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Le Paris des attentats, 1 an après

Chloé Vollmer-Lo est la photographe de madmoiZelle. Ce vendredi 11 novembre 2016, elle s’est baladée dans Paris pour photographier les lieux que les terroristes ont frappé le 13 novembre 2015.

Raconter le 13 novembre 2015 à un proche, c’est toujours comme raconter un cauchemar. Chacun ne peut raconter que « son » 13 novembre à soi, sa conjonction de petits hasards toujours glaçants, son propre rapport aux lieux et aux quartiers touchés, la distribution géographique des gens qu’on aime les soirs de week-end…

Et c’est cette combinaison de facteurs qui rendra le récit si intime, et si particulièrement tragique, en tout premier lieu pour son narrateur. Comme dans n’importe quel cauchemar : l’alchimie de la terreur. Des 13 novembre des autres, tout comme des mauvais rêves, nous ne pouvons appréhender qu’un contour fragmenté, mais dont nous percevons bien les couleurs. Et pour cause : nous portons les mêmes à l’intérieur de nous.

C’est pour cette raison que je ne vous raconterai pas vraiment mon 13 novembre : vous le connaissez déjà un peu.

Je préfère vous raconter mon vendredi 11 novembre 2016, où j’ai marché dans le Paris que j’aime, en pensant à la drôle d’année qui venait de s’écouler. Une marche en forme de pèlerinage, l’appareil photo autour du cou.

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J’ai commencé par le Comptoir Voltaire, que j’avais été étonnée de découvrir si proche de chez moi juste après les attentats. Un café un peu anonyme, un peu banal, qu’on ne remarque qu’une fois fermé, quand ses abords sont saturés de fleurs et d’hommages.

J’ai aperçu quelques clients attablés, à travers la vitrine. Je les ai regardés discuter tranquillement, comme à travers un aquarium. Il avait l’air de faire chaud et douillet dans le bar. Comme une ambiance de fin de soirée dont personne n’aurait envie de s’extirper.

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Je me suis ensuite dirigée vers la Belle Équipe. Le brouhaha des conversations est arrivé à mes oreilles avant même que j’aperçoive la terrasse… Bondée. Peuplée de rires, comme si rien de grave ne s’était jamais passé à cet endroit. Les vélos cadenassés aux barrières scintillaient sous les loupiottes du bar.

L’un des clients s’est tourné vers moi, il m’a vue de l’autre côté de la rue, avec mon appareil. Je me suis sentie un peu désolée, j’ai eu envie de lui dire pardon, parce que j’étais là, à lui rappeler qu’un an plus tôt, quelqu’un était mort à l’endroit où lui buvait maintenant tranquillement sa bière.

J’ai baissé mon appareil, mais avant que je puisse faire quoi que ce soit, il s’est à nouveau tourné vers son interlocuteur et il est parti dans un grand éclat de rire. Joli pied de nez à mes pensées sombres.

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En avançant vers le Bataclan, je me suis posé beaucoup de questions : est-ce que j’allais l’intégrer à cette série de photo ? Moi qui voulais parler du retour à la vie, à la fête… Je me suis dit qu’après tout, le lieu n’avait pas encore rouvert, qu’il y ferait tout noir, que ça allait simplement ajouter du glauque à des images qui voulaient pourtant parler de renaissance.

Et puis j’y suis allée quand même. Et en arrivant devant le bâtiment, j’ai remarqué une poignée de fenêtres allumées, à l’étage. Juste ça : un signe de vie derrière la façade, la présence de ceux qui s’activent pour finir la reconstruction. Et ça m’a réconfortée, ça ressemblait une promesse dont on est sûr qu’elle sera tenue.

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J’ai su que j’arrivais au restaurant Casa Nostra grâce au parfum de pâte à pizza en train de cuire, qui flottait dans l’air. Les gourmets avaient bravé le froid là aussi, et attendaient leur commande en terrasse. Une famille est passée avec une poussette, s’est arrêtée longuement pour lire le menu. Et est repartie tranquillement, nonchalamment, en papotant. J’ai souri niaisement.

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De l’autre côté de la rue, si proche, la Bonne Bière. Encore une fois, beaucoup de monde sur la vaste terrasse. Le serveur m’a vu préparer mon matériel, il s’est arrêté, m’a regardée, puis est reparti comme si de rien n’était.

Je me suis demandé si on était nombreux, à avoir besoin de voir cet endroit, et de faire des images pour témoigner… Pour dire à quel point il ressemble maintenant à n’importe quel autre café du quartier, et qu’il a eu l’intelligence de cacher les blessures sous le masque de la banalité rassurante.

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J’ai marché encore un peu, jusqu’au Petit Cambodge. C’est le premier endroit où la façade m’a parue particulièrement neuve. C’est bête, mais ça m’a frappée. On aurait dit un restaurant qui n’avait pas encore connu la pluie ou la saleté. Une bulle jaune et bleue, éclatante de lumière au milieu de la nuit, qui faisait planer sur le pâté de maison une merveilleuse odeur d’huile de sésame.

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Juste en face, le Carillon. Cette fois, j’ai dû vérifier que je ne m’étais pas trompée tellement le petit café ressemblait à une institution antédiluvienne qui n’aurait pas bougé depuis des lustres. L’un de ces endroits dont on se dit « c’est un flot continu de vie depuis des décennies, les gens changent et se succèdent, mais c’est toujours la même histoire qui se joue ».

Une histoire de fête perpétuelle, de gens qui boivent pour fêter le week-end, qui sortent fumer une clope en parlant trop fort, qui enfourchent leur vélo en promettant de se téléphoner bientôt… Bref, la vie, quoi.

J’ai rangé mon matériel, en m’apprêtant à repartir. Je me suis attardée un peu, à regarder tous ces gens insouciants, tranquilles, normaux, sereins, souriants, détendus… Et puis, j’ai frissonné – d’effroi cette fois – en pensant que je me tenais peut-être là où les terroristes avaient exécuté leur sinistre besogne. J’ai pensé que peut-être que, comme moi, les tireurs avaient cherché l’angle parfait pour shooter.

Shooter… Quand on y pense, le vocabulaire et l’imaginaire de la photo sont beaucoup trop proches de ceux des armes à feu.

Sauf que quand l’un vise pour tuer, l’autre vise pour immortaliser. Littéralement : rendre immortel. Contrer la mort.

Je suis retournée vers le métro République, la tête pleine de ces visages en fête, qui savent, mais ont fait le choix de ne rien céder à la peur ou à la douleur. Je suis passée devant le café de la Place de la République, le si bien baptisé « Flucutuat Nec Mergitur ». Je me suis dit que Paris était une si belle ville dans son beau manteau de joie et de résilience.

À lire aussi : Lettre ouverte à la moi d’il y a un an, qui ne savait pas ce qui allait lui arriver au Bataclan

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Les Commentaires

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Avatar de bdavis
13 novembre 2016 à 21h11
bdavis
Magnifique article...

Aujourd'hui, je suis allée sur les différents lieux par besoin de rendre hommage à toutes ces personnes parties trop tôt et à toutes les personnes mobilisées ce soir là.

Et parmi la douleur et la tristesse j'ai aussi vu de l'amour... J'ai discuté devant la mairie du 11ème avec une personne âgée vraiment inquiète pour notre génération et qui nous demande de continuer de vivre même si elle concède que c'est compliqué.
J'ai vu un torrent d'amour place de la République où nous étions des dizaines et des dizaines de personnes à laisser des cœurs porteurs de messages à glisser sous les pensées. Un instant, j'ai eu l'impression que nous ne faisions plus qu'un. Ca paraît niais mais c'est vrai.
J'ai bu un chocolat à la bonne bière où j'ai vu des gens rire, se sourire, vivre tout simplement...
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