Publié initialement le 15 avril 2012
L’autre jour (hier soir en réalité mais je fais comme si cette Chronique était le fruit d’une longue et profonde réflexion), alors que j’ouvrais TextEdit pour enregistrer un énième fichier nommé « ORGANISATION DU WEEK END » j’ai remis mes actes en perspective pendant quelques secondes.
Est-ce que j’étais réellement en train de planifier les activités de mon week-end, période de fin de semaine dédiée au repos, à la détente, aux séances de cinéma qui s’improvisent, aux gâteaux qui parfument la cuisine et aux trollages festifs sur l’internet ?
Oui je le confesse et ce n’était pas ma première fois, car avant cet avant-hier soir j’avais déjà commis le péché organisationnel.
Le monde se divise en deux catégories, dont on pourrait certes remettre en cause la pertinence, mais qui n’en sont pas moins réelles :
– Les décontractés du gland, qui abordent l’existence d’après la réplique de Depardieu dans Les Valseuses : « On est pas bien là, paisibles ? À la fraîche ? Décontractés du gland ? Et on bandera quand on aura envie de bander ! »
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Ces personnes profitent de l’existence, elles prônent l’improvisation comme style de vie et se permettent de remettre au lendemain les activités pénibles qu’elles n’ont pas envie de faire, sans que cela ne génère la moindre angoisse dans leur coeur. Ce sont des baroudeurs et ils sont fiers de leur liberté d’action, ils n’hésitent pas à mettre en avant leur capacité d’adaptation et à railler notre profond besoin d’ordre et de méthode. En général ces suppôts d’Oblomov aiment à porter des espadrilles en été et à écouter de la dub ou du ska à l’heure de l’apéritif.
Je m’étendrai peu sur cette espèce car je n’y appartiens évidemment pas ; ces gens-là n’ont pas une ribambelle de .doc, .pdf et .rtf cachés au fond de leurs dossiers perso qui leurs permettent d’optimiser leur temps libre : ils s’en foutent.
– Les méthodologistes compulsifs, ceux qui ont besoin d’un cadre pour s’épanouir, une base à partir de laquelle ils peuvent broder leurs journées et qui se trouvent démunis face a l’immensité d’un jour sans objectifs ni impératifs. S’ils ordonnent, classent, trient et minutent leurs activités ce n’est pas parce qu’ils sont particulièrement pressés ou débordés mais parce qu’ils ne supportent pas le vide, la perte de temps, le gaspillage énergétique d’une heure sans projets ni accomplissements.
Pas le temps.
J’ai connu l’oisiveté pendant une ère merveilleuse lors de laquelle je n’avais pas d’horaires, pas d’obligations particulières et où je pouvais faire tout ce que je désirais au moment où j’en avais envie. Alors, rien n’était grave puisque j’avais le temps de toutes les possibilités. Mais aujourd’hui mon CDI de 35h hebdomadaires couplé à une vie sociale et diverses activités et ambitions personnelles à mener de front m’ont transformée. Je suis devenue une « femme pressée » qui se lamente sur la petitesse des heures, sur le manque de ponctualité des uns, sur la lenteur chronique des autres. J’ai troqué les aquarelles de Marie Laurencin pour des tableaux Excel chiffrés d’objectifs quotidiens.
Si je comprends bien la nécessité du travail et l’importance de sa valeur, qu’elle soit économique ou sociale, je reste également persuadée que le travail est une aliénation. Il y a probablement des gens qui s’épanouissent totalement à travers leur emploi et pour qui le professionnel est intrinsèquement lié au privé mais ce n’est pas mon cas. J’aime bien mon travail, j’y suis épanouie comme on dit poliment, mais pour autant il ne représente que de l’occupationnel, une structure temporelle, un alibi social et de quoi m’acheter des maillots de bain Princesse Tam-Tam hors soldes.
Aussi, 35 heures par semaines et souvent un peu plus, je donne avec consentement mon précieux temps aux rouages d’un système nécessaire et en conséquence j’organise avec sévérité mes heures privées dans un souci d’OPTIMISATION.
L’inventaire permanent
Je fais des listes et elles sont autrement plus curieuses que la triste liste des courses ou la banale liste de ce qu’il faut emporter avant de partir en vacances. (Même si je fais évidemment une liste de courses, une liste de ce que je mange dans la journée et une liste des meilleures associations sucrées/salées – magret de canard / pommes au miel vs confit de figues / chèvre cendré)
Je répertorie à peu près tout ce qui me passe par la tête. Bien évidemment je note les choses que je dois faire dans la journée, dans le mois et dans l’année mais mes classements par tirets tyranniques n’épargnent rien de moi : je liste tous les films que j’ai vus au cinéma, à la maison, les livres que j’ai lus dans l’année, les restaurants dans lesquels j’ai dîné, les mots incongrus que j’ai rencontrés, les bons souvenirs que je veux garder. Souvent ces listes n’ont aucune utilité, et ce sont d’ailleurs toujours mes meilleures listes.
Cet inventaire permanent me rassure car j’ai peur d’oublier : un détail de ma journée, une jolie phrase que l’on m’a dite, un élément de mon passé. Ces listes que je garde précieusement dans mes carnets ou sur mon ordinateur ont également vocation à être un témoignage, un souvenir que je me plairai peut-être à relire dans quelques années. J’ai d’ailleurs développé une passion pour les inventaires après décès datés du Moyen Âge, qu’ils concernent les paysans ou la noblesse ; je trouve que l’accumulation d’informations est fascinante et présente une réalité bien plus palpable que certains livres d’Histoire (je digresse si je veux, c’est ma chronique – et je néologise tant que j’en ai envie aussi).
Discours de la méthode
Alors oui, je râle lorsque quelqu’un est en retard car ma ponctualité despotique ne supporte pas l’attente, l’imprévu me plonge dans des limbes d’introspection, je connais le nombre de minutes entre quatre stations de métro, je dessine des schémas et des fromages sur mes carnets pour représenter le nombre de temps passé à dormir / travailler / m’amuser / bouquiner dans une journée et le seul ordre efficace et sensé que je tolère est celui que je me suis inventé. Car je prédis mes actes mais j’anticipe également les contrariétés, chaque plan A possède son plan B.
Je sais bien que tout cela est très mal, que je ferais mieux d’écouter la Mano Negra les doigts de pieds confortablement vissés dans une paire d’espadrilles saumon. Que je devrais m’inspirer de ces décontractés du gland un peu procrastinateurs sur les bords et fiers-de-l’être, que je devrais boire du pastaga en affirmant que « ça va tranquillement ».
Mais que voulez-vous, je n’y arrive pas. J’ai la chance d’être insomniaque à mi-temps : une nuit sur deux j’ai les yeux qui roulent du plumard au plafond et lorsqu’on sait que nous passons environ un tiers de notre vie à dormir cela augmente mon champ d’action. C’est ça ou croire en la réincarnation, parce qu’une seule vie ne suffira pas à accomplir la moitié de mes ambitions (ou cela signifie que je suis particulièrement inefficace et je refuse de l’envisager).
Je devrais peut être faire une liste « de choses à faire après la mort », juste au cas où, histoire de ne pas être complètement désoeuvrée pendant l’éternité : on n’est jamais trop prévoyant.
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