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Culture

Mythes, légendes et femmes : les mille visages de la fée Morgane

La Fée Morgane est une figure mythique encore très présente dans l’imaginaire populaire. Mais elle demeure le personnage le plus controversé des légendes arthuriennes d’où on la connaît. Femme puissante et secrète, bienveillante ou mauvaise – qui est la Fata Morgana ?

Les mythes qui nous fascinent le plus sont souvent les plus obscurs. Cent fois maudite, souvent réhabilitée, et parfois vénérée, celle qu’on appelle le plus communément en français la Fée Morgane est de ceux-là – car cette femme insaisissable est bien un mythe à elle toute seule.

C’est pourquoi, après un premier passage chez les sirènes, j’aimerais revenir avec vous sur les mille facettes de celle qu’on appelle Morgane, Morigena, Morgen, Morgan le Fay ou encore Fata Morgana.

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Le plus impressionnant avec elle, c’est que dès qu’on se penche un peu sur son histoire ou les écrits qui la mentionnent, on commence par penser qu’on sait tout ce qu’il y a à savoir sur elle. Mais déjà que le cycle arthurien, tous ces récits qui forment la « Matière de Bretagne », n’est pas toujours très constant, on réalise assez vite que pas grand-chose ne concorde d’une période à une autre dès lors qu’on parle de Morgane. Son nom, pour commencer.

Et si on ajoute aux vieux écrits déjà pas bien raccords l’utilisation du personnage dans la culture populaire (films, séries TV, livres…), il est plus que normal de s’embrouiller un peu.

Vous la connaissez peut-être comme la demi-soeur du roi Arthur, femme mauvaise et un peu sorcière qui ne rêve que de le tuer ou de prendre son trône ou les deux. Ou bien comme la prêtresse guérisseuse qui emmène Arthur sur l’île d’Avalon à sa mort. Ou encore en tant qu’enchanteresse presque irréelle qui séduit les preux chevaliers ? Attendez… n’est-elle pas la Dame du Lac qui donne Excalibur au roi ?

Un peu de tout ça à la fois, et en même temps, pas vraiment. Chaque personnage des légendes arthuriennes est un peu mystérieux, mais la fascination que Morgane semble avoir exercé sur bien des artistes a probablement contribué à la transformer, à polir ses facettes, ou au contraire les acérer au fil des siècles.

Or, ce qu’il y a d’épatant avec les mythes, c’est que des thèmes, des détails en communs subsistent toujours d’une version à une autre. Allez, venez, on part vous et moi sur les traces de la fée Morgane. Déjà, c’est vraiment une fée ou bien ?

Morgen, demi-soeur du roi Arthur

Je pense pouvoir affirmer que l’oeuvre ayant le plus influencé notre perception de Morgane aujourd’hui est l’ensemble des Romans de chevalerie de Chrétiens de Troyes. Il est loin d’être le premier à en parler, puisque les récits de la Matière de Bretagne étaient déjà recueillis par des moines longtemps avant qu’il n’arrive, mais son travail d’étoffement des légendes demeure le plus connu et surtout le plus lu de nos jours.

Dans sa version du cycle arthurien, Morgane (ou Morgen) est un personnage crucial, ne serait-ce que parce qu’elle est la soeur du roi Arthur. Fait étonnant, puisqu’il pourrait bien avoir été le premier à la présenter ainsi ! D’autant que ce lien familial semble anecdotique, quand on regarde sa place et ses divers rôles d’une histoire à une autre. Elle apparaît souvent, quoi que de manière subtile, comme une femme douée de magie qui donne même le sentiment qu’elle fait partie des créatures surnaturelles de passage dans le monde réel des chevaliers.

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Morgana, joué par Katie McGrath dans la série Merlin, se rapproche de cette tradition

Une guérisseuse douée, elle a déjà apporté son aide à ces derniers par des potions magiques ou des conseils impliquant un grand savoir et savoir-faire. De plus, elle règne sur une île mystérieuse, Avalon, ou est maîtresse du domaine appelé « le Val périlleux » ou « Val sans retour ».

Alors, quel type de femme est-elle, qui agit comme guérisseuse mais s’isole pourtant du monde ? Elle est si souvent représentée comme une farouche adversaire du roi Arthur, son frère, mettant des bâtons dans les roues des preux chevaliers pendant leurs quêtes héroïques, qu’elle fait plus office de méchante de l’histoire… Et surtout, qu’il est difficile de savoir où elle veut en venir. Un coup, elle vient en aide au Royaume, et la fois d’après poser un orteil sur son domaine vous sera fatal !

Malgré tout, ce n’est pas tant la version de Chrétien de Troyes, qui somme toute conserve une certaine bienveillance à son personnage, que les récits qui s’en sont inspirés par la suite. Le Cycle de la Vulgate, par exemple, vient compléter les aspects troubles de la vie de Morgane… d’une façon qui la rend mauvaise et manipulatrice (de génie, cela dit). Elle est ainsi la demi-soeur d’Arthur, née de la même mère, Igerne/Ygraine, et de (peut-être, on sait pas trop) Gorlois, qui commence sa vie à s’instruire dans un couvent, de la lecture et de l’écriture à l’astrologie et la médecine.

L’image de méchante et puissante sorcière s’installe définitivement au 15e siècle, grâce à Thomas Malory et son Le Morte d’Arthur qui rajoute une couche de romance à l’histoire. Ses intérêts se portent soudain sur la nécromancie pendant son temps au couvent, ce qui ne fait pas bizarre du tout, dans un couvent, on est d’accord. Sa vie n’est alors que complots et trahisons de toutes sortes, et tout en demeurant une femme intelligente et instruite, son côté femme fatale, magique et séductrice s’accentue.

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Incarnée par Eva Green dans Camelot, elle n’est pas à prendre avec des pincettes.

Mêlée au monde et à la cour, elle devient plus mondaine : elle complote et manipule les gens, plutôt que d’attendre sa victime depuis son domaine surnaturel. Elle conserve son aura de créature de l’Autre Monde, mais de façon plus subtile… jusqu’à la mort d’Arthur, où elle est soudain la magicienne un peu prêtresse qui se tient à ses côtés dans ses derniers instants pour l’emmener à Avalon.

C’est très probablement cet élément récurrent de son mythe qui vient perturber un peu la perception qu’on a de Morgane. Si souvent subversive, opposée à Arthur à bien des égards, elle est à la fin toujours celle qui prend soin de lui alors qu’il se meurt, que la légende du roi Arthur s’éteint et se retire de ce monde.

On a essayé d’expliquer cette tache sur le tableau en prêtant ce rôle à la Dame du Lac, personnage tout aussi trouble qui n’apparaît pas dans tous les récits – et qui dans certains n’est qu’une autre appellation pour Morgane.

Fata Morgana : fée, prêtresse, guérisseuse, femme fatale… ?

Cela dit, il semblerait que cet épisode n’ait pas lieu dans les légendes galloises et celtes plus anciennes dont on a retrouvé la trace. Le récit le plus ancien et le plus proche de ces morceaux de légendes païennes, et antérieur à Chrétiens de Troyes, est la Vita Merlini de Geoffroy de Monmouth. Il se pourrait bien que celui-ci soit le premier à mentionner le départ d’un Arthur blessé pour Avalon, accompagné de Morgane. Mais là encore, rien n’est moins sûr…

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Par F.A. Fraser

Sa version du personnage, cependant, se rapproche clairement de la tradition païenne, puisque Morgane devient grande prêtresse d’Avalon (l’

Insula Pomorum), pour ne pas dire la reine, parmi les neufs enchanteresses de l’île. Puissante magicienne, elle est « Morgan le Fay », « Fay » marquant son appartenance à l’Autre Monde. Non contente d’être d’une beauté surnaturelle, elle serait capable de changer de forme, de voler, et a toujours des connaissances aussi extraordinaires dans l’art des plantes et de la médecine.

À partir de là, on commence à soupçonner des origines beaucoup plus profondes. Avalon, par exemple : appelée l’Insula Pomorum par Geoffroy de Monmouth, l’endroit n’est pas sans rappeler l’île paradisiaque des Hespérides de la mythologie gréco-latine, où se tient une pommeraie entretenue par des nymphes et dont les fruits délivrent l’immortalité. À vrai dire, la localisation d’Avalon n’est jamais claire, même s’il est assez sous-entendu que le lieu est relié à – ou fait partie de – l’Autre Monde. Une sorte de lien entre celui-ci et le monde des hommes ?

Elle est décrite, à la manière de l’île des Hespérides, comme la Terre de l’éternelle jeunesse, une sorte de paradis où se rendent les hommes après leur passage dans le monde. Ce qui justifierait le rôle de passeur de Morgane pour Arthur, qui est après tout un roi légendaire et se doit d’être escorté… Reine ou Prêtresse qui multiplie ses aller-retours entre ce lieu légendaire et le monde des mortels, Morgane devient une médiatrice entre les deux mondes.

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Par W.H. Margetson

Fait troublant, qui nous ramène encore à mon babillage concernant la symbolique de l’eau dans l’épisode précédent, non contente d’être maîtresse d’un domaine entouré d’eau (l’île) et de traverser régulièrement cette étendue pour rejoindre les humains (fonction mantique), l’étymologie de son nom ramène aussi aux sirènes : Morgen, ou Morigena, ou Muirgen… Quelle que soit la langue, vieux gallois, breton, gaélique tombent assez d’accord pour traduire « née de la mer ». Certains linguistes se mouillent (aha) jusqu’à dire que le terme pourrait désigner une sirène.

Sans aller aussi loin, son nom rappellerait directement les morgens, les fées ou esprits des eaux dans le vieux folklore gallois. Dans les légendes bretonnes plus récentes, on les appelle les « mari-morgans », ou juste les « morganes », et elles ont également ce comportement ambigu, jouant d’un côté à égarer les marins et de l’autre à partager leur savoir et leurs richesses. Ces mises en relation attestent au moins d’une chose : l’appartenance incontestable de Morgane au surnaturel, la magie étant contenue jusque dans son nom…

… Ou déesse ?

On peut discuter encore longtemps de son nom. On peut même aller très loin… en faisant un lien avec la Morrigan. Non, rassurez-vous, je ne suis pas allée pêcher ce terme au fond d’un grimoire mystique rien que pour vous en rajouter une couche : en fouillant un peu sur le personnage de Morgane, il est facile de trouver plusieurs ouvrages et essais qui l’assimilent à la déesse Morrigan, la Triple Déesse (ou Trinité, ou Déesse Mère) de la tradition celtique. Oui, je sais, rien que ça.

Évidemment, bien peu d’écrits nous sont parvenus de l’époque où ladite tradition asseyait largement sa suprématie. C’est pourquoi on a tendance à plutôt faire le lien avec la déesse de la guerre Morrigan (Morrigu) issue de la tradition irlandaise plus récente, et dont le caractère ambivalent correspond plutôt bien à notre modeste fée Morgane.

Cette dernière choisit tantôt de guérir, tantôt d’anéantir ? La déesse Morrigan guérit comme elle tue. Il n’y a, encore une fois, que trop peu de preuves écrites pour pouvoir étayer cette théorie, mais il est toujours intéressant de se pencher sur les surprenantes similarités, qui suggèrent que le personnage de Morgane a au moins été inspiré de la divinité celtique – ou de ce qu’elle inspire et représente.

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Morrigan inspire à la fois la crainte et la dévotion ; déesse de la guerre et/ou de la mort qu’on pourrait assimiler à la Valkyrie, elle donne sa préférence déterminante à l’un ou l’autre camp sur le champ de bataille de manière tout à fait imprévisible – et lorsqu’elle frappe, rien ne peut lui résister.

Un peu comme Morgane, personnage si conflictuel, un coup du côté des chevaliers, un coup leur pire ennemie. La déesse peut également changer de forme, comme celle un peu sinistre du corbeau allant picorer les cadavres des perdants, et si elle est décrite comme une féroce guerrière, elle est aussi un fort symbole de la sensualité féminine.

Peut-on pour autant dire de la théorie selon laquelle la fée Morgane est liée à une figure celtique aussi puissante qu’elle est crédible ? Elle est en tout cas séduisante. Car il nous reste assez peu d’éléments, au final, de cette ou ces figures de déesses mères qui auraient prévalu pendant longtemps avant d’être dépassée-s par l’avancée du Christianisme, et ce qui nous en reste se présente principalement sous une forme symbolique.

On notera d’ailleurs que le récit du 14e siècle Sire Gauvain et le chevalier vert la mentionne entre autres de cet énigmatique terme en vieil anglais : « goddes ».

L’écho d’une femme multiple par-delà les siècles

Le cycle arthurien, et ainsi Morgane, ont inspiré nombre d’écrivains. Parmi ceux-là, on retiendra par exemple Marion Zimmer Bradley et son mémorable Cycle d’Avalon, qui reprend la Matière de Bretagne pour une fois du point de vue des femmes qui la composent.

Pourquoi elle en particulier ? Déjà, parce que ses livres sont des petites merveilles. Ensuite et surtout, parce qu’il reprend notre point précédent, puisque Bradley résout définitivement le problème Morrigan/Morgane en faisant de cette dernière la Grande Prêtresse vénérant la première (la Grande Déesse) (vive les majuscules). C’est une idée, aussi.

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Couverture de The mists of Avalon, Marion Zimmer Bradley

Mais c’est d’autant plus intéressant que tout le travail qu’elle a mis dans ses romans justifie avec pertinence ce remaniement du personnage. La série se déroule dans un décor pré-médiéval, en des temps non précisés, mais alors que l’ancienne religion païenne et la montée de Christianisme s’affrontent ; au milieu de tout cela (en très gros), le roi Arthur est celui qui tente de concilier les deux, la reine Guenièvre symbolise la conversion au Christianisme, et Morgane (Morgaine) est la disciple de la grande prêtresse Viviane, débutant une longue initiation pour devenir la dernière prêtresse d’Avalon, ainsi que le dernier rempart de l’ancienne religion qui vénère la Déesse Mère.

Je vous laisse lire le tout pour découvrir la conclusion de cet affrontement épique. Pour l’heure, nous nous concentrons sur Morgane, et comment, en tant que médiatrice entre deux mondes, elle ressemble effectivement à un dernier rempart – le dernier lien avec les anciennes croyances.

Mais qui est Morgane ? Comment expliquer sa présence subversive dans ces légendes arthuriennes fondatrices que l’on raconte encore à nos enfants sans en saisir toute la portée – comme tout mythe ? Tour à tour sorcière, bonne fée, guérisseuse, divinité, femme fatale ou maléfique mais toujours savante et auréolée d’un pouvoir surnaturel, ses mille visages ressemblent aux innombrables interprétations du pouvoir féminin tel qu’il aurait été célébré dans les plus vieilles traditions païennes.

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Bonne ? Mauvaise ? Il est peut-être inutile d’essayer de la réduire à cette vision moralisatrice et manichéenne, quand l’accepter dans son ensemble en fait un symbole bien plus fort – l’écho lointain et fragile d’une autre perception de la femme à travers les âges.

Pour aller plus loin :


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Les Commentaires

19
Avatar de Lysanthius
12 mars 2014 à 18h03
Lysanthius
"Cette dernière choisit tantôt de guérir, tantôt d’anéantir ? La déesse Morrigan guérit comme elle tue. "
Ça m'a fait penser à la sorcière dans le jeu du loup-garou, j'ai rit.

Sinon super article, bien documenté et hyper intéressant

En tant que fan de fantasy/du Moyen-Âge/de mythologies en général toussa toussa, j'espère qu'on en aura encore plein comme ça aillettes:
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Voir les 19 commentaires

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