Le baromètre annuel de l’institut Kantar réalisé pour le journal La Croix dévoile des chiffres préoccupants.
Ce sondage mesure le degré de confiance des Français·es vis-à-vis de divers médias d’information. Il a été réalisé sur un échantillon de 1 024 personnes représentatives, et révèle une chute de la confiance que je trouve carrément préoccupante.
La moitié seulement des personnes interrogées croient à la version des faits présentée à la radio. Cette proportion tombe à 44% concernant la presse, et 38% seulement à la télévision.
Sur Internet, 25% seulement des personnes interrogées croient à la version des faits vue ou lue en ligne. Sur ce point, je ne suis pas trop surprise : moi non plus je ne suis pas hyper confiante vis-à-vis de mes lectures sur Internet, ça dépend clairement du support.
Je n’accorde pas le même crédit à un tweet qu’à une dépêche AFP, un post Facebook qu’à une brève du Monde. Je ne fais pas confiance à « source : Internet », mais quand un ou une journaliste d’un média reconnu et identifié comme tel me donne une information, je considère qu’elle est fiable.
Il semblerait que cette opinion soit désormais minoritaire.
De la méfiance à la violence envers les journalistes
Le chiffre qui me choque le plus dans ce baromètre, c’est celui-ci, rapporté par Libération :
« Parmi les personnes sondées, 23% estiment que l’hostilité récemment manifestée à l’égard des médias est « tout à fait ou plutôt justifiée » et 39%, « pas vraiment justifiée » – ce qui revient à dire un peu, quand même.
Un petit tiers des Français seulement condamne cette attitude qui a tourné parfois ces dernières semaines à l’insulte, la menace ou l’agression physique. »
Eh mais ? Dans quel corps de métier est-il « tout à fait ou plutôt justifié » d’être insulté, menacé ou agressé lorsque le travail fourni est jugé insatisfaisant ?
Parce que c’est bien de cela dont il s’agit, au fond : les journalistes feraient mal leur travail, donc ils porteraient une part de responsabilité dans la récente montée de haine et de violence à leur égard.
Mon féminisme ayant consolidé la conviction qu’une victime n’est jamais responsable des violences qu’elle subit, je ne peux pas adhérer à ce raisonnement. La cause d’une violence est celui ou celle qui l’inflige, pas la personne qui la subit.
Peut-on « comprendre » les violences contre les journalistes ?
Condamner ces violences n’empêche pas de mener une véritable critique de la profession. Sonia Devillers est journaliste, elle présente l’Instant M et l’Edito M sur France Inter, deux émissions centrées sur l’actualité des médias.
Lundi 14 janvier, elle a interviewé le directeur de la Voix du Nord, car un incendie avait été lancé aux pieds de ses bureaux, ses entrepôts bloqués, les livreurs de journaux menacés lors de « l’Acte IX » des Gilets Jaunes.
Face au volume et au ton des mails envoyés par ses auditeurs, Sonia Devillers a décidé de faire le point dès le lendemain, dans l’Edito M du 15 janvier :
« Mail : « Le journaliste qui s’exprime chez vous exempte un peu vite ses collaborateurs de leur responsabilité dans l’animosité dont ils sont victimes ».
Autre mail : « Pas une fois vous ne demandez à votre invité s’il reconnait que sa chaîne suscite la violence qui s’exerce contre elle ».
La journaliste condamne fermement la violence subie par ses confrères et consoeurs :
« Ce n’est pas à la victime de justifier ce qu’elle a enduré. Nul n’aurait demandé aux survivants de Charlie s’ils n’avaient pas « un peu » joué avec le feu.
Cela revient-il, comme d’aucun me l’ont reproché, à « nier les violences que les Gilets Jaunes ont eux aussi à encaisser » ? Non.
Cela revient-il à « absoudre tous les médias des critiques qu’on peut leur faire » ? Non plus. »
Sonia Devillers conclut sa chronique sans concession quant à la violence :
« Qu’on tabasse un journaliste ou qu’on menace une consœur enfermée dans sa voiture de viol, peu importe les raisons, je le condamne ET je ne le comprendrai jamais. »
Pour autant, cette condamnation n’est absolument pas incompatible avec la critique des médias : condamner la violence ne veut pas dire ignorer les problèmes, c’est juste refuser d’établir une causalité entre le travail des uns et la violences des autres.
L’Edito M de Sonia Devillers, en intégralité
La nécessaire autocritique des médias
J’ai beau être choquée par la méfiance croissante des Français·es envers les médias d’information que sont la presse écrite, la radio et la télé, je ne suis pas surprise par cette tendance.
Le développement fulgurant des réseaux sociaux a ringardisé une partie de la profession, qui a réagi dans la précipitation aux changements provoqués.
C’est ce que je retiens, en partie, de l’excellente autocritique présentée par Libération
: « 25 professionnels de l’information, de tous supports et médias, aux positions hiérarchiques variées, choisis pour leur capacité à regarder en face les pratiques du métier », se sont prêtés à l’exercice.
Le résultat est un long article passionnant, mêlant données objectives et commentaires forcément personnels, mais éclairants.
À lire sur Libération Autocritique des médias, l’examen de confiance
La course à l’audience, l’entre-soi culturel et géographique, la fragilité des modèles économiques et les sources de financement des grands titres médiatiques sont autant de causes ayant contribué à éloigner les journalistes du reste de la population.
Loin des yeux, loin du coeur de l’information ?
J’ai grandi dans la campagne isolée, et j’ai aiguisé ma plume dans le 10ème arrondissement parisien. Deux salles, deux ambiances, et entre les deux, un fossé que les médias d’information ne parviennent plus à combler ?
Trois citations en particulier touchent juste à mes yeux de petite provinciale expatriée à Paris depuis 10 ans :
« Notre profession serait devenue trop bavarde, passant son temps à donner son avis à elle plutôt que la parole aux autres. »
C’est effectivement le constat que tireBrice Couturier, chroniqueur sur France Culture, cité par Libération :
« Avant, nous avions le monopole de l’information. Désormais, l’information nous devance sur les réseaux sociaux.
Nous avons réagi en idéologisant à mort, en devenant des directeurs de conscience.
Mais en réalité, un journaliste a peu de compétences, il est généraliste, car on n’approfondit pas les sujets en école de journalisme.
Au lieu d’expliquer, on souffle sur des clivages idéologiques faciles. Les gens l’ont très bien compris, et ça les énerve. »
Le journalisme, du reportage au commentaire ?
Oui, une nouvelle forme de journalisme a émergé. Les reportages au fin fond de la Drôme dans le 13h de Jean-Pierre Pernaut ne m’intéressent qu’à l’heure de la sieste, en attendant de sombrer dans la digestion.
Mais les plateaux d’experts et de commentateurs de C dans l’Air me passionnent — surtout depuis que Caroline Roux y a insufflé une véritable mixité parmi les intervenant·es.
Je ne cherche plus à « voir » ce qu’il se passe, j’ai les réseaux sociaux pour ça. Instagram m’informe qu’il neige avant le prochain bulletin météo, je suis au courant des alertes attentats grâce à Twitter…
J’utilise les médias d’information non pas pour avoir accès à l’information, mais pour avoir sa contextualisation, son décryptage, son analyse.
Sauf que ce traitement est peu compatible avec l’immédiateté : difficile de relater et d’analyser un événement en même temps. Et cela, plusieurs journalistes travaillant dans des chaînes d’information en continu le confirment à Libération :
« Sous couvert d’anonymat, une reporter déplore la propension de la chaîne à « feuilletonner » un seul événement pendant des heures, voire des jours […]
« Cela revient à dire : la seule chose digne d’intérêt, c’est ça. Mais en vertu de quoi décidons-nous cela ? » s’interroge cette consœur, précisant « aimer » sa chaîne malgré tout. »
Indépendance et conflits d’intérêt
Un point de l’autocritique aborde la question de l’indépendance des médias, dont la plupart sont en effet détenus par « quelques milliardaires ayant des intérêts industriels » — et Libération cite d’ailleurs l’exemple de son propre cas, puisque le journal de gauche est détenu par l’homme d’affaires Patrick Drahi.
Des chartes déontologiques sont censées garantir l’indépendance des journalistes, mais je peux effectivement comprendre la méfiance que de telles situations inspirent à l’extérieur.
Pas besoin néanmoins d’être tenu par le portefeuille d’un milliardaire pour être soupçonné de conflits d’intérêts : madmoiZelle est un magazine indépendant (nous n’avons ni investisseurs, ni actionnaires financiers ou industriels), et des lectrices nous soupçonnent régulièrement d’épargner telle ou telle marque de la critique en vertu de supposés liens commerciaux.
Et c’est faux : nos partenariats sont toujours clairement annoncés, et nos négociations préservent toujours notre indépendance éditoriale.
Mais je peux comprendre que cette source de méfiance soit particulièrement difficile à « soigner » : la mauvaise santé économique du secteur médiatique en général couplée au manque de transparence de certains investissements, certains partenariats attaquent directement la crédibilité du média concerné :
« C’est un problème, pas la peine de se cacher derrière son petit doigt », convient Natacha Polony, dont Marianne est possédé par le magnat tchèque de l’énergie Daniel Kretinsky.
« La question des médias s’avère plus que centrale aujourd’hui »
J’emprunte encore une citation à l’Edito M de Sonia Devillers, que je vous encourage à écouter ou à lire en entier :
« La question des médias s’avère plus que centrale aujourd’hui. Et un contre-pouvoir qui ne puisse pas lui-même être soumis à la critique n’est plus un contre-pouvoir. »
C’est sans doute cela qui nourrit mon inquiétude, face à la méfiance des Français·es envers les journalistes.
Parce que la mission des médias est centrale à une démocratie saine, et que cette méfiance est un avertissement préoccupant pour la santé de notre démocratie.
La menace des Fake News
Le monde a regardé des mois durant et sans y prêter vraiment attention un homme d’affaires américain débiter les pires âneries.
Certains se sont sûrement moqués de la crédulité navrante de ces ploucs de la cambrousse texane, qui buvaient ses paroles et les recrachaient sur les réseaux sociaux.
Et ce jusqu’à ce que la mauvaise blague tourne au vrai cauchemar, le 9 novembre 2016 : Donald Trump est devenu le 45ème Président des Etats-Unis.
Et la presse américaine, et les réseaux sociaux ont alors fait leur autocritique, jurant, mais vraiment trop tard, que l’on ne les y prendrait plus.
Je suis une assidue des talks shows d’infotainement américains, et j’ai vu une évolution manifeste dans leur ligne édito.
Avant les élections, Trump et ses sorties hallucinantes étaient un sujet de blague. Depuis qu’il est arrivé au pouvoir, les commentateurs s’emploient à démentir, déconstruire, fact chécker les sorties fantaisistes du chef de l’Etat.
Tout ceci ne se passe pas si loin de chez nous. Chez nous, d’ailleurs, court une rumeur tenace depuis quelques jours.
Il paraît qu’Emmanuel Macron s’apprête à vendre l’Alsace et la Moselle à l’Allemagne, et tout ça en douce, à travers le traité d’Aix-la-Chapelle. C’est très sérieux.
« C’est ptêt pas faux, ça ne m’étonnerait pas » répond la première interrogée.
Toute cette actualité, de Trump aux Gilets Jaunes jusqu’à cette autocritique de Libération, m’a fait remonter un souvenir vivace.
Le 12 juillet 2005, je passais le concours d’entrée à Sciences Po Lille. À 8h34, je découvrais le sujet de la dissertation de culture générale :
« Les journalistes servent-ils la démocratie ? »
J’avais eu 4 heures pour réfléchir à la question. Et vous, qu’en pensez-vous ? Que vous inspirent les événements des deux derniers mois, ou des trois dernières années ?
À quelles sources d’informations vous fiez-vous, et pourquoi ? Venez en discuter dans les commentaires.
À lire aussi : Pourquoi les écologistes ne sont pas à la hauteur de leur victoire culturelle ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
Les Commentaires