converse en 2017, des mocassins pour Tod’s en 2019… Puis Alber Elbaz annonce enfin son grand retour, chapeauté par le groupe de luxe Richemont (qui détient également les maisons Chloé, Alaïa, Cartier ou encore Piaget) : il lance sa propre marque AZ Factory, qui présente ses premières modèles en janvier 2021.
Sa griffe veut proposer des « solutions » aux femmes, à travers des vêtements modulables, pouvant se transformer de tenue de bureau relativement sobre à robe du soir pleine de drama. Et ce dans un large éventail de tailles, fait rarissime dans le luxe !
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Lui-même complexé par son poids, Alber Elbaz savait bien combien la mode peut être excluante. Mais c’est en tant qu’exclu, finalement, qu’il dessinait le mieux ce dont la mode pouvait manquer, comme il l’expliquait au Madame Figaro en juin 2008 :
« Je suis juif du Maroc, israélien, oversize, pas photogénique. Tout cela me place à la marge, c’est le départ de mon point de vue sur les choses, la meilleure place pour être le voyeur que je suis. Si j’étais au centre, je ne pourrais pas faire ça. »
C’est aussi la raison pour laquelle beaucoup de femmes chérissent ses créations pour le quotidien mais aussi les grandes occasions, décrivant volontiers ses vêtements comme des câlins-à-porter. À l’instar de Meryl Streep ou Natalie Portman, qui revêtaient régulièrement du Lanvin par Alber Elbaz sur les tapis rouges.
« Le tapage est le nouveau cool, mais je préfère murmurer »
Dans une industrie de plus en plus digitalisée, cet homme trop entier se sentait de moins en moins à sa place, résumant parfaitement l’évolution de son métier lorsqu’il recevait une récompense du Fashion Group International en 2015 :
« Nous designers, avons commencé comme couturiers : que veulent les femmes ? De quoi ont-elles besoin ? […] Puis nous sommes devenus des directeurs artistiques, donc on devait créer, mais surtout diriger. Et maintenant, nous sommes des faiseurs-d’image, devant susciter le buzz, faire des choses qui rendent bien en photos.
L’écran doit crier, bébé. C’est la règle. Le tapage est le nouveau cool, et pas que dans la mode. Je préfère murmurer. »
Et c’est sur la pointe des pieds, comme un chuchotement, qu’Alber Elbaz nous a quittés. Trop pudique pour tirer une dernière révérence à la fin d’un défilé. Sans doute une preuve supplémentaire de son élégance tout en humilité.
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